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& le peuple porte expreffément que le Prince aura droit d'aliener la Couronne, il l'a effectivement, & le Royaume eft patrimonial. Il n'eft qu'un feul exemple d'une convention de cette espèce, c'est celui dont parle la Genèse (a) entre les Egyptiens & leur Roi. La maxime, que les perfonnes libres n'entrent point dans une telle ftipulation, n'a d'application qu'aux particuliers & non à tout le Corps du peuple. Les particuliers qui font membres d'une focieté ne laissent pas d'être libres, quoique le peuple entier ait un Souverain. La liberté d'un homme consiste à n'avoir point de maître particulier qui puiffe difpofer de toutes les actions & même de fa perfonne comme de fon bien, & ceux qui font partie d'un peuple dépendant, n'ont comme tels qu'un maître commun qui a droit de leur commander, comme à fes Sujets ; ainsi › lorsqu'un Roi aliene fa Couronne, on ne peut pas dire qu'il trafique de fes Sujets confidérés chacun en particulier, car il n'arrive aucun changement dans leur état, il n'en arrive que dans le nom du Roi.

Quelquefois le peuple doit fçavoir plus de gré au Prince qui a cédé à ses empreffemens, que le Prince ne doit avoir d'obligation au peuple qui a voulu vivre fous fes Loix. Tel est le cas d'un Souverain qui prend fous fa protection un peuple qui s'y foumet, pour éviter une deftruction prochaine dont il étoit menacé. S'il ne le fait qu'à condition qu'il pourra difpofer de la Souveraineté, il eft inconteftablement en droit de l'aliener.

Ce n'eft que dans ces trois cas qu'un Etat peut être confidéré comme patrimonial, mais on fait fouvent violence à la regle. Les Princes dont la Souveraineté n'est pas patrimo niale, en dispofent quelquefois, comme fi elle l'étoit ; & prennent des mesures pour rendre inutiles la résistance des (a) Chap. 47. ¥. 18.

Sujets ; & les Sujets fe foumettent à cette difpofition, pour éviter de plus grands inconvéniens,

Des Souverains font des fubftitutions graduelles & perpétuelles pour transmettre la Souveraineté dans l'ordre qu'il leur plaît d'établir. On en a un exemple dans la Principauté de Monaco (a) qui est déférée par une fubftitution faite depuis plufieurs fiécles.

Combien de Rois ont donné par Teftament leurs Royaumes au peuple Romain! Si ces Teftamens étoient bons, fi ceux qui les avoient faits avoient pû difpofer de leurs Etats, c'eft ce que Rome décidcit au gré de fa puiffance & de fa politique.

Les Czars de Ruffie fe font mis en poffeffion de nommer leur héritier (b).

Humbert, Dauphin de Viennois, n'ayant point d'enfans, disposa de fa Province en faveur des Rois de France (c).

Le Chef de la Maifon de Lorraine céda le 18 Novembre 1738, les Duchés de Lorraine & de Bar à Stanislas premier Roi de Pologne, pour être réunis à la Couronne de France; & les Puiffances contractantes dans ce Traité, lui çédérent la Toscane. Par ce même Traité, l'Empereur Charles VI, qui avoit cédé les deux Siciles à Don Carlos Infant d'Efpagne, entra en poffeffion des Duchés de Parme & de Plaifance (d). Marie-Therèse-d'Autriche, fille & héritière de cet Empereur, qui jouit de ces deux Duchés après lui, en céda une partie au Roi de Sardaigne (e). Ces deux Duchés ont été cédés en entier avec celui de Guaftalla (ƒ) à Don Philippe autre Infant d'Espagne.

(4) Voyez la premier Section du VII. Chap. de l'Introduction, p. 24. T. 27 (b) Voyez le T. 2. Sect. XXIV. de l'Introduction.

(La donation du Dauphiné fe trouve dans le Corps universel Diplomatique du Droit des gens, premier vol. deuxieme Partie, pp. 210 & 227.

(d) Voyez la Section XII. du T. II. de l'Introduction.

(e) Par le Traité de Worms en 1743.

(f) Par le Traité d'Aix-la-Chapelle de 1748,

Revenons à la régle, car ces faits hiftoriques n'en peuvent fervir.

Les Etats patrimoniaux ressemblent aux biens libres, aux poffeffions propres des particuliers. Le poffeffeur en eft abfolument le maître, il peut les donner, les vendre, les aliener, & en difpofer par tel Contrat, par tel Traité, & de telle maniére qu'il juge à propos.

Grotius (a) prouve au long, que celui qui a une Souve raineté patrimoniale en peut difpofer par Teftament, & il en rapporte un grand nombres d'exemples.

Puffendorff (b) dit que, dans les Royaumes patrimoniaux, le Roi eft en droit de regler fa fucceffion, comme il le juge bon, & que lorfqu'il a expreffément déclaré fa volonté, il faut la fuivre religieufement.

Mais la maniére dont les Royaumes ont été fondés, eft prefque toujours inconnue, & il est très difficile, au milieu des ténébres qui nous environnent, par rapport à cette origine incertaine, de déterminer quels Royaumes font patrimoniaux, & quels non patrimoniaux. Nous n'en connoiffons point en Europe que nous puiffions affûrer être patrimoniaux, & cette distinction de Royaume en patrimoniaux & non patrimoniaux, n'eft prefque d'aucun ufage.

XXXV. Monarchies ou

proprement héré lement linéales ou

ditaires, & feu

L'Etat qui n'eft pas patrimonial eft improprement appellé héréditaire, il eft fimplement linéal ou fucceffif, & il a été Principautés imrendu tel par le libre confentement des peuples qui font présumés avoir élû originairement un premier. Roi, & avoir fucceffiven attaché la Royauté à sa famille (c). Par cette élection primitive, le peuple fe dépouilla folemnellement du droit d'élire fes Souverains, tant que fubfifteroit la ligne de (a) Liv. 1. Ch. 3. N. 12.

b) Liv. 7. Ch. 7. §. 11.

Jus enim ab electione familiæ cæptum fuccedendo continuatur, quare quantum prima electio tribuit, tantum defert fucceffio. Grotius de jure belli & pacis L. 1. C. 3. N. 10§. 5. Id. l. 2. C. 7. N. 10. & feq.

celui qui venoit d'être élu, & celui-ci acquit en même tems pour tous fes descendans mâles à l'infini, le droit exclusis de regner.

Il en est d'une telle Couronne comme de ces biens qui; dans les familles particulieres, font fubftitués, & dont aucun des poffeffeurs ne peut difpofer au préjudice de fes defcendans ou des fucceffeurs compris dans la fubftitution. Le Prince qui pofféde un Etat fucceffif, ne peut faire aucune difpofition au préjudice de fes fucceffeurs, inftitués de droit comme lui, par la même substitution. C'eft par cette raison qu'on dit que les Rois dont il eft ici question ne poffédent le Royaume que comme ufufruitiers, parce qu'ils ne peuvent changer la Loi primitive de l'Etat. La Couronne eft; en ce cas, comme le patrimoine de tous les Princes du Sang du Roi régnant. Si elle eft placée fur la tête d'un feul qui est en même tems le Chef de leur maison & leur Roi, ils n'en ont pas moins tous le droit d'y venir un jour & de la pofféder au même titre que le Roi régnant la pofféde. Il n'en eft enfin que l'Adminiftrateur, l'économe, l'ufufruitier.

Le poffeffeur qui fe dépouille d'un Etat patrimonial en prive conféquemment toute fa poftérité. Dans la fucceffion linéale au contraire, celui qui fuccéde ne tient rien de fon Prédéceffeur, il n'en eft point l'héritier, il n'en eft que le fucceffeur. Il tient de lui même, de fon fang, de la loi, & de la convention (a). Cette fucceffion eft proprement un fidéi-commis perpétuel, en vertu duquel ceux qui poffédent ne font que transmettre ce qui leur a été confié par la Loi.

(a) Omnia regna fpeciali quadam regiâ fucceffione quæ non jure hæreditario; fed jure fanguinis nititur, ex difpofitione legis & confuetudinis, vi pacti & primæ conceffionis, ad fucceffores à lege & confuetudine vocatos, & in inveftituris comprehenfos defcendere & devolvi, ufque adeò ut omnis hæreditaria qualitas & confideratio in tantum remota fit, ut nulli Regum fas fit de regno fuo per ultimam voluntatem difponere vel per contractum & commercium inter vivos. Vindicia Palatina, Num. 61.

SECTION

SECTION VII.

Des différens ordres de Succeffion aux Souverainetés.

L

A Loi qui régle la fucceffion à la Couronne par le droit du Sang, par celui d'une Coutume conftante, eft, felon l'un de nos plus fameux Jurifconfultes, égale au Droit des Gens (a). J'ai expliqué ailleurs (b) ce que les Jurifconfultes du Droit civil entendent par Droit des Gens, & il fuffit de remarquer ici, que cette expreffion du Jurifconfulte François signifie, dans le fens dans lequel il l'employe, que la Loi qui régle la fucceffion à la Couronne, eft refpectée dans toutes les focietés civils. Cette Loi eft en effet dans chaque Etat l'appui le plus ferme de la Monarchie, parce qu'en empêchant les interrégnes & difpenfant des élections, elle prévient des brigues & des conteftations qui d'ordinaire dégénérent en guerres civiles toujours funeftes à l'Etat.

XXX VI.
La Loi de la fuc-

ceffion eft le plus
Monarchies.

ferme appui des

XXXVII Diverfité pref

ges dans l'ordre de fuccéder aux

Etats Souverains.

La succession aux biens des particuliers a été différemment reglée chez les peuples anciens & modernes (c). Les que infinie d'ufaLoix, les Coutumes ont varié à l'infini les régles pour la fucceffion aux fortunes privées ; & il y a bien autant de diversité dans les régles pour les fucceffions des Souverains. Celles-ci font les feules qui doivent attirer notre attention. Chaque peuple s'en eft fait de conformes à fes mœurs.

Quelques Nations obfervent la fucceffion Agnatique, quel

(a) Quotiefcumque regni fucceffio defertur ex Lege, antiquiffimâ Confuetudine, quod quafi Jure Gentium obvenit, illius fucceffio deferetur jure fanguinis & perpetuæ Confuetudinis. Car. Molin. in Confuet. Parif. Tom. I. Cap. 8. Gloff. 3. Mem. [8:

(b) Dans l'Idée que j'ai donné du Droit des Gens, au commencement du Traité de ce même Droit.

(c) Voyez dans le premier Chap. de ce vol. la premiere Section, au Sommaire: Des fucceffions.

Tome IV.

Cc

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