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SECTION XI.

A qui il appartient de prononcer fur le droit des
Prétendans à la Souveraineté.

'Il s'éleve des difputes entre deux ou plusieurs prétendans Saune sou vers sante,

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LXXVL Ni le Roi ni le peuple pris féparément, ne peuvent,

abfolument parfur la fucceffion à

lant, rendre un

Au dehors de l'Etat qui fait le fujet de la querelle, per fonne ne peut s'en conftituer le Juge. Cela eft évident, puisqu'un Etat eft indépendant des autres Etats. S'il y a deux la Souveraineté, Prétendans à la Souveraineté, & qu'il foit incertain à qui des deux elle appartient, il eft incertain par là même à qui des deux Prétendans les Sujets de l'Etat doivent leur obéiffance, & aucune Puiffance étrangère ne peut fe constituer leur Juge & leur prescrire une regle. Celui des Prétendans dont le Droit peut être fondé, ne fçauroit le tenir que de la Loi du pays; mais tous deux prétendent que cette Loi leur eft favorable, & c'eft une queftion pour la décifion de laquelle aucune Puissance étrangère n'a de pouvoir Législatif. Que fi l'on fuppofe que les deux concurrens soient fujets d'un même Prince & par conféquent foumis à un Juge commun, en tant que fujets, cette hipothèse n'attribuera point à ce Juge commun la puiffance de prononcer fur le droit des prétendans à une Souveraineté qui n'a aucun rapport à leur fujettion.

Qui en fera Juge dans l'Etat même?

Sera-ce le Roi régnant, au cas que la conteftation commence pendant fa vie? Mais fon autorité eft impuiffante à moins que l'Etat ne foit patrimonial. L'ordre de la fucceffion aux Etats patrimoniaux n'a pas été abandonné à la volonté du Roi régnant, il n'a aucune jurisdiction fur le droit de fon

LXXVII.

C'est néanmoins

Succeffeur, & il ne peut rien ni ajouter à ce droit, ni en rien diminuer.

Sera - ce le Peuple? Mais appartient-il au Peuple de prononcer avec autorité fur de tels différends? Il femble d'abord que non. Si l'Etat eft patrimonial, le peuple (dira-t-on) n'a aucun droit de difpofer de la fucceffion; & s'il n'eft pas patrimonial, la Nation a exercé & confommé fon droit , en élisant le premier Roi & appellant fes defcendans à la fucceffion. Le Prince qui doit regner eft déclaré par cette Loi primitive que la Nation a faite. Une fois que le peuple a reglé l'ordre de la fucceffion, il s'eft démis de tout pouvoir, & il n'en peut plus exercer aucun, tant que les dégrés de fucceffion que lui-même il a marqué fubfiftent. Les prétentions à la Couronne ne font pas de nature à pouvoir être décidées par une voie juridique. Le pouvoir judiciaire ne s'exerce que fur des fujets qui peuvent être contraints d'obéir, mais celui des Prétendans à la Couronne dont le droit eft fondé, n'eft point fujet de la Souveraineté, il n'en eft point le jufticiable, il est au contraire destiné à exercer la Souveraineté, par la Loi primitive de l'Etat qui l'y appelle.

On peut conclure de là que ni le Jugement du Prince; au Prince régnant ni celui du Peuple ne peuvent réguliérement avoir force de pays à prendre Loi, comme émanant d'un Supérieur.

& aux Etats du

connoiffance des

prétentions à la. Mais les différentes prétentions à la Couronne vacante,

Souveraineté, & à

y procéder, non en fufpendant les fonctions dans la perfonne du Souverain

par voie de juge

ment ,

voie de déclaration & de reconnoillance.

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mais par rendent pour quelques inftans l'autorité aux fujets, non
la retenir, mais pour mettre en evidence à qui d'entre
pour
les Prétendans elle eft dévolue, & la remettre à celui à
qui elle appartient légitimement. Un Auteur célébre penfe
que, comme dans le fimple état de nature, la Loi ne veut
pas qu'on en vienne d'abord aux armes, & qu'elle oblige

de

de foumettre les prétentions à un arbitrage, les Prétendans font ici tenus de s'en rapporter à des Arbitres (a). Ils y font obligés fans doute; mais qui contraindra les Parties à choisir ces arbitres, fi elles refufent d'en prendre? Et qui donnera au jugement Arbitral l'autorité néceffaire pour en affurer l'exécution? On conçoit d'abord que les étrangers ne pouvant pas être les arbitres d'un différend qui ne les regarde point, il faudroit prendre des arbitres dans la famille Royale même, ou entre les grands perfonnages du Royaume, ou parmi les Corps de l'Etat. Mais quel eft le Prince de la famille Royale, quel eft le grand perfonnage, quel est le Corps qui puiffe, fans la participation de l'Etat, rendre un jugement auquel la Nation doive fe foumettre? Eft-ce à la Partie à regler la deftinée du tout? Si l'on dit que des Arbitres peuvent être nommés du confentement de l'Etat, ce sera alors de l'Etat même qu'ils tiendront l'autorité de pro

noncer.

Ce n'eft en effet qu'au peuple pris collectivement que ce droit peut appartenir dans tous les cas. Son confentement est d'un fi grand poids, qu'il change l'ufurpation même en une domination légitime. Si la Couronne eft patrimoniale & que le Roi n'ait pas expliqué fa volonté, il est censé avoir voulu fuivre la Coutume. Eh! qui peut mieux que le peuple connoître la Coutume! Qui est plus intéressé à connoître de ce qui intéresse le repos public! Qui a plus droit d'y veiller! Le peuple étant moralement le même peuple qui a fait la Loi fondamentale de la fucceffion, au commencement de la Monarchie, il est le véritable interprète de l'efprit de cette Loi. Jamais le peuple a-t-il été fpectateur indifférent de ces conteftations célébres dont la décifion lui donne un maître ?

(d) Puffendorff, liv. 8. C. 7. §. 15, de fon grand Syflême ; & 1.2. C. 10. §. dernier de l'Abrégé.

Tome IV.

Oo

LXXVIII.

Exemples des

Difons donc que c'est à la prudence du Roi régnant à prendre les mesures propres à écarter les troubles que la fuccession à la Couronne peut exciter; mais qu'afin que ces mesures foient folides, il faut que les Etats généraux concourent avec le Prince. Que fi le Souverain n'a voulu ou n'a pu, avant fa mort, prendre des précautions contre un avenir fâcheux, c'est à la Nation à déclarer qui doit déformais la gouverner, & à pourvoir à la fûreté publique, par les voies que fa fagesse lui infpire contre les brigues ou les entreprifes des Prétendans.

La Nation n'a pas droit d'élire un nouveau Roi, cela est vrai, mais on ne peut raisonnablement révoquer en doute qu'elle ne puiffe reconnoître celui qui doit régner sur elle, aux termes de la Loi primitive. Quoique fon jugement ne foit pas juridique, les fujets doivent s'y foumettre par la confidération du bien public, qui rend cette voie indispensable. La Nation ne difpofe pas de la Couronne, elle reconnoît fimplement pour fon maître celui qu'elle croit appellé au Trône par la Loi fondamentale de l'Etat. Elle déclare auquel des Prétendans les sujets font obligés de prêter le ferment de fidélité, & doivent l'obéiffance (a).

Elle le peut faire, & elle le fait toujours. J'en rapporterai

décisions de plu- ici plufieurs exemples.

fieurs Nations en

pareil cas.

LXXIX.

ne de Jerufalemn.

Au Royaume de Jérusalem, c'étoient les Etats qui juDans le Royau geoient des droits de ceux qui prétendoient à la Couronne Cela eft juftifié par des Loix expreffes & par divers exemples, dans le livre que j'indique (b).

LXXX. En France.

Les Etats de France décidérent un de ces fameux diffé

(a) Voyez cette propofition établie dans la IX. Section de ce Chapitre au Sommaire: L'autorité du Prince, celle des Etats, & celle des Princes étrangers rendent valable dans tous les cas la renonciation au préjudice des defcendans de celui qui a renoncé.

(b) Hift. Politiq. d'Outremer qui fait partie du Livre intitulé: L'Abrégé Royal, par Labbe Jefuite, pp. 501, 514, 534, 535, 536, 541, 542, & 546.

rends entre Jeanne, fille de Louis le Hutin, & Philippe le Long.

Lorfque, peu de temps après, Philippe de Valois & Edouard III, Roi d'Angleterre fe difputerent la Couronne de France, les Barons de ce Royaume affemblés folemnellement écouterent l'un & l'autre Compétiteur, & prononcérent en faveur de Philippe (a).

LXXXI. A Navarre.

Charles, furnommé le Bel, Roi de France, mort fans enfans, les Etats de Navarre s'affemblerent. Ne doutant pas que ce Royaume n'appartint de droit à Jeanne, femme de Philippe Comte d'Evreux, & fille de Louis Hutin & de Marguerite de Bourgogne en qualité de petite fille de Dona Jeanne, Reine de France & propriétaire de Navarre, ils la proclamerent Reine, & nommerent Régens du Royaume, pendant fon absence, Don Jean Cerbaran de Zehet, & Don Jean Martinez de Medrano, Seigneur d'Arroniz. Philippe de Valois, qui avoit fuccedé au Trône de France, reconnoiffant que la Couronne de Navarre, n'étoit pas foumise à la Loi Salique, la laissa à Jeanne & au Comte d'Evreux fon mari ( b ). Il y eut un interregne & des troubles à la mort de Martin, unique du nom, Roi d'Arragon & de Valence, & Prince de En Espagne, .Catalogne (c).

Le Confeil de Catalogne publia d'abord un decret qui enjoignoit à tous les Sujets du Royaume de prendre les armes contre ceux des prétendans à la Couronne, qui ne foumettroient pas leurs droits à l'examen des Etats, déclarant ennemi de la patrie quiconque auroit recours à la force, pour empêcher que la fucceffion ne fût réglée en juftice. Ce Confeil ordonna enfuite I. que tous s'uniroient contre celui qui vou

(a) Voyez l'Introdu&ion Tom. II. Sea. III.

(b) Ferreras, Hiftoire d'Espagne, fous l'an 1328. (c) Arrivée le 3 de Mai 1410,

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LXXXII.

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