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l'Empereur (a), au lieu que dans les Ariftocraties & dans les Démocraties, il est un endroit marqué hors duquel l'autorité Souveraine ne peut être exercée. Ni le Peuple, ni le Sénat, ni aucun Corps moral ne peut agir fans s'assembler; mais le Monarque, perfonne Physique & individuelle, a toujours un pouvoir prochain d'exercer les actes de la Souveraineté : or cette différence n'eft pas effentielle, puisqu'elle n'empêche pas que tous les Citoyens en général, & chaque Citoyen en particulier ne foient dominés dans chacune de ces formes de Gouvernement, par un pouvoir Souverain qui, loin d'être divifé, s'exerce par une feule volonté dans toutes les parties de l'Etat.

VIII. Toute Souverai

Ce fut l'ignorance de ce principe incontestable, qui enfanta tant d'opinions erronées parmi les Grecs & parmi les neté eft abfolue. Romains fur le partage de la Puiffance fuprême, & qui remplit les efprits de ce préjugé : que modifier la Souveraineté, c'étoit pourvoir au bien de l'Etat. Ce préjugé s'introduisit facilement chez ces deux Peuples célébres, parce qu'ils avoient beaucoup fouffert de leurs Rois. On peut bien limiter la puiffance de celui qu'on appelle le Souverain, & qui ne l'eft pas en ce en quoi fa puiffance eft limitée; mais on ne fçauroit limiter la Souveraineté fans la détruire.

La Puiffance Souveraine ne fçauroit être reftreinte, parce que, pour reftreindre une autorité, il faut être fupérieur à l'autorité qu'on reftreint. L'autorité qui reconnoît un Supérieur n'est donc pas une autorité Souveraine, au moins à l'égard de ce Supérieur. Il n'y a rien de fi grand parmi les hommes que de commander aux hommes, & les Puiffances qui gouvernent la terre, ne font appellées Souveraines, que parce qu'elles n'ont ni fupérieur ni égal. Toute Souveraineté eft abfolue de fa nature. Une Souveraineté limitée n'eft pas (a) Pompeianus apud Herodianum, lib. 1. Ch. 14x

Souveraineté dans les chofes en quoi elle eft reftreinte. Ce n'eft pas que le peuple, en la déférant, n'y puiffe mettre des tempéramens; mais lorsqu'il le fait, il conferve lui-même la Souveraineté fur tout ce qui fait l'objet de la limitation, & il forme un Etat irrégulier.

Par-tout où l'on fuppofe de l'ordre & de la fubordination, l'on doit supposer une obéissance égale aux Loix & au Juge fuprême. Il faut une régle qui ne varie pas au gré de nos intérêts & de nos caprices, & cette regle doit avoir, dans un Etat purement Démocratique, autant de force & d'autorité que dans le Royaume le plus abfolu. Pour peu qu'on connoisse la nature du Gouvernement, on conçoit qu'il faut qu'il y ait un pouvoir absolu dans chaque Conftitution d'Etat particuliére, foit que la Souveraineté se trouve dans un feul, dans plusieurs, ou dans tous. Sans ce pouvoir abfolu, le Gouvernement feroit défectueux, & aucune Société civile n'auroit ni la force ni les moyens de fe conferver.

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Un Auteur François, qui a traité des Seigneuries, & qui a donné deux Chapitres particuliers aux Seigneuries Souveraines, dit que la Souveraineté confifte en puiffance absolue, c'est-à-dire parfaite & entiére de tout point, que les » Canoniftes appellent plénitude de puiffance, & qui eft par conféquent fans degré de fupériorité; car celui qui a un fupérieur ne peut être Suprême & Souverain, fans limita» tion de tems, autrement ce ne feroit ni Puissance abfolue, » ni même Seigneurie, mais une Puiffance en garde ou en dépôt; fans exception de personnes ou chofes aucunes qui » foient de l'Etat, pour ce que ce qui en feroit excepté ne » feroit plus de l'Etat ; & comme la Couronne ne peut être, » fi fon cercle n'eft entier, auffi la Souveraineté n'eft point » fi quelque chofe y défaut (a).» Au fentiment de cet Ecri

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(4) Loyseau, Traité des Seigneuries Ch. 2. des Seigneuries Souveraines N°. J

vain, la puissance abfolue eft la différence fpécifique qui diftingue les Seigneuries Souveraines. » On ne peut jamais (ajoute-t-il) se tromper en cette regle, que quiconque a la puiffance & commandement fouverain, a la Souveraineté, & » quiconque ne l'a pas n'eft point Souverain (a).

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IX. Enumération des

veraineté,

Ce même Auteur dit, qu'il est mal-aisé de cotter afsurément les droits de la Souveraineté, parce que les anciens Droits de la SonPhilofophes n'en ont prefque point parlé, à caufe que de leur tems les Souverainetés n'étoient pas bien nettement établies, & que les Docteurs Feudiftes & les Jurifconfultes modernes en font une grande lifte. Choppin & Bacquet en ont en effet donné au public une très - nombreuse. Loyseau lui-même, entrant dans le détail des droits de la Souveraineté, en compose fix chefs fous lefquels il comprend tout ce que renferme le pouvoir Souverain. I. Faire Loix. II. Créer Officiers. III. Arbitrer la paix & la guerre. IV. Avoir le dernier reffort de la Juftice. V. Forger monnoye. VI. Lever deniers fur le peuple (b). Un autre Ecrivain François, qui a écrit fur la fin du dernier fiecle, a compté jusqu'à 34 droits des Souverains; mais outre que quelques-uns de ces droits rentrent dans les autres & n'en doivent pas être distingués, cet Auteur eft entré dans un détail peu néceffaire & quelquefois puérile. Il compte ainfi 1o. le droit de protéger la Religion; 2°. d'accorder des dispenses; 3°. d'accorder des priviléges; 4°. de récompenser les divers mérites par des titres d'honneur & des pensions des deniers publics; 5o. de naturalifer les aubains; 6°. de légitimer les bâtards; 7o. de regler lès peines des crimes; 8°. de remettre ces peines; 9°. de donner aux Corps & Communautés la liberté de pofféder des biens & de les amortir; 10°. de permettre les Foires & Marchés; 11°. de faire éclater

(a) Ibid. No. 10.

(b) Chap. III. N. 3, 4, 5, 6, & 7.

fa Puiffance par des marques de grandeur fenfibles; 12°. d'avoir des Gardes pour leurs perfonnes; 13°. d'avoir plusieurs Officiers pour leurs maifons; 14°. de confifquer les biens des coupables; 15o. droit de déshérence; 16o, droit d'aubaine, de bâtardise, (a) &c.

Il ne feroit pas mal aifé de groffir encore cette longue & inutile lifte, il n'y auroit qu'à parcourir tous les actes de la puissance publique, & dire, par exemple, que le 35o. droit du Souverain, c'est de donner des priviléges pour l'impreffion, que le 36. c'eft de défendre les livres pernicieux à l'Etat ou à la Religion, & ainfi du refte. Mais qu'est-ce que çes longues énumérations? A quoi fervent-elles? Un Auteur n'a-t-il pas afsûré toutes ces petites chofes-là, dès qu'il a dit que le Souverain a droit de faire tout ce qui lui paroit utile au Public?

Un Auteur Allemand a dit la même chofe que nos Auteurs François, & en moins de mots (b).

De ce que la Souveraineté eft une, qu'elle ne peut être partagée, & qu'elle eft abfolue, il fuit que tous les pouvoirs néceffaires pour maintenir l'ordre de la Société & l'harmonie des diverses parties du Corps Politique, font dans la main du Souverain (c), & doivent néceffairement y être.

On peut réduire tous ces pouvoirs à trois : le pouvoir Légiflatif: le pouvoir Judiciaire : le pouvoir Coactif. C'est de ces trois pouvoirs que fe forme la puiffance Suprême; tous les droits

(a) Domat, Traité du Droit Public, Liv. 1. Tit. 2. Sect. 2.

(b) Numerantur autem jura Majeftatis præcipua hæc: Legem omnibus ac fingulis dare, dignitates & Magiftratus in regno & Republicâ conftituere: Bellum indicere & Pacem concludere: Judiciorum habere ad fe provocationem, fententiamque inappellabilem pronuntiare: Tributa & collectas portoria & vectigalia imponere & taxare; vitæ & famæ reftituere: Monetam cudere, fignare & valorem imponere Comitia indicere: afyla erigere & concedere privilegia largiri : & alia quam plurima quæ competunt foli fummo Principi, yel cui illa exercenda delegat, non proprio tamen, fed Principis jure. Pelzhoffer, dont on peut voir l'article dans mon Examen.

(c) Ad quem omne Imperium omnifque poteftas pertinet, dit la Loi premiere de Conftitut. Princip.

que

que le Şouverain exerce, de quelque nom qu'on les appelle, en font des dépendances. Quoique cet Etre moral qu'on appelle Souveraineté, n'ait point de parties, il reçoit différens noms felon la diverfité des objets par rapport aufquels il agit. En tant qu'elle prefcrit des regles générales pour la conduite des Citoyens, la Souveraineté est un pouvoir Législatif. En tant qu'elle prononce fur leurs démêlés, conformément à ces regles, elle eft un pouvoir Judiciaire. En tant qu'elle inflige des peines, elle est un pouvoir Coactif. De ces trois fortes de pouvoirs, naissent nécessairement tous les autres droits de la Souveraineté. Celui d'affurer les Citoyens contre les Etrangers, & celui de les défarmer qu'on appelle pouvoir de faire la guerre & la paix: celui de fortifier l'Etat par fon union avec d'autres d'Etats, qu'on appelle pouvoir de faire des Alliances: celui d'ordonner la levée des déniers néceffaires à l'entretien de l'Etat, qu'on appelle pouvoir d'établir des Impôts: celui de choisir des Miniftres & des Magiftrats dans la paix & dans la guerre, pour régler les affaires fous le Souverain à qui ils font comptables de leur administration, qu'on appelle pouvoir d'établir des Officiers ; & ainsi de tous les autres objets de la Souveraineté, tant dans les affaires purement temporelles, que dans celles qui intéreffent la difcipline Eccléfiaftique & la confervation de la Religion,

Tous ces pouvoirs diftin&ts que la Souveraineté renferme & dont je donnerai une explication particuliere dans les Chapitres fuivans, font conférés pour la même fin au Souverain. Ils ont tous pour objet le bien public.

par

Ce qu'on appelle Souveraineté, on peut le défigner aussi le nom de Majefté.

Une Cour affidue & une grande armée accompagnent ordinairement les Rois; la vénération & la crainte environnent le Trône de toutes parts. De-là, pour la perfonne du Tome IV.

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