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Cet Edit du feu Roi, qui n'accordoit des priviléges que dans un cas extrêmement rare, ne pouvoit pas beaucoup contribuer à la propagation, & il n'eft même plus en vigueur.

L'intérêt des fociétés civiles a formé ces loix, & produit ces priviléges. La raifon nous dit que le mariage étant une source féconde qui produit la force & la grandeur des Etats, chaque citoyen eft obligé d'entrer dans un engagement qui feul peut les perpétuer; mais comme l'obligation de fe marier qui en réfulte n'eft fondée que fur une loi affirmative, indéterminée, chaque perfonne n'eft pas obligée de fe marier indifpenfablement dans tous les tems, dans toutes les occafions. Ces loix affirmatives fuppofent toujours que l'on ait une occasion favorable qui mettent dans l'obligation de fe marier. Cette obligation ne dépend pas feulement de l'âge ou des facultés naturelles néceffaires à la génération. Il faut encore, pour rendre cette obligation parfaite & déterminée à un certain fujet, que ce fujet trouve un parti honnête, qu'il ait de quoi entretenir une femme & des enfans, que des foins pénibles & laborieux ne l'éloignent pas du mariage, & qu'il foit en état de foûtenir, de tout point, le perfonnage, de mari & celui de pere de famille.

On n'eft donc pas obligé de fe marier lorfqu'on eft trop jeune, qu'on n'a aucune forte de bien, & qu'on a un jufte sujet de craindre qu'on ne donnât à la République des citoyens miférables. Ceux qui ont le don de continence, & qui par conféquent ne troublent pas la fociété, par des commerces licentieux, peuvent auffi ne pas fe marier, lorfqu'ils fe croyent plus utiles à la fociété, en yivant dans le célibat. On ne doit pas non plus blâmer ceux qui craignent de donner aux enfans d'un premier lit une marâtre ou un beaupere fâcheux, ou de causer à ses enfans un préjudice considérable en passant à de fecondes nôces,

Tome IV.

C

Par la même raison, il est évident que le Légiflateur peut forcer au mariage tous ceux qui font dans un âge & d'une conftitution propre à en remplir les devoirs, ou qu'il peut mettre en fituation d'en foûtenir les dépenses; mais il est beaucoup plus utile à un Etat d'engager au mariage par l'attrait féduisant des récompenfes, que d'y forcer par la crainte fervile des peines.

Comme il y a des caufes légitimes de ne pas appliquer à certaines perfonnes l'obligation indéterminée qu'impose la loi civile de fe marier, il y en a auffi qui ajoutent à cette obligation un engagement particulier pour d'autres perfonnes. Par exemple, lorsque la Famille régnante eft réduite à la perfonne feule qui eft affife fur le Trône, les inconvéniens des interrégnes & les mouvemens, qui peuvent troubler l'Etat dans un changement de Gouvernement, impofent au Prince un engagement particulier de fe marier; mais pour ces cas extraordinaires, on peut s'en rapporter à la fageffe de la nation & à cet amour de la postérité qu'elle a donné à chaque homme, amour qui agit bien plus puiffamment fur le cœur des Souverains, que fur celui des particuliers.

Il feroit bien injufte de défendre pour un tems à tous les Citoyens de fe marier, ou de ne le permettre qu'aux aînés des familles, comme fi le don de continence étoit propre des cadets. Ce moyen d'empêcher la trop grande multiplication. des Citoyens, dans certains pays où elle paroît à craindre, ne feroit guére moins dur que la coutume barbare d'expofer les enfans qui étoit autrefois fi commune parmi les Grecs, & qui l'eft encore parmi les Chinois, ou que l'expédient confeillé par Ariftote de faire avorter les femmes ; mais comme l'expérience apprend que certains emplois peuvent-être beaucoup mieux exercés dans le célibat que dans le mariage, rien n'empêche que les loix civiles n'excluent de ces emplois les gens mariés, ou ne les ôtent à ceux qui ne fçauroient le

réfoudre à vivre dans le célibat. Cette exclusion même doit fuppofer que l'Etat foit affez peuplé d'ailleurs, & qu'il renferme dans fon fein affez de gens continens pour ne pas craindre qu'elle faffe violence au naturel des habitans, ou qu'elle introduise d'un côté le déréglement, pendant qu'elle établit de l'autre un ordre néceffaire.

VI. Conditions né.

dre un Mariage

Pour se marier, il faut avoir les qualités physiques convenables au mariage, c'est-à-dire une conftitution propre à fon ceffaires pour renprincipal but, la propagation de l'efpéce: ainfi, marier une fille valable. avant qu'elle foit nubile, c'est faire outrage à la nature: ainfi, ceux qui n'ont pas la puiffance de fatisfaire le penchant d'un fexe pour l'autre, ne peuvent non plus prétendre au mariage que les Eunuques. Il faut encore avoir l'usage de la raison, donner un confentement libre, n'être dans aucune erreur de la perfonne & ne pas fe trouver non plus actuellement dans les liens d'un autre mariage. Si toutes ces circonstances ne concourent, le mariage n'est pas valablement contracté.

La confanguinité & l'alliance ne forment naturellement aucun obstacle à l'union des deux fexes; mais les Loix civiles, conformes en cela aux Réglemens Canoniques, défendent les mariages à un certain degré de confanguinité & d'alliance, enforte que, par cet obftacle moral, les mariages entre ceux qui font parens à certains degrés, ou alliés d'une certaine maniére, passent pour impurs, illicites, & nuls.

Dans la primitive Eglife, il étoit permis à un cousin germain d'époufer fa coufine germaine,les enfans des deux freres avoient la liberté de se marier ensemble, pour empêcher qu'on ne s'alliât dans les familles payennes; mais Théodofe le grand défendit les mariages entre cousins, à peine de mort, fous le prétexte de bienféance, que les coufines germaines tiennent lieu de fœurs à l'égard de leurs cousins germains. Je repéte ce que je viens de dire, que dans chaque pays, il faut se

VII. Quelle forte

d'obftacle la con

fanguinité & l'al

liance mettent au

mariage.

conformer aux Loix qu'on y a faites ou adoptées.

Les conjonctions illicites ne produifent aucune affinité, & il n'en résulte par conféquent aucun empêchement au mariage.

L'affinité fondée fur un mariage produit un empêchement, mais ce n'eft qu'un empêchement de droit pofitif, dont l'autorité Eccléfiaftique peut difpenfer. C'est un point qui est à préfent inconteftable, mais qui fut agité autrefois comme un problême dans une occafion célébre. Henri. VIII, Roi d'Angleterre, prévenu d'une passion violente pour Anne de Boulen, portoit impatiemment le joug qui l'uniffoit à Catherine d'Arragon fa femme, auparavant veuve d'Artus fon frere ainé. Ce Prince prétendit que le Pape n'avoit pû lui accorder la dispense d'époufer fa belle fœur. Cranmer, Archevêque de Cantorberi, prononça la Sentence de divorce que le Pape avoit longtems différée par divers motifs; & Anne de Boulen monta fur le Trône dont on força Catherine d'Arragon de descendre après vingtdeux ans de regne. Ce divorce, dont les fuites ont fait perdre l'Angleterre à la Religion Catholique, donna lieu aux plus fameuses Universités de l'Europe & à tous les Sçavans du feiziéme fiécle de difcuter la queftion de l'affinité dans les mariages. (a) Les Souverains ne trouvent que trop fouvent des adulateurs difpofés à favorifer leurs paffions. On ne manqua pas de faire paroître un grand nombre de fuffrages pour autorifer le divorce. Henri VIII. Tous les partifans du Prince foutinrent, que la prohibition du mariage dans le premier degré d'affinité de la ligne collaterale, étoit de droit naturel & divin. Mais le plus grand nombre des Canoniftes & des Théologiens, foit Catheliques, foit Proteftans, démontra par des textes précis du Vieux Teftament, par l'autorité des Conciles, par le fentiment des Docteurs des deux Eglifes, & par des exemples tirés (a) Voyez le détail de cette affaire dans le liv. 1, de l'Hiftoire de Thou.

de l'hiftoire, que dans ce cas il n'y avoit qu'un empêchment de droit pofitif; & c'est une maxime regardée aujourd'hui comme incontestable, tant dans l'Eglife Catholique que parmi les Proteftans.

Les Papes ont accordé dans tous les tems, des difpenfes pour époufer la fœur de fa femme ou la veuve de fon frere. Emmanuel, Roi de Portugal, en vertu d'une dispense du Pape Alexandre VI, époufa fucceffivement les deux fours. Henri VIII, Roi d'Angleterre, dont je viens de parler, avec une difpenfe de Jules II confirmée par Clement VII, avoit époufé la veuve de fon frere. En vertu de femblables difpenfes, Sigifmond - Augufte, & Jean-Cafimir, tous deux Rois de Pologne, épouférent, l'un la fœur de fa femme, & l'autre la femme de fon frere. La maifon de Farnèfe a donné, fur l'article que nous examinons, un exemple digne d'un attention particuliére. Dorothée-Sophie de Baviere, Palatine de Neubourg (a époufa (b) Edouard - Farnèse II du nom, Prince héréditaire de Parme, fils de Ranuce Farnèfe II du nom, Duc de Parme & de Plaifance. Edouard-Farnèse mourut (c) avant fon pere. Il avoit eu de Dorothée - Sophie de Baviere deux enfans, Alexandre - Ignace qui étoit mort (d) & Elizabeth Farnèfe qui étoit vivante & qui l'est encore c'eft la Reine Douairiére d'Espagne. Dorothée - Sophie de Baviere, sa veuve, fa époufa (e) François, Duc de Parme, frere de fon mari, avec une dispense du Pape Innocent XII. (f)

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On peut même remarquer que ces difpenfes ne font réfervées ni aux feules Têtes Couronnées, ni aux feuls Princes des

(a) Née le 11. de Juillet 1670.

(b) Le 3 d'Avril 1690.

(c) Le 5 Septembre 1693.

(d) Le 5 d'Août 1693.

(e) Le 3 de Decembre 1694.

(f) François Farnèfe eft mort le 26 de Février 1727. Et Dorothée - Sophie

de Baviere, fa veuve en fecondes nôces, le 15 de Septembre 1748.

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