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ceux de la Souveraineté, ce qui eft le Fifc ou Domaine du Roi : & ceux qui étoient appellés Aleuds & plus anciennement Leudes, c'est-à-dire les héritages poffédés par les peuples, à titre de propriété héréditaire, lesquels héritages pouvoient être donnés & vendus, engagés & aliénés. L'origine du mot Alleu n'eft guère moins inconnue que celle du Nil, (dit un Auteur François) (a). Un autre (b) rapporte les diverses opinions fur ce mot, & n'en embraffe aucune. On fuit affez généralement celle de Voffius qui eft en effet la plus plaufible. Cet Ecrivain dérive alleu de l'Allemand Al ould, qui fignifie qu'on pofféde en propre & fans aucun bénéfice du Seigneur.

Dès le commencement de la Monarchie Françoise, une partie des biens avoit été prife pour l'entretien du Roi, de fa Maison, & de fon état Royal, & le refte étoit demeuré sous le nom de Bénéfice, pour donner à des François, afin qu'ils fuffent toujours prêts de monter à cheval.

ou à

Sous le regne de Clovis, & fous ceux de fes premiers Succeffeurs les Terres étoient donc diftinguées en Bénéfices & en Alleus (c). Les Bénéfices confiftoient en Terres dont le Prince faifoit la conceffion aux gens de guerre, vie ou pour un tems fixe. C'étoient des espèces de Commanderies données pour fervir à la guerre & qui ne paffoient point du pere au fils, fans une conceffion particuliére du Roi. C'étoient des conceffions que faifoit au nom du Roi, le Gouverneur d'une Province (lequel avoit le titre de Duc ou de Comte, felon que cette Province étoit plus ou moins grande) de la jouiffance d'une portion de terre à un homme de condition libre, pour fon vivre & entretien, pendant tout le tems qu'il feroit au fervice du Roi, & qu'il porteroit

(a) Cafeneuve.

(b) Ménage, dans fon Dictionnaire Etimologique. (c) Allodes.

les armes fous la banniere de ce Duc ou de ce Comte. Les Alleus étoient les terres dont les Sujets avoient hérité de leurs peres, & ce mot marquoit une pleine propriété. Le titre 62 de la Loi Salique traite de l'Alleu, & ce terme y eft pris pour les biens héréditaires & patrimoniaux. (a) Allode & Patrimonium y font employés comme finonimes. Dans les Capitulaires de Charlemagne, de Louis le Débonnaire, de Charles le Chauve, on trouve une perpétuelle oppofition entre Bénéfice & Alleu.

Les Ducs & les Comtes ayant rendu leurs Gouvernemens fucceffifs fous Charles le Simple & Louis d'Outremer, à l'occafion des guerres civiles qui furent excitées contre ces deux Rois de la feconde race, cette naiffante hérédité des Duchés & des Comtés engendra celle des Bénéfices. Alors les Ducs & les Comtes les donnérent en propriété héréditaire à leurs parens, à leurs amis, à ceux qui avoient fuivi leur fortune. Alors auffi commença ce Gouvernement Féodal qui fut si funeste à ce Royaume. Les Fiefs font, comme on voit, la même chofe que les Bénéfices donnés à condition du fervice militaire. Auffi eft-ce ce que marque le mot Fe-ode qui fignifie poffeffion de la folde, car les Goths, les Saxons, les Francs, & les autres Peuples Septentrionaux appelloient les Terres qu'ils donnoient à leurs gens de guerre Fe-ode, & des Auteurs difent que la fignification de ce mot eft, ftipendii poffeffio (b). Les expreffions Feodum & Beneficium font employées dans le même fens dans nos Chartes dès l'an 888, & nous avons fur cela le témoignage du Dépofitaire de tous les Terriers de France, lequel a fait une étude particuliére des Titres de la Couronne (c). L'inftitution des Fiefs eft par (a) Voyez l'Introduction, Chap. VI. Sect. III.

(b) Grotius & Chantereau-le-Fevre, liv. 1. Ch. 2.

(c) Bruffel, pag. 72 & fuivantes du premier vol. de fon Nouvel Examen de Tufage général des Fiefs. Paris, 1739. 2. vol. in-4°.

conféquent plus ancien que le regne de Hugues Capet, Chef de la troifiéme race de nos Rois,

Ce que les François avoient fait chez eux, les Germains le firent en Allemagne. L'hérédité des Bénéfices ne vint que par degrés, tant dans l'un que dans l'autre pays; mais les Bénéfices font devenus beaucoup plutôt héréditaires en France qu'en Allemagne. Je dois à mon Lecteur une explication par rapport à cette grande Contrée de l'Europe fur le fujet qui

attire ici notre attention.

On appelle en Allemagne biens Allodiaux les biens immeubles de famille qu'un Prince pofféde comme l'héritage propre de fes Ancêtres, & qu'il ne tient ni de l'Empereur ni de l'Empire. Allodial est opposé à Fief. Le droit de primogéniture a lieu dans les principaux Fiefs; le Teftateur peut au contraire difpofer de fes biens allodiaux en faveur de celui de fes enfans qu'il juge à propos, & il peut auffi les aliéner fans avoir besoin du confentement de l'Empereur ou de l'Empire. Il y a en Allemagne divers Comtés & Principautés allodiales ou poffédés de droit allodial. Toutes les Terres de ce pays-là font donc allodiales ou féodales. Les allodiales font tenues en plein domaine, & foumises seulement au droit de fujettion. Les féodales au contraire font celles qui, outre le droit de fujettion, font fpécialement foumises à l'Empereur & à l'Empire par le ferment de fidélité. Ces Terres féodales qui font, à proprement parler, les Fiefs relevans de l'Empereur & de l'Empire, font divifées en Fiefs hauts regaliens, ou en Fiefs de moindre espèce, en Fiefs Eccléfiaftiques ou Séculiers, en Fiefs propres ou impropres, en Fiefs anciens ou nouveaux, & en Fiefs masculins & féminins, héréditaires ou non héréditaires. Il en eft peu dẹ cette derniére espèce, fi ce ne font ceux poffédés par la Maifon d'Autriche, confirmés tels par les Conftitutions de

Frédéric I.

Frédéric L. & de Fredéric II. & le Duché de Brunswick qui le font devenus par des pactes de famille. Il en eft cependant encore que l'on tient pour féminins que l'on appelle Fiefs oblats, parce que, pendant plusieurs fiecles, les Princes, les Comtes & les Gentilshommes offroient en foule au Souverain leurs biens & héritages, ainsi qu'aux Evêchés & Monaftères, pour les tenir d'eux; de-là font venus en partie les Fiefs oblats aufquels les filles fuccédoient & leurs defcendans après l'extinction des mâles. C'eft de-là que derive le proverbe Allemand que la Croffe n'exclud perfonne; mais la regle généralement fuivie aujourd'hui dans les Chambres d'Allemagne veut que tout Fief foit réputé masculin, fi les Lettres d'inveftiture ne prouvent le contraire, quoique les Compilateurs des Actes publics du Corps Germanique fourniffent des milliers de Diplomes émanés de l'autorité Impériale en faveur des filles du dernier poffeffeur d'un Fief masculin, en le lui adjugeant au préjudice des Collatéraux. Plufieurs Cours féodales des Evêques d'Allemagne ont aussi abandonné cette maxime, & font dériver les Fiefs oblats du droit du plus fort, des tems des guerres civiles qui ravageoient l'Empire, & pendant lefquelles les Séculiers mettoient leurs terres fous la protection des Eccléfiaftiques en les leur offrant en Fiefs protection que l'on foutient dans les Tribunaux ne pouvoir avoir lieu qu'après l'extinction des mâles. Le Domaine utile eft réuni de droit au direct, attendu que fi le Fief paffoit aux filles & à leurs defcendans, la Charge deviendroit perpétuelle & fans profit. Il eft de regle aussi que l'Eglise ne perde aucun de fes droits. La plus grande partie de tous ces Fiefs, n'ont commencé à devenir héréditaires en Allemagne, que vers la fin du dixiéme fiécle; & jufqu'à ce que le Corps Germanique faffe rédiger un nouveau Code Féodal qui prefcrive une régle fixe, pour réfoudre toutes les questions Tome IV. T

:

douteufes qui naissent à chaque inftant fur cette matiére, il y aura dans ce pays - là une incertitude éternelle dans la Jurifprudence des Fiefs. Les feules régles générales qui ne varient point dans le Corps Germanique, en matiére de Fief, font que le Vaffal n'en eft investi qu'à charge de fidélité envers fon Seigneur direct; que s'il y manque il eft réputé Félon, & fon Fief tombe en Commife; qu'à chaque mutation il eft tenu de faire fa reprise dans l'an & jour, & renouvellant fon Serment & fon Inveftiture; qu'il n'a pas la faculté d'aliéner fon Fief ni d'en rien démembrer; & que les feuls defcendans mâles du premier invefti font, dans la régle étroite, les feuls habiles à y fuccéder; voilà l'ufage d'Allemagne. Je reprends le récit de celui de France.

Ceux à qui les Ducs & les Comtes venoient de conférer à titre héréditaire les principaux Bénéfices de leurs Duchés ou Comtés, voulant fe faire une Cour particuliére, pour être en état de fe foutenir contre les entreprises des autres Bénéficiers leurs voisins, démembrérent prefque auffitôt des portions de leurs bénéfices, lefquelles il donnérent femblablement à titre héréditaire à des hommes libres, à condition qu'ils les tiendroient d'eux, & qu'ils les ferviroient en guerre. C'est cette ancienne licence de pouvoir fous-bénéficier & fous-inféoder, qui a produit le plus grand nombre des Arriére-fiefs que nous voyons aujourd'hui.

Peu-à-peu, les Hauts Seigneurs ufurpérent les droits de la Couronne, & ne laifférent au Roi que la mouvance de leurs Fiefs. Plusieurs d'entr'eux jouiffoient en France, dans l'ancien ufage des Fiefs, des droits régaliens, comme de recommander aux Evêchés de leurs Terres; d'accorder des Communes aux Villes; de battre monnoye, de donner grace aux criminels; de juger fouverainement les caufes civiles; d'avoir des Baillis, des Sénéchaux, & toutes fortes de grands Offi

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