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mours (a), & le nombre des prétendans à la Souveraineté fut fort grand.

Le Parlement de Befançon rendit un Arrêt (b) qui réuniffoit à la Couronne de France la Principauté de Neufchatel, comme un fief dépendant du Comté de Bourgogne; mais cet Arrêt, rendu dans un tems que la France faifoit la guerre peu heureufement contre une grande partie de l'Europe, n'arrêta point les Etats de Neufchatel qui prétendirent que c'étoit à eux à reconnoître le Souverain qui devoit les gouverner.

Le champ fut ouvert à tous les Prétendans. Le Roi de Pruffe, le Duc de Savoye, le Prince de Conti, le Prince de Carignan, la Maison de Bade - Dourlach, le Marquis de BadeBaden, la Maifon de Soiffons; le Duc de Wirtemberg-Montbéliard, les Princes de Furftemberg, & cinq Gentilshommes ou Dames François : Le Comte de Matignon, la Duchesse . de Lefdiguieres, le Duc de Briffac, la Ducheffe de Villeroi, la Marquife de Mailly, le Marquis d'Alégre, le Baron de Montjock, le Marquis de Rothelin. Voilà quels étoient les Prétendans à cette Souveraineté. Ils parurent tous, mais il n'en refta qu'onze fur les rangs. Le Prince de Conti vouloit fuccéder en vertu du Teftament du dernier Duc de Longueville; le Roi de Pruffe, comme héritier de la Maison de Naffau qu'il difoit aux droits de celle de Châlons; cinq des Prétendans comme héritiers du fang de la Maison d'Or¬ léans; & quatre du chef de celle de Châlons. Le droit de l'une de ces Maisons étoit inconteftable vis-à-vis la Maifon de Naffau de laquelle le Roi de Pruffe fe portoit hérititier, du chef de Louife de Naffau fa mere, fille aînée du Prince Fréderic-Henri, puifque jamais les Princes de Naffau n'a(a) Arrivée le 16 de Juin 1707.

(b) Le 28 d'Octobre 1707.

voient rien prétendu fur Neufchatel. Cela se prouve évidemment par le partage que Philippe, Guillaume, Maurice, & Henri firent (a) des biens de René de Nassau - Orange où il n'eft pas fait la moindre mention de la Souveraineté de Neufchatel, non plus que dans le Teftament de René. Auffi, les Princes de Longueville la poffédérent-ils l'efpace de 250 ans, fans avoir été troublé dans leur poffeffion par qui que ce foit, pas même par le fameux Guillaume de Nassau mort Roi d'Angleterre, qui s'étoit trouvé en .fituation de faire valoir ses droits, s'il en avoit eu. Ce qu'il y eut de plus irrégulier, c'est qu'en favorifant les prétentions du Roi de Pruffe, les Etats adjugérent à ce Prince non feulement la Souveraineté de Neufchatel, mais encore les Comtés de Valengin & de Landron, avec quelques Châtellenies que les Princes de Longueville avoient acquis & réuni à leur Souveraineté, depuis même le Teftament de René de Naffau, d'où il fuivoit que ces Comtés & ces Châtellenies n'avoient pû être transportées au Roi de Pruffe, quand même il seroit iffu des Comtes de Châlons & leur héritier auffi bien que de René de Naffau.

Quoi qu'il en foit, le Tribunal Souverain des trois Etats du pays, ajourna tous les Prétendans. Les uns allérent eux-mêmes expliquer leurs prétentions fur les lieux, & ceux qui ne crurent pas leur préfence indifpenfable, y envoyérent des perfonnes pour les représenter. Le Prince de Conti y alla, & le Roi de Pruffe y envoya un Ministre. La Chambre formée des Etats du pays, décida (b) en faveur du Roi de Prusse dont les droits n'étoient affurément pas fondés ; mais c'étoit la destinée du Prince de Conti d'afpirer à des Couronnes (c), & de n'en porter aucune.

Le Roi Très-Chrétien, outre l'intérêt perfonnel qu'il avoit 4) En 1609.

(b) Le 3 de Novembre 1707.

C'est le même qui avoit été élu Roi de Pologne en 16973

à cette affaire & l'intérêt général des Prétendans fes Sujets qu'il devoit foutenir, en avoit encore un très - particulier, d'empêcher que cette Principauté ne fût poffédée par un Prince qui étoit actuellement fon ennemi, & qui pouvoit s'en servir pour pénétrer en France. Ce Monarque, fort bleffé du jugement, fit interdire aux habitans de Neufchatel, tout commerce en France (a), & fit avancer quelques troupes de ce côté-là; mais le Canton de Berne ayant déja reconnu le nouveau Souverain, & quelques autres Cantons paroiffant dans la difpofition d'en faire autant, le Roi Très - Chrétien ne voulut rien entreprendre qui fût capable de détacher les Suiffes de fon alliance, dans la conjoncture où il fe trouvoit. L'affaire ayant été mise en négociation à la Diette de Bade, il fut réglé, du confentement de toutes les Parties, que le Roi léveroit l'interdiction du commerce, &.que Neufchatel jouiroit de la neutralité, fans que directement ni indirectement les ennemis puffent faire paffer des troupes par là pour attaquer la France, la Principauté reftant au Roi de Prufse jufqu'à la paix générale. Tous les Cantons furent garans de ce Traité (b).

Cette affaire fut terminée fans retour, à la paix conclue à Utrecht (c). Louis XIV. reconnu le Roi de Pruffe pour Souverain Seigneur de la Principauté de Neufchatel & de Valengin, & promit, pour lui & pour fes Succeffeurs, qu'il ne les troubleroit point dans la poffeffion de cette Principauté, & fes habitans jouiroient en France des mêmes avantages dont y jouiffent ceux des autres pays de la Suiffe (d):

que

(4) Par une Ordonnance de Intendant de Franche-Comté publiée le 9 de No vembre 1707.

(b) Dont les ratifications furent échangées à Soleure le 14 de Mai 1708. (c) En 1713, art. 9.

(d) Voyez le détail de cette affaire dans Rouffet, Intérêts préfens des Puiffan ces de l'Europe, & dans Reboulet, Hiftoire de Louis XIV. PP. 333, 334 & 335 du III. Tome.

SECTION

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Si l'on peut réfifter par les armes au Souverain qui ne régne pas justement, le juger, le dépofer.

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LXXXV. Diverfité d'opilébre question.

U'IL feroit à fouhaiter que les Princes fuffent bien perfuadés que les peuples ont droit de leur réfifter nions fur cette cépar les armes; & que les peuples cruffent ne l'avoir pas ! Cette importante question eft infiniment controverfée parmi les Ecrivains. Les hommes peuvent ceffer d'être; mais pendant qu'ils font, ils ne peuvent ceffer de difputer. Sur quoi eft-ce qu'on ne trouve pas des raisons, finon bonnes, au moins spécieuses? On a écrit mille & mille volumes fur le fujet qui attire ici notre attention.

Hobbes étend fi fort l'autorité des Souverains, qu'il leur attribue un droit fur les hommes prefque femblable au pouvoir que les hommes exercent fur les autres animaux. On diroit qu'il a voulu juftifier ce difcours extravagant & impie de Caligula » Que puifque ceux qui conduisent les troupeaux de bêtes font d'une nature fupérieure aux bêtes, » faut bien que ceux qui commandent aux hommes ne foient pas de fimples hommes, mais des Dieux (a).

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il

Buchanan, l'auteur qui s'eft caché fous le nom de Junius Brutus, Paræus, Sidney, Althufius, Locke, Abbadie, Barbeyrac, & quelques autres mettent au contraire des bornes fi refferrées à l'autorité du Souverain, qu'ils n'en font que des Commis du peuple.

Barclay, Bignon, Boffuet, & mille autres Auteurs fe font déclarés pour le pouvoir facré des Rois. On peut même

(a) Philon Juif, dans son Ambassade,

Tome IV.

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jufqu'à un certain point, compter Grotius & Puffendorff parmi ces défenfeurs de la Royauté.

Il y a de l'excès fans doute dans l'une & dans l'autre des deux premieres opinions; mais ceux d'entre les Ecrivains qui ont cherché quelque tempérament entre des extrémités vicieuses, l'ont-ils trouvé? Écoutons fur cela Barclay. Cet Auteur, dans un endroit où il a prétendu que les Loix divines condamnent toute rebellion, parle ainsi :

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le peuple

Que fi quelqu'un dit: Faudra-t-il donc que foit toujours expofé à la cruauté & à la fureur de la tyran» nie? Les gens feront-ils obligés de voir tranquillement la faim, le fer, & le feu ravager, &c. Je réponds en deux » mots, que les loix de la nature permettent de fe défendre » foi-même; qu'il eft certain que tout un peuple a droit de » fe défendre, même contre fon Roi, mais qu'il ne faut ≫ pas fe venger de fon Roi; une telle vengeance étant con» traire aux loix de la nature. Ainfi, lorsqu'un Roi ne mal» traite pas fimplement quelques particuliers, mais qu'il exerce » encore une cruauté. & une tyrannie extrême & insuppor» table contre tout le corps de l'Etat dont il est le Chef, c'est-à-dire contre tout le peuple, ou du moins contre une partie considérable du peuple, en ce cas-là le peuple a » droit de résister & de fe défendre, mais de se défendre » feulement, non d'attaquer fon Prince. Il lui eft permis de » demander la réparation du dommage qui lui a été caufé » & de fe plaindre du tort qui lui eft fait, & non pas de fe départir, à cause des injuftices qui ont été exercées contre lui, du respect qu'il doit à fon Roi. Enfin, il a droit de repouffer une violence préfente, non de tirer vengeance » d'une violence paffée. La nature nous a donné le pouvoir » de faire l'un pour la défense de notre vie & de notre corps; mais elle ne permet pas l'autre. Avant que le mal foit

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