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LIV.
La même nécef-

de les former, un droit naturel de pourvoir à leur propre confervation, de toutes les manieres poffibles. C'eft pour en venir à bout plus aifément qu'ils fe font unis, & par conféquent, fi l'état eft dans l'impuiffance de remplir cet objet de l'union, de protéger & de défendre quelques-uns de fes citoyens, ceux-ci font dégagés de l'obligation où ils étoient envers lui, & rentrent dans leur ancien droit de pourvoir euxmêmes à leurs befoins, comme ils le jugeront à propos. l'Etat n'a pas plus de droit fur fes membres, que les premiers fondateurs de la fociété ne lui en ont accordé; & comme il ne s'eft engagé à défendre les particuliers qu'autant qu'il n'en feroit pas empêché par quelque néceffité infurmontable, il est cenfé avoir confenti que chacun fe fauvât comme il pourroit dans le cas de cette néceffité. Il n'en eft pas ici comme des membres du corps humain dont on peut facrifier l'un directement & de propos délibéré pour conferver les autres; car les membres des corps naturels ne vivent que par les corps, au lieu que les membres des corps moraux peuvent exister féparément. Le Corps Politique n'a donc pas fur fes membres le même droit que le corps humain a, fi l'on peut parler ainfi, fur les fiens.

Que fi un Roi eft réduit à la néceffité de faire la paix, fité peut autorifer avec un Ennemi plus puiffant qui l'oblige de lui céder une réferve, il la doit partie de fes Etats, dont les peuples ne veulent

tion,& avec quelle

faire.

pas changer de Maître, il doit retirer fes garnifons & fes Troupes qu'il a dans le pays, pour empêcher que le Vainqueur ne s'en empare; mais il ne peut légitimement forcer les habitans à reconnoître pour leur Souverain le Prince en faveur de qui il ne se dépouille que malgré lui de fon Empire fur eux: de forte que, s'ils font affez forts pour faire tête à l'Etranger, rien n'empêche qu'ils ne lui réfiftent & qu'ils ne s'érigent un corps d'Etat féparé: bien entendu que le Prince qui a fait une cef

fion eft, de fa part, privé de tout droit à la chofe cédée. En vertu d'une telle convention, le Roi & le peuple qui lui reftent perdent tout droit fur ce pays-là, Mais le Vainqueur n'en devient le légitime Souverain, que par le confentement des habitans même qui lui prêtent le ferment de fidélité. Il fuit des principes établis, qu'il n'eft pas permis au Roi de rendre feudataire de quelque autre Prince un Royaume rendre feudataire non patrimonial, fans le confentement du peuple, parce que ceffif, ni remettre cela emporte une aliénation conditionnelle, qui fait paffer et dû à fon Etat, le Royaume à un Etranger en cas de félonie & au défaut Domaine, d'héritiers de la famille régnante.

Que le peuple peut, par la même raison, revendiquer un hommage que le Roi a cédé, de fa feule autorité, à un Vaffal du Royaume.

Que le Prince ne peut, fans l'approbation du peuple, & fur-tout, fans le confentement du Pays dont il est question, engager aucune partie de fon Royaume. Il le peut encore moins, fi l'engagement eft accompagné de cette clause qu'on appelle commiffoire dans quelques Pays, & irritante dans d'autres, c'est-à-dire de la ftipulation que, faute de faire le payement dans un certain tems, la partie d'Etat engagée demeurera à l'Engagiste & deviendra une aliénation abfolue. Ce n'est pas feulement parce que l'aliénation eft fouvent une fuite de l'engagement, c'eft encore parce que le peuple, en se choisissant volontairement un Roi, a voulu être gouverné par lui & non par aucun autre, & que ceux qui fe font joints pour ne former qu'un feul peuple, font cenfès avoir prétendu demeurer inféparablement unis à ce peuple, & qu'enfin le Roi ne fçauroit, fans le confentement du peuple, aliéner quoique ce foit, ni du Domaine de l'Etat, ni même de celui de la Couronne dont il n'a que l'ufufruit & qui doit fervir à l'entretien de ses succeffeurs. Mais il faut diftinguer entre le fonds

LV.

Le Roi ne peut

le Royaume fuc

u hommage qui

ni en aliéner le

même des biens & les revenus qu'ils produifent. Le Roi peut difpofer des revenus, comme il le juge à propos, quoiqu'il ne puiffe pas aliéner le fonds; & néanmoins, comme il a droit d'établir de nouveaux impôts, lorfque les befoins de l'Etat le demandent, il peut, dans une nécessité, engager quelque partie du Domaine, & le peuple eft tenu de le racheter. La raison en est évidente. Puifque le peuple étoit tenu de payer les impôts que le Prince exige en pareil cas, il doit racheter ce que le Prince a engagé dans les befoins publics, car il n'y a point de différence entre donner de l'argent pour empêcher qu'on n'engage une chofe, ou la racheter après qu'on a été contraint de l'engager. En ce cas-là, quoique chaque citoyen doive contribuer pour fa part au payement de la fomme empruntée, aucun ne peut être regardé en particulier comme débiteur de cette fomme. Que fi le Roi a fourni quelque chofe de fon patrimoine particulier pour les befoins de l'Etat, le Domaine lui eft comme hypothéqué pour la valeur de fa dette, jufqu'à ce que le peuple l'ait acquittée.

Au refte, tout ce que je viens de dire ne doit être entendu que dans la fuppofition que les chofes ne fe trouvent pas autrement réglées par des Loix fondamentales de l'Etat, lefquelles ayent refferré ou étendu le pouvoir du Prince ou celui du peuple. Il faut auffi rappeller les principes que j'ai pofé dans le Traité du droit des Gens, pour connoître l'étendue & les bornes des régles du Droit Public, & comment la maxime de l'inaliénabilité doit être entendue,

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Si le Souverain peut abdiquer la Couronne, & fi l'on peut renoncer, non feulement pour foi, mais pour fes héritiers, à l'efpérance de la porter.

UN

LVI:

de
Des abdications

N Souverain peut abdiquer de deux maniéres, la Couronne qu'il porte; tacitement, en abandonnant réelle- en général. ment le foin de fon Etat, expreffément par une Déclaration folemnelle.

Il y a lieu de douter s'il fe trouve un feul exemple d'un Monarque qui ait abandonné si totalement le foin des affaires publiques, qu'on ait pu inférer une volonté déterminée de renoncer à la Couronne. Les Princes les plus indolens ne portent pas la négligence au point qu'on en puiffe tirer cette conféquence. Notre Henri III, qui quitta clandeftinement la Pologne pour venir s'affeoir fur le Trône de fes Ancêtres, prétendoit retenir l'autorité de la Couronne élective qu'on avoit placée fur fa tête, comme il en retint toute fa vie le titre; mais les Polonois eurent raifon de déclarer leur Trône vacant & de fe donner un autre Roi, puifque Henri n'étoit plus à portée de gouverner la Pologne, & que fa retraite équipolloit par conféquent à une abdication.

L'autre manière d'abdication qui eft formelle est donc la feule dont je doive traiter. Le défir de dominer agit vivement fur le cœur des hommes. La plupart des Princes confervent d'ordinaire jusqu'au dernier fouffle de leur vie, une forte passion pour la fouveraine puiffance, & il eft rare de les voir s'en dépouiller. L'hiftoire fournit néanmoins quelques exemples de Souverains qui ont quitté des Sceptres fans y être contraints.

LVII. Exemples d'abdications.

On en trouve deux dans l'Hiftoire Sacrée, celui de David qui étant avancé en age, mit Salomon fon fils en fa place & le fit oindre folemnellement; & celui du Roi Ofias, autrement Azarias qui, frappé de lèpre par une punition divine, céda le trône à Joatham fon fils.

L'Hiftoire Prophane nous en fournit un plus grand nombre. L'amour de l'étude a fait résigner des Sceptres. Il porta Héraclite à abdiquer la Principauté d'Ephèse, comme il engagea Empedocle à refufer la Royauté d'Agrigente.

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Artaxerxès Mnemon, Roi de Perfe, céda l'Empire à fon fils Darius, pour faire ceffer les prétentions que fes autres enfans y avoient: exemple d'autant plus remarquable que les Rois de Perfe demeuroient Rois toute leur vie, par une coutume jufqu'alors inviolable (a): cette marque de tendreffe paternelle fut mal reconnue. Le fils, pour jouir de la maitreffe de fon pere, conjura contre fa vie. Il en fut puni, & le Pere en mourut de douleur.

Ptolomée Lagus, fondateur de la nouvelle Monarchie d'Egypte, renonça à fes Etats en faveur de Ptolomée Philadelphe, le plus jeune de fes fils. Il avoit coutume de dire qu'il fentoit plus de plaifir de se voir pere du Roi, qu'il n'en avoit jamais eu d'être Roi lui-même. (b)

Jean, Roi d'Arménie, abandonna fon Etat à Léon fon neveu, pour entrer dans l'Ordre de faint François.

C'est un problême historique si, en adoptant Trajan, Nerva se démit tout à fait de l'Empire, ou s'il ne fit qu'y associer ce fils adoptif. On lit dans Aurélius Victor (c), que Nerva abdiqua après seize mois de régne. Pline le jeune (d) ne paroît pas moins exprès fur ce point, lorfqu'il remarque que

(4) Juftin, lib. 10. Cap. 1, 2; Plutar. in vitâ Artaxerxis.

(b) Paruta, de la vie Politiq. Liv. 3.

(c) De Cafaribus.

(d) Lib. 7. Ep. 23.

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