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VIII.

La Puiffance

familles Souveraines, & que les Papes les accordent non-feulement à des perfonnes illuftres, mais même à de fimples particuliers. Il y en a cent exemples en Espagne. La Pologne en a fourni plufieurs, & le Comte de Flemming, grand Trésorier de Lithuanie, vient d'épouser, (a) avec dispense du S. Siége, la feconde fille du prince Czartorinsky dont il avoit épousé l'ainée en premieres nôces. Pour me borner ici à quelques exemples de France, je remarquerai fimplement que le Maréchal de Crequi obtint des difpenfes pour époufer les deux fœurs; qu'un Capitaine de Cavalerie nommé Recourt, avec une dispense d'Innocent X, épousa auffi fucceffivement deux fœurs; qu'un fimple Gentilhomme du feu Comte d'Armagnac', Grand Ecuyer de France, nommé La Chenaye, eut la permission d'épouser les deux filles d'une femme appellée Beaufort; que Paris de Montmartel, actuellement vivant, avoit époufé en premieres nôces fa propre niéce ; & qu'enfin le Duc de Bouillon d'aujourd'hui, qui a furvêcu à sa femma, avoit époufé la veuve de fon frére ainé, petite fille du fameux Jean Sobiesky, Roi de Pologne.

Comme l'obligation de fe marier eft indéterminée, c'est temporelle peut aux Loix civiles à fixer le tems où les citoyens feront capatems & les autres bles des effets naturels & civils du mariage, quelles con

déterminer le

conditions des

mariages, & jonctions feront légitimes, & quelles illégitimes, le genre des alliances, & les formalités qui y doivent être obserEccléfiaftique ne vées.

mettre des empêchemens dirimans. L'Autorité

le peut.

Le remede doit commencer où commence le befoin ; & fur ce principe, il femble qu'on pourroit foutenir que dès enfans font en état de fupporter les charges & de remplir les devoirs du mariage, ils font en droit de se marier; mais dans un âge tendre, les enfans ne font pas tous en état de juger de ce qui convient à leurs interêts, il faut (4) En 1747

que

la raison de leurs parens vienne au fecours de la leur. On n'a pû faire une loi particuliére pour chaque enfant, & l'on en a fait une générale pour tous, parce que les hommes ont à peu-près la même capacité au même âge. Ce font les befoins de la fociété, considérée en général, qui ont dé terminé le Réglement.

Il y a des pays où il est défendu aux citoyens, d'épouser des étrangères, & aux Nobles de fe marier à des roturieres.

Dans l'ancienne Rome, la Loi Papia-Poppea portoit qu'une femme âgée de cinquante ans ne pouvoit pas fe marier avec un homme qui en eût moins de foixante ; & qu'un homme de foixante ans ne pourroit pas non plus époufer une femme qui en auroit moins de cinquante. On puniffoit de mort non seulement le rapt de violence, mais celui de féduction.

Parmi les Indiens où le peuple eft divifé en plufieurs claffes, une Loi de Brama leur Légiflateur défend aux Laboureurs d'époufer les filles des artisans, & aux artisans d'époufer celles des Laboureurs, & ainfi des autres profeffions.

Les Ordonnances de France, (a) qui ont preferit les folemnités & les conditions néceffaires pour la validité des mariages, exigent la proclamation des bancs, la présence du propre Curé, & celle des témoins affiftans à la bénédiction nuptiale. Elles prononcent des peines contre les Curés, Vicaires, & autre Prêtres qui pafferont outre à la célébration des mariages des enfans de famille, fans le confentement des peres & meres, tuteurs & curateurs. Parmi nous, le rapt de violence eft puni de mort, (b) & la punition du rapt de féduction eft réglée par est les circonftances. La nullité & l'exhéredation font les pei

(a) Ordonnance de 1639. précédée & fuivie de plufieurs autres.

(b) Et néanmoins voulons que ceux qui fe trouveront avoir fuborné fils ou filles mineurs de vingt-cinq ans fous prétexte de mariage ou autre couleur, fans le gré, fçu, vouloir, & confentement exprès des peres & meres & tuteurs, foient punis de mort. Art. 42. de l'Edit de Blois. Nos Rois s'engagent le jour de leur Sacre à ne point pardonner le crime de rapt

nes des mariages faits volontairement par les mineurs, fans le confentement des peres, des meres, ou des tuteurs fous la puiffance de qui ils étoient. Les Curés, avant que de commencer les cérémonies du mariage, font tenus de s'informer foigneufement, par quatre témoins dignes de foi, du domicile aussibien que de l'âge & de la qualité de ceux qui le contractent, & s'ils font enfans de famille ou en la puiffance d'autrui, afin d'avoir en ce cas le confentement de leurs peres, meres, ou tuteurs. On procéde extraordinairement contre les Curés & contre les témoins qui ne fe conforment pas aux Ordonnances du Souverain (a); & nous vîmes il n'y a pas longtems, un grand exemple de la févérité des Tribunaux. Une Demoiselle de treize ans, (b) qui étoit extrêmement riche, & qui vivoit dans un Couvent à Paris, en étant fortie, par la permiffion de la Supérieure, fous prétexte d'aller voir fa mere dont elle avoit rendu une fauffe fettre à la Supérieure, alla dans une terre (c) en Poitou, trouver un Gentilhomme (d) fort pauvre & âgé de plus de cinquante ans, qui s'y étoit rendu, après que toutes les mefures pour l'évasion de la fille eurent été prifes entre eux. Le Curé de la Paroiffe les maria. Les parens de la fille firent faire des Procédures fur la féduction & fur toutes les fuites qu'elle avoit eue; & par l'Arrêt qui fut rendu au Parlement de Paris, (e) le mariage fut déclaré mal célebré, & le Raviffeur condamné à avoir la tête tranchée; la femme de chambre qui avoit accompagné la fille féduite, à être fuftigée, flétrie, & bannie du Royaume à perpétuité; le Curé, à faire amende

(a) Ordonnance de 1556, & Edit du mois de Mars 1697.

(b) Nommée Perenc de Moras, dont le pere étoit mort Maître des Requêtes, Elle a fait depuis un autre mariage.

(c) Contré.

(d) Nommé le Marquis de Courbon.

(e) L'Arrêt par contumace contre Courbon, contradictoire avec les autres accufés, eft du 21 de Mars 1739. Il fut exécuté le 7 d'Avril fuivant, à l'égard de la femme de Chambre, & le 8 à l'égard du Curé, réellement; & à l'égard de Courbon, en effigie,

honorable

honorable & banni du Royaume pour neuf ans ; & le pere du Curé, qui avoit affifté au mariage comme témoin, banni pour

trois ans.

Les Eccléfiaftiques de ce Royaume reconnoiffent que les Princes ont droit de mettre des empêchemens dirimans aux mariages; mais quelques-uns d'entre eux penfent que la nullité prononcée par la Puiffance temporelle, fe borne aux effets purement civils, fans donner atteinte au Sacrement; qu'un Arrêt qui, fur la difpofition des Loix civiles, anéantit un mariage, ne délie ni l'honneur ni la confcience des Parties; & qu'il y auroit un grand inconvénient que les Loix civiles prononçaffent une nullité abfolue des mariages fans le confentement de l'Eglife. Ce fentiment, ils n'oferoient le donner par écrit, parce qu'ils en feroient repris par les Parlemens (a) & par tous les Tribunaux du Royaume qui, fans faire aucune forte de mention des effets civils, jugent tous les jours que le défaut des formalités ordonnées par les Loix du pays rend les mariages abfolument illégitimes, qui défendent aux Parties ainsi mal conjointes de se hanter & fréquenter, & qui les autorisent ainsi à prendre d'autres engagemens. Le Sacrement de Mariage fuppofant un Contrat, celui-ci ne peut être nul, que l'autre ne le foit pareillement. Dieu pourroit-il approuver un engagement contracté par un Citoyen, au mépris d'une Puiffance qu'il a lui même établie sur la société & à laquelle il a ordonné d'obéir?

Les formalités que le Droit civil prefcrit font implicitement comprises dans le Droit naturel, parce que la Loi naturelle ordonne que les membres de l'Etat foient foumis à l'Etat.

Dans les mariages, c'eft le Contrat civil qui fonde la matiere

(a) Voyez l'Arrêt célébre du Parlement de Paris du 16 de Février 1677, au fujet d'une Thèfe de Jacques Lhuillier, foutenue en Sorbonne, depuis la page 276 jufqu'à la page 284 d'un livre qui a pour titre : Notes fur le Concile de Trente. Bruxelles 1078, in-4°,

Tome IV

D

du Sacrement. L'effence de ce Contrat confifte dans le confentement mutuel des deux parties. Le Sacrement n'étant fondé que fur la plénitude de puissance & de liberté dans ceux qui contractent, il n'est point appliqué à ceux qui n'ont pas la capacité de consentir. Cette capacité se mesure par les regles du Droit Civil, par l'ordre des Etats, & par les Loix publiques reçues dans chaque Royaume.

Le Contrat civil, pour avoir été élevé par la nouvelle alliance à la dignité de Sacrement, n'a pas ceffé d'être foumis à l'autorité & aux Loix des Princes, comme il l'étoit auparavant. L'Evangile n'a pas diminué l'autorité des Souverains, elle a au contraire augmenté l'obéiffance des Sujets envers leurs Princes, en les y attachant par un nouveau lien plus fort que tous les autres, celui de la Religion: ainfi, le Contrat de mariage n'a pas changé de nature, il est toujours la bafe du Sacrement, & le Sacrement fuppofe toujours la matiere propre & naturelle pour faire le Sacrement. Les actes des Contraâans qui peuvent fervir de matiere ou de base au mariage, ne lui en fervent effectivement qu'en tant qu'ils font véritables & légitimes. Si le Baptême, ne peut s'administrer qu'avec de l'eau naturelle, le Mariage ne peut avoir lieu qu'en conféquence d'un confentement légitime donné felon les Loix; & comme le Baptême administré avec du vin ou avec quelque autre liqueur, ne feroit pas valable; de même le Contrat civil du Mariage, où le confentement réciproque des Parties ne fe trouveroit pas légitime, ne peut être élevé à la dignité de Sacrement.

Le rapt de violence & celui de féduction étant, felon le fentiment même des Théologiens, un empêchement dirimant, il s'enfuit que le défaut du confentement des parens pour le mariage des mineurs, eft auffi un empêchement dirimant, parce que dans nos mœurs, un tel mariage eft toujours regardé comme l'effet de la féduction.

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