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du feul moyen qu'il avoit de l'exercer, puifqu'il a remis à fon Protecteur le Château de Monaco. Souverain à l'égard de fes Sujets, il eft lui-même Sujet du Roi Très - Chrétien, non seulement à cause de sa personne, parce qu'il demeure en France, mais à cause de sa Souveraineté, mife au pouvoir de ce Monarque, & de la promeffe qu'il a fait de lui obéir (a).

Ce que je dis du Prince de Monaco, il faut le dire auffi du Duc de Bouillon, parce que ce Seigneur fe trouve envers le Roi Très-Chrétien, pour fa perfonne & pour fon Duché, dans les mêmes circonftances que le Prince de Monaco.

XXI
Da Prince qui

çoit tribu, pens

Les Princes donnent souvent de beaux noms à des chofes peu honorables. Ils appellent penfions & fubfides ce qui eft paye ou qui reun vrai tribut, & ils rougiffent fouvent moins des chofes fion, ou subside. que des mots dont on les appelle.

Le tribut eft une redevance qu'un Etat eft obligé de payer à un autre, en vertu de quelque convention, comme le prix de la protection qu'il en doit recevoir. Il diminue l'éclat auffi bien que les revenus de la Souveraineté, & fuppofe de l'infériorité de la part de celui qui le paye; c'est toujours par l'Allié inférieur qu'il eft payé. Mais fi d'ailleurs tous les droits de la Souveraineté reftent au Souverain tributaire, & s'il demeure auffi en poffeffion de toutes fes places, il n'en eft pas moins Souverain. Le tribut tout feul n'eft pas une preuve dé fujettion, c'eft feulement une preuve de foiblesse, & cela revient au dire du Sage : que la main du fort domine, & celle du foible paye tribut (b).

La pension fuppofe de la fupériorité de la part de celui qui la fait. Elle fe paye toujours par l'Allié plus puissant au plus foible, mais cela feul ne donne aucune atteinte à l'in

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dépendance de celui-ci. Le Prince Penfionnaire ne semble pas plus dépendre de celui qui donne la pension, que celui qui la donne ne paroît dépendre de celui qui la reçoit. Si recevoir la penfion, s'eft s'avouer inférieur, la payer, c'est reconnoître qu'on a besoin de celui à qui on la paye. Le fecours ftipulé comme une condition de la penfion, peut être fi confidérable, que l'avantage demeure à celui qui paye la pension & reçoit le secours; mais ni la penfion payée ni le secours reçu ne rendent dépendant, lorfque les droits de la Souveraineté demeurent en entier à l'un & à l'autre Souverain. On n'eft obligé de part & d'autre, qu'à exécuter les conditions du Traité; & il faut, par conféquent, fçavoir quelles font ces conditions, pour pouvoir juger fi elles prennent fur l'exercice du pouvoir fuprême.

Les fubfides fe payent entre les Souverains, d'égal à égal, & ils confervent l'égalité & l'indépendance qui eft naturellement entre les Souverains, quoique leur puiffance ne foit pas la même. La feule différence qu'il y ait entre les pensions & les fubfides, c'est que la pension se paye communément pendant toute la vie de celui qui la fait, au lieu que les fubfides ne fe payent que pendant un certain nombre d'années fixé par quelque traité. Ce que dit un Auteur célébre, (a) que ceux qui payent des fubfides à d'autres Souverains pour les engager à les défendre contre de puiffans ennemis, avouent par-là leur foibleffe, & ce qu'il ajoute que cet aveu diminue quelque chofe de leur dignité, ne fe doit guère entendre que des tributs, & ne peut avoir d'application qu'à ces Etats qui font véritablement trop foibles pour fe défendre par leurs propres forces, & qui, par le payement des fubfides, se rendent en quelque forte tributaires. Il ne faut pas l'appliquer aux Etats qui fubfiftant par leur propre puiffance, donnent des fubfides (a) Grotius.

à de plus foibles, pour empêcher que ces Etats plus foi-
bles, à la confervation defquels ils s'intéreffent, ne fuccom-
bent fous les efforts de leurs ennemis, ou pour faire ref-
pecter ces Etats puiffans dans des lieux éloignés où ils ne
peuvent pas facilement porter leurs armes, & où les Etats
foibles s'obligent d'entretenir des troupes à leur fervice,
moyennant les fubfides convenus. C'est par l'une & par l'au-
tre de ces raisons, que la France & la Grande Bretagne ont
souvent payé des subsides à la Suéde & au Dannemarck ;
que la France en paye même encore à la Suéde & au Dan-
nemarck; & que la Grande Bretagne & la Hollande en
payent actuellement à l'Electeur de Bavière & à d'autres Princes
d'Allemagne. Un François, Officier général, qui a fait des
Mémoires fur la guerre (a), dit que tous les Princes d'Alle-
magne font des
preneurs de fubfides & des marchands d'hom-
mes, & qu'ils fe tournent prefque toujours du côté de la
puiffance qui leur donne le plus, & qui a plus de facilité à
fe faire joindre par les hommes qu'ils lui vendent. Sans doute
qu'il eft plus beau de donner de l'argent pour avoir des
hommes, que de donner des hommes pour avoir de l'argent ;
& l'on peut confulter d'ailleurs ce que j'ai dit dans d'autres
endroits, des queftions qui ont rapport à cet ufage (b).

Il ne refte, pour remplir cette Section des Souverainetés imparfaites, qu'à examiner fi les Archontes Grecs, les Décemvirs & les Dictateurs Romains, & les Adminiftrateurs Suédois étoient des Souverains.

J'ai dit ce que c'étoient que les Archontes Grecs (c). (a) Fenquieres.

(b) Voyez l'Introduction Ch. VII. Se&. VIII. au Sommaire: Les Suiffes font dans l'ufage de mettre leurs troupes à la folde des autres Nations. Voyez auffi le Traité du Droit des gens Ch. II. Sect. I. au Sommaire: Les Princes ne doivent pas fournir des troupes à d'autres Princes, fans s'être affurés de la justice de la

guerre.

XXIII. Ni les Archon tes Grecs, ni les

Décemvis & les

Dictateurs Ro

mains, ni les Ad

miniftrateurs Suédois n'étoient des Souverains Les Régens des Royaumes ne le font pas non plus.

(c) Voyez l'Introduction.

J'ai auffi expliqué les fonctions & l'autorité des Decem virs Romains ( a).

Il n'y avoit que dix ou douze ans que la Royauté étoit abolie à Rome, lorfqu'on créa la Dictature. Le Dictateur eut dans le commencement une autorité infiniment étendue. Cette autorité fut dans la fuite modérée. Marc - Antoine le Triumvir caffa enfin la Dictature par une Loi.

Pendant les guerres que l'union de Calmar excita dans le quinziéme & dans le feiziéme fiécles entre les Suedois & les Danois, les Suédois créérent plufieurs fois un Administrateur du Royaume. Il avoit le Gouvernement de l'Etat, & fon autorité s'étendoit principalement fur les troupes. Les Officiers & les foldats lui prêtoient le ferment de fidélité; & dans la guerre, il avoit toute l'autorité d'un Roi fans en avoir le titre; mais l'Archevêque d'Upfal, premier Sénateur né, le précédoit dans les Cérémonies publiques, fon autorité n'étoit que paffagére pendant l'interrégne, & il pouvoit même être révoqué par les Etats Généraux.

Si l'on applique ici les principes que j'ai pofés dans la premiere Section de ce premier Chapitre, on reconnoîtra fans peine, que ces Archontes, ces Décemvirs, ces Dictateurs, ces Adminiftrateurs n'étoient que les Officiers de l'Etat. Leur autorité n'étoit pas perpétuelle, elle n'étoit qu'à tems, elle n'étoit pas indépendante, ce n'étoit qu'une puiffance paffagère & empruntée. Elle pouvoit même être révoquée avant la fin du tems pour lequel elle avoit été confiée. Ces Officiers n'avoient proprement que le dépôt de la Souveraineté, le fonds en demeuroit au peuple qui ne les avoit établis que pour un tems & qui pouvoit les deftituer avant le tems que lui-même il avoit marqué, les juger & les punir. Ces fuprê

,

(a) Voyez l'Introduction.

mes Magiftrats, comme parloient les Romains (a), n'étoient donc pas des Souverains.

C'est par la même raifon que, quelque abfolue que foit l'autorité du Régent d'un Royaume, il n'eft pas Souverain, parce que la Souveraineté demeure au Prince pour qui il en fait les fonctions.

C'eft encore par la même raison que, quelque étenduë que foit la puiffance d'un Légat du Saint Siége, il n'eft pas Souverain Pontife, puifque cette qualité fubfifte dans le Pape de qui il tient fon pouvoir.

SECTION I V.

Que la Souveraineté eft de droit Divin.

Es Ecrivains font découler l'autorité Royale du

D voir paternel d'Adam qui, felon eux, étoit accompagné

XXIII. Opinions diver

de la Souverai

pouaccompagné fcsur l'origine du pouvoir civil (b). Dans cette hipothèse, la Souveraineté neté. de notre premier pere qui ne s'exercoit d'abord que fur une famille, s'étendit fur tous les hommes à mesure qu'ils fe multipliérent, il fut le Monarque du genre humain ; & s'il étoit encore en vie, il en feroit le maître abfolu. Après fa mort, le droit de Souveraineté paffa au plus proche parent. Les Patriarches furent les Magiftrats fouverains des Etats naiffans, comme ils étoient les maîtres de leurs familles ; & le pouvoir dont les Princes font aujourd'hui revêtus, tire fon origine de celui d'Adam. Quelque abfurde que foit cette opinion, elle a regné en Angleterre, le lieu du monde où l'on feroit aujourd'hui moins disposé à la recevoir. Un Auteur Anglois nous apprend que les mots de Patriarche & de (a)Summi Magiftratus.

(b) Filmer, qui a fon article dans mon Examen.

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