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Souverain une espèce de culte public qui agit, même lorfque la puiffance du Souverain eft fans ces accompagnemens, lefquels portent les Sujets vers la terreur & le respect, parce qu'ils ne féparent point dans la pensée fa perfonne d'avec fa fuite qu'on y voit d'ordinaire jointe. Toute cette pompe qui, attirant l'attention des peuples, foumet leur volonté, est néceffaire, elle est utile à la fociété, parce qu'elle est dans la main des Rois, l'inftrument de la domination (a). Mais elle fuppofe la Majefté & ne l'eft pas. Ce n'eft point l'appareil qui fait un Roi, c'eft la puiffance, la Majefté n'eft pas dans les ornemens, dans la fplendeur extérieure, elle eft dans les fonctions. La Majefté eft la Souveraineté même; c'est cette Puiffance au-deffus de laquelle nulle autre Puiffance ne commande, c'eft la puiffance abfolue qui s'exerce fur les fujets.

L'éclat extérieur de la Majefté ne fe trouve pas dans les Républiques comme dans les Monarchies, parce que dans une République, aucun Magiftrat ne fe montre en public avec la pompe qui accompagne un Monarque, mais la Majesté elle-même, le vrai caractère de l'autorité Souveraine, le droit fuprême de légiflation & de contrainte, fe trouvent dans une République, à sa maniére, comme dans les Monarchies à la leur, puifque nous venons de voir que l'exercice des diverses fonctions de la Souveraineté s'y fait aussi essentiellement, & que toujours indivisible, une feule volonté morale gouverne toutes les parties de l'Etat. Il n'eft point de République parmi nous qui ne pût prendre le titre de Majesté, dans le même fens que le prenoit la Républiqué Romaine. Ce n'étoit point au Sénat Romain qu'appartenoit le titre de Majefté, quoiqu'il en eût toutes les marques extérieures, les faisceaux, la robe de pourpre, la chaife d'ivoire, &c. C'étoit au peuple que ce titre appartenoit, parce que (a) Majeftatis imperantis fulcrum regnorum & falutis tutela. 4. Curt.

c'étoit dans le peuple que résidoit la plénitude de la puiffance, témoin la formule qui fe prononçoit à haute voix, à l'ouverture de tous les Comices (a). Manquer de respect pour l'Etat ou pour ses Magistrats, c'étoit diminuer ou blesser la majesté du peuple Romain, mais la puiffance Souveraine ayant paffé de la République dans les mains d'un feul, le nom de Majesté fut transféré à l'Empereur.

SECTION I I.

De la Souveraineté parfaite, c'est-à-dire abfolue & indépendante.

X I.
Il n'eft de Sou-

que celle où le

re

L n'y a de Souveraineté parfaite que celle où le Souverain n'a ni fupérieur ni égal, & eft indépendant de toute Puiffance veraineté parfaite humaine. La plupart de nos Auteurs François (b), pour Souveraine Die marquer l'indépendance de notre Roi ou de quelque autre & de fon épéé. Monarque abfolu, difent qu'il ne tient la Couronne que de Dieu & de fon épée. Cette expreffion eft-elle bien exacte ? Elle semble signifier que le Prince qui poffède une Souveraineté absolue, y a été appellé par une vocation immédiate de Dieu, ou qu'il l'a conquife par les armes. Si ces mots : tenir de Dieu, marquoient que Dieu a élu le Souverain, par une vocation immédiate, il n'y auroit les Rois du peuple d'Ifraël, comme Saül & David; que l'on pût mettre dans ce rang; & fi ces autres termes, tenir de l'épée, fignifioient que le Souverain a conquis de lui-même ses Etats, l'application ne s'en pourroit faire qu'aux premiers Conquérans, qui ont fondé les Monarchies, & à ceux qui les ont fubjuguées. Ce n'est pas ce que ces Ecrivains veulent dire. Dans

(a) Velitis, Jubeatis, Quirites. (b) Bodin, Loyfeau, & autres,

que

XII.

La Souveraineté

de Dieu & de l'é

Prince qui la

pour raifon de

quelque autra Etat.

leur fens, cette expreffion: tenir de Dieu & de l'épée, intro-
duite dans ces derniers fiecles, fignifie que le Souverain n'est
foumis à aucune Puiffance fur la terre, & qu'il ne dépend
que de Dieu, maître des Rois. Comme le fort des com-
bats a été fouvent appellé le Jugement de Dieu, on a dit
que
les Souverains tiennent leur Souveraineté de l'épée, pour
fignifier qu'ils ne font foumis à aucun jugement humain,
mais seulement au jugement de Dieu qui manifeste sa vọ-
lonté par le fort des armes. Au lieu de dire qu'un Roi ne
tient fa Couronne que de Dieu & de fon épée, on parlera
plus exactement, fi l'on dit qu'il ne reléve que de Dieu & de
fon épée.

La Souveraineté pour laquelle le Souverain ne reléve que qui ne releve que de Dieu & de fon épée, n'en est pas moins parfaite, quoipée du Souverain, le Prince qui en eft revêtu poffède une autre Souverain'eft pas moins ?que parfaite, quoique neté qui le rend vaffal d'un autre Prince. Il n'est pas rare de pofféde foit vaffal voir des Souverains réunir en leurs perfonnes plusieurs Etats, pofféder les uns fans aucune dépendance que de Dieu, & tenir les autres d'un pouvoir humain fupérieur au leur. Dans toutes les conditions, l'orgueil du rang fléchit sous la paffion de dominer. Le Roi de Dannemarck, Roi très-abfolu; pofféde des Provinces dépendantes de la République Germanique. Les derniers Rois d'Espagne, Seigneurs fupêmes de tant de pays, n'étoient-ils pas feudataires de l'Empire comme Ducs de Milan ? & de l'Eglife, comme Rois de Naples? Je pourrois citer cent autres exemples.

XIII.

Les Rois abfolus

part des

Les Rois abfolus ne font comptables à perfonne de leur ne font compta- conduite, & ils ne font fujets à aucune peine de la tions qu'à Dieu, hommes (a).

bles de leurs ac

Il est deux manieres de rendre compte de fa conduite à

(a) Voyez la XII. Section de ce Chapitre où cette propofition eft particulierement difcutée.

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quelqu'un l'une, comme à un Supérieur qui eft en droit
d'annuller ce qui a été fait & d'infliger une peine : l'autre,
comme à quelqu'un dont on défire l'approbation. Les Sou-
verains abfolus ne font comptables à perfonne de la premiere
de ces deux maniéres, parce qu'elle fuppofe une dépendance
que le pouvoir Souverain exclud. Il faudroit pour
cela qu'ils
euffent un Supérieur, & il implique contradiction que, dans
un même ordre de chofes, il y en ait une au-dessus de celle
qui tient le plus haut rang; mais dispensés de rendre compte
de leur conduite à tout autre qu'à Dieu, les Souverains en
annoncent souvent les raisons aux peuples. C'est ainsi qu'on
donne quelquefois connoiffance aux autres de fes propres
affaires, pour faire voir qu'on fe conduit équitablement.
Cette feconde maniére de rendre compte n'emporte aucune
dépendance.

Pour les peines, comment eft-ce que les Souverains absolus y feroient fujets ? Il n'y a ni Tribunal devant qui ils puifsent être cités, ni Juge pour prononcer & pour faire exécuter la Sentence. Il eft vrai que, dans certains pays, le Prince fouffre que ses Sujets plaident contre lui devant fes propres Cours de Justice; mais il ne reconnoît pas pour cela un Tribunal humain dont il reléve & qui puiffe le contraindre, il veut feulement inftruire fa Religion des droits qu'on a contre lui, après quoi, s'il les trouve justes, il s'acquitte volontairement de ce qu'il doit.

Par cela même qu'une Puiffance eft Souveraine, elle est au-dessus des Loix civiles. Qu'est-ce que ces Loix? Ce font des Ordonnances par lefquelles le Souverain prefcrit aux Su jets ce qu'ils doivent obferver pour le bien de l'Etat. Ces Ordonnances dépendent de la volonté du Légiflateur par rapport à leur durée, comme par rapport à leur origine; elles ceffent par la même autorité qui les a formées. Le Souverain

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fait lui-même ces Loix, il leur donne l'être, & il peut par conféquent, felon les circonftances, les étendre, les reftreindre ou les abolir, au gré de fa prudence. Toutes les Loix civiles doivent se rapporter au bien de l'Etat, & les Souverains font par conféquent obligés de changer celles qui, autrefois nécessaires, font devenues ou dangereuses, ou simplement inutiles. Les Edits du Prince abfolu ont beau avoir été publiés, ils ont beau contenir la clause qu'ils feront perpétuels & irrévocables, ils peuvent être changés par d'autres Edits, émanés de la même Puiffance & revêtus de la même folemnité,

Je ne dis rien ici des Edits des Princes abfolus, qu'il ne faille dire auffi des Ordonnances des Républiques.

Toute Puiffance en qui réfide le droit de Législation 3 change les Loix pofitives, felon les befoins du pays. Elles n'obligent pas directement ceux des Princes dont l'autorité n'eft pas limitée par la Loi fondamentale de l'Etat. Celui qui fait les Loix & qui les change à fon gré, n'y peut être foumis (a). Le Légiflateur ne peut être lié par une Loi qui eft l'ouvrage de ses mains, l'acte de fa volonté, l'effet de fon pouvoir. Il ne peut être en même tems fupérieur & inférieur à lui-même.

Par la Loi que déféra l'Empire Romain, le peuple revêtit le Prince, & fe dépouilla entre ses mains de toute l'autorité & de tout le pouvoir qui appartenoit au peuple. La Loi Royale élevoit les Empereurs au-deffus des Loix (b).

Ulpien, docte & grave Jurifconfulte, dit que le Prince eft déchargé de l'obligation d'obferver les Loix, & que pour ce qui eft de l'Impératrice, quoiqu'elle y foit foumise, le Prince lui accorde les priviléges qu'il a lui-même (c), (a) Paruta, de la Vie Politique, liv. 3.

(b) Voyez l'Introduction, Ch. I. Sect. IV.

(c) Princeps Legibus folutus eft. Augufta autem, licet Legibus foluta non fit,

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