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Les plus fages Politiques ont fait, à cet égard, des Loix que chaque Nation a intérêt de renouveller, en observant la différence des mœurs, des tems, & des lieux.

Les Ordonnances de Moyfe ne laiffoient pas aux particuliers la liberté de vivre dans le célibat. Ses Commentateurs portoient fort loin, à l'égard des hommes, l'obligation de se marier dès l'âge de vingt ans, en vertu de ce précepte divin: Croissez & multipliez; ils traitoient d'homicides ceux qui négligeoient de vaquer à la propagation de leur espéce. Pour les femmes, ils croyoient qu'elles n'étoient pas précisément obligées de se marier en un certain tems comme les hommes, parce que cela ne dépend pas d'elles, ils penfoient qu'auffitôt qu'il fe présentoit un parti convenable, elles étoient indispensablement obligées de l'accepter.

Le Législateur de Lacédémone ne traita pas plus favora→ blement ceux qui vivoient dans le célibat. Ils étoient notés d'infamie & éloignés de toutes charges civiles & militaires. Il leur étoit défendu de se trouver à ces exercices publics où les filles combattoient. Exclus des jeux publics, ils étoient obligés d'en fervir eux-mêmes dans certaines fêtes folemnelles, & de faire le tour de la place tout nuds au plus fort de l'hiver, en chantant une chanfon faite contre eux, dont le fens étoit qu'ils fouffroient juftement cette peine, pour avoir défobéi aux Loix. Lorsqu'ils devenoient vieux, ils étoient privés des honneurs, des foins, & des refpects que les jeunes gens rendoient à la vieilleffe. (a)

Platon, dans fes loix, (b) tolére le célibat jufqu'à trentecinq ans; mais il impose une amende à ceux qui ayant atteint cet âge, ne fe marient point. Il leur interdit les emplois, & ordonne qu'ils occuperont les derniers rangs dans les cérémonies publiques.

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L'une des inftructions des Cenfeurs Romains, (a) leur enjoignoit expreffément de ne pas permettre qu'aucun citoyen reftât dans le célibat. (b) Ceux qui y vivoient n'étoient reçus ni à tefter ni à rendre témoignage. La premiere question que le Cenfeur faifoit à ceux qui fe préfentoient pour prêter ferment, étoit celle ci: En votre ame & confcience, avez-vous un cheval? Avez-vous une femme ? (c) Ceux des candidats qui avoient le plus d'enfans étoient préférés pour les emplois aufquels ils afpiroient (d). Ciceron veut que les hommes qui vivent dans le célibat, foient comme indignes des honneurs de la Répu blique.

Céfar voyant Rome dépeuplée par les guerres civiles, propofa de grandes récompenfes à ceux qui s'employeroient à donner des enfans à la République. Augufte n'ordonna pas feulement des récompenses, il établit des peines contre les hommes non mariés, en même tems qu'il déclara nuls les contrats de mariage, lorfque la fille auroit moins de dix ans. (e) Les Chevaliers Romains demandérent l'abolition de ces Loix; mais Augufte les ayant fait affembler, & ayant trouvé que ceux qui n'étoient pas mariés étoient en plus grand nombre que les autres, il augmenta les peines déja établies contre eux, & en fit faire une loi célébre par M. Papius & C. Pompeus, Confuls fubrogés, & qui eux-mêmes n'étoient pas mariés. (ƒ) Par cette Loi nommée Papia Poppaa, du nom des deux Confuls fous lefquels elle fut publiée, il établissoit des distinctions entre les citoyens, relativement au célibat, au mariage, aux enfans, & au nombre des enfans. Ceux qui ne fe marioient point avant vingt-cinq ans, étoient exclus, après ce terme, des char

(4) Cet article eft rapporté par Ciceron lib. de legib.

(b) Cœlibes effe prohibento.

(c) Ex animi tui fententiâ, tu equum habes? Tu uxorem habes ? (d) Trait Annal. l. 2,

e) Dion. lib. 43

f) Dion

ges & des honneurs, ils payoient un tribut particulier à la Ré-
publique, & devenoient incapables de recevoir aucun legs, à
moins que le Teftateur ne fût leur parent au fixiéme degré},
Les gens mariés, exempts
de ces peines, précédoient encore
dans tous les endroits où les places étoient marquées, ceux
qui n'avoient point de femme; mais ils étoient précédés à
leur tour par les citoyens qui avoient des enfans; & parmi
ces derniers, la place la plus honorable appartenoit de droit à
ceux qui avoient trois enfans. C'est ce qu'on appelloit le droit
des trois enfans (a) dont il est si souvent parlé dans les Au-
teurs qui ont écrit après Auguste.

Ceux des Citoyens qui, après s'être mariés, pour concourir, autant qu'il dépendoit d'eux, aux vues du Législateur, avoient eu le malheur de ne pas devenir peres, fe plaignirent de la dureté de la Loi qui les puniffoit d'une faute involontaire, & les Empereurs donnérent à quelques-uns les priviléges dont joüiffoient ceux qui avoient trois enfans. Domitien les accorda à Martial; Trajan, à Pline le jeune & à Suetone. Le même Domitien défendit par une Loi expreffe de faire des Eunuques.

On l'accorda même quelquefois, ce droit des trois enfans, à des femmes, pour les rendre capables de fuccéder à leurs enfans morts fans avoir testé.

La même Loi Papia Poppea, qui donna occasion au droit des trois enfans, fit naître auffi le droit des enfans communs. (b) Un mari & une femme ne pouvoient hériter l'un de l'autre, que de la dixième partie de leur bien; mais ils pouvoient encore fe donner mutuellement autant de dixiémes qu'ils avoient d'enfans vivans d'un premier mariage, & un autre dixiéme, s'ils avoient eu un enfant commun qui eût vécu plus

(e) Jus trium liberorum.

b) Jus liberorum, jus communium liberorum, jus commune liberorum,

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de neuf jours. La loi permettoit auffi à un mari & à une femme de s'inftituer réciproquement héritiers ou légataires universels, dans tous les cas fuivans; s'il y avoit un enfant né de leur mariage, vivant à la mort de l'un d'entre eux; fi la femme accouchoit dans les neuf mois après la mort de fon mari; s'ils avoient eu le malheur de perdre un fils de quatorze ans ou une fille de douze, deux enfans de trois ans, ou trois enfans qui euffent vêcu plus de neuf jours. Enfin, un mari pouvoit être utilement inftitué héritier par fa femme, & une femme par fon mari, fi la femme mouroit avant l'âge de vingt ans, & le mari avant vingt-cinq. La même chose pouvoit fe faire, lorsque le mari avoit vêcu dans l'état du mariage jufqu'à soixante ans, & la femme jufqu'à cinquante.

Malglé tous ces adouciffemens, des gens mariés, qui ne vouloient pas que les marques d'amitié qu'ils fouhaitoient de fe donner dépendiffent du hazard, s'adreffoient aux Empereurs pour obtenir la capacité de tefter utilement les uns en faveur des autres, de la même maniére qu'ils auroient pû le faire, s'ils avoient eu des enfans nés de leur mariage. C'est cette capacité respective qui formoit le droit commun des enfans. (a Tibére modéra la rigueur de la loi Papia Poppaa, parce qu'on avoit appris par expérience qu'elle groffiffoit l'épargne du Prince fans multiplier les mariages, ce qui a fait dire à un hiftorien Romain, (b) qu'Augufte dans fa vieillesse, ne l'avoit portée, que pour avoir occasion d'augmenter fes revenus par les amendes aufquelles elle donneroit lieu.

Victor-Amédée, dernier Roi de Sardaigne, ordonna que ceux de ses sujets qui auroient douze enfans légitimes & naturels, feroient exempts, durant leur vie, de toutes les impositions & charges publiques, pour leurs biens, auffi-bien

(4) Jus commune liberorum
b) Tacit. Annal. lib. III.

que des droits de gabelle & autres, pour les marchandises & les denrées néceffaires à l'entretien, & qu'on compteroit au nombre de ces enfans ceux du premier degré, les enfans des enfans predécédés, & ceux qui feroient morts au service du Prince, en occafion de guerre. (a)

Le Pape (b) vient auffi de rétablir les priviléges dont jouiffoient chez les anciens Romains ceux qui avoient douze enfans (c).

En France, Louis le Grand, croyant devoir relever la 'dignité des mariages déprimés par la licence des tems, accorda des prérogatives à la fécondité. Inftruit de l'ufage particulier de la Province de Bourgogne, fuivant lequel un homme ou une femme qui a douze enfans vivans, jouit de l'exemption de toutes impofitions, il ordonna (d) que les Gentilshommes & leurs femmes qui auroient douze enfans nés en loyal mariage, non Prêtres, Religieux, ni Religieuses, & qui feroient vivans ou décédés en portant les armes pour fon fervice, joüiffent de deux mille livres de penfion; & ceux qui n'en auroient que dix, de mille livres. Le Prince étendit les mêmes graces à tous les fujets du Royaume. Les habitans des villes franches, bourgeois non taillables, ni nobles, & leurs femmes qui auront dix ou douze enfans, doivent jouir, en l'un & en l'autre cas, de la moitié des pensions accordées aux Gentilshommes & à leurs femmes, aux conditions que je viens d'exprimer, & ils doivent auffi être exempts du guet, de la garde, & des autres charges de ville. Et pour les gens taillables, tout pere de famille qui aura dix enfans vivans, aux mêmes conditions, doit demeurer exemt de la collecte, de toute taille, taillon, fel, fubfides, & autres impositions & charges publiques.

(a) Art. 1. & 2. du Titre V. Livre. VI. du Code Victorien de 1729. (b) M. de Réal écrivoit en 1751. ·

(e) Edit de Benoist XIV. du mois de Mars 1745.

(d) Par des Lettres Patentes en forme d'Edit données à Saint Germain en Laye, dans le mois de Novembre 1666, rapportées par la Roque page 337. de fon Traité de la Nobleffe, édition de Rouen 1710.

Cet

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