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L'obéiffance active confifte à faire ce que le Souverain. commande; elle rend ministre de l'action. L'obéissance paffive consiste à souffrir ce qu'on ne peut empêcher fans renverfer l'ordre; elle ne rend pas miniftre de l'action. L'obéiffance active n'est pas toujours dûe, elle ne le feroit pas par exemple, fi le Prince faifoit des commandemens contraires à la Loi de Dieu ou à la Loi naturelle; mais l'obéiffance paffive eft indiffenfable dans tous les cas.

Comme il y a deux fortes d'obéiffances, il y a de même deux fortes de désobéissances, l'ative & la paffive. L'active confifte à agir contre les ordres du Souverain, & elle eft criminelle; la passive, à ne pas agir, & elle eft quelquefois légitime. C'eft ce que je ferai entendre dans la fuite.

Un principe que les Citoyens de tous les pays doivent avoir continuellement devant les yeux, c'est que la force de la Loi n'est pas formellement dans la justice, mais dans l'autorité du Législateur, ou, pour m'exprimer en d'autres termes, que l'obéiffance à la Loi n'eft pas attachée à la justice de fes difpofitions, mais à l'autorité du Législateur.

La défobéiffance aux Loix eft, s'il eft permis de parler ainfi, une maladie épidémique qui fe communique rapidement à toutes les parties d'un Etat & qui le ruine. Dès que quelques particuliers peuvent défobéir impunément, le reste de la Nation devient indocile.

La Loi ne doit pas être portée fans des raifons folides; mais dès qu'elle eft faite, elle forme un engagement absolu, & exige une exécution exacte, non à caufe des raisons qui ont donné lieu à son établissement, mais par rapport à l'autorité du Supérieur de qui elle émane. S'il en étoit autrement, les Edits & les Ordonnances des Princes feroient confondus avec les avis des Docteurs & les confeils des Jurifconfultes, qui n'ont de force qu'autant que la raison leur en donne. Qu'y

IV. L'obéiffance à la Loi n'eft pas

attachée à la juftice de fes difpofi

tions, mais à l'au

torité du Légifla

teur.

auroit-il de plus abfurde! Chaque particulier auroit droit d'examiner les Loix, & ne feroit tenu de les obferver, qu'autant qu'il les auroit approuvées, ce qui feroit la plus étrange confusion du monde, & réduiroit la Puiffance politique à une pure

chimère.

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L'on ne s'avife de difputer ni fur les ordres du Souverain, ni fur ceux du Général d'armée, lorfqu'on eft dif pofé à obéir. » S'il eft permis à chacun ( dit un Ancien) d'examiner les raifons qu'on a de le commander, dès-lors il n'y a plus d'obéiffance, & l'obéiffance manquant, le » commandement tombe auffi, & entraîne après lui la ruine des armées qui ne fubfiftent que par l'autorité des » Chefs & par l'obéiffance des Membres. » (a) Un Auteur moderne s'explique fur ce point tout auffi précisément dans un ftile qui lui eft propre : » Heureux le Peuple ( dit-il) qui fait » ce qu'on commande mieux que ceux qui commandent, sans se » tourmenter des caufes, qui fe laiffe mollement rouler après le roulement céleste. L'obéiffance n'eft jamais pure ni tranquil» le, en celui qui raisonne & qui plaide. » (b)

La focieté civile eft formée de l'union de toutes les volontés en une feule. L'obéiffance des particuliers, à l'égard de la fociété ou de celui qui la représente éminemment, eft donc ce qui la conftitue. Le Souverain, en donnant des Loix, foumet les lumiéres mêmes de ses sujets. On doit lui obéir parce qu'il commande, & non pas parce que ce qu'il ordonne paroît jufte.

C'est ce que les Loix civiles ont exprimé. La justice n'accompagne pas toujours les décifions des Tribunaux de Judicature, quoique les Loix y préfident; mais ces Tribunaux font cenfés rendre juftice, lors - même qu'ils jugent injustement, & que le nombre des Juges ignorans, prévenus,

(4) Ita Ducum autoritas, fic vigor difciplinæ habet, ut multa per Centuriones Tribunofque tantum juberi expediat. Si ubi jubeantur, quærere fingulis liceat pereunte obfequio, etiam imperium intercidit. Tacit. hift. cap. 83.

(b) Montaigne, Effais, p. 484.

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ou corrompus l'emporte fur celui des Sages. (a) En vain un plaideur dit-il qu'un Arrêt ne peut faire d'un Roturier un Gentilhomme; d'un batard un légitime; d'un Religieux, un Séculier; d'un Etranger, un Citoyen; d'un Créancier, un Débiteur. Ce n'eft qu'une pure pétition de principe, qui fuppofe que l'Arrêt a jugé le contraire de la vérité. L'on doit toujours préfumer, felon la maxime du Droit civil, que l'Arrêt y eft conforme (b) & il n'est plus permis de l'examiner, parce qu'au moyen du jugement tout eft consommé.

ce que

Dans un Etat Monarchique, les Citoyens peu inftruits des principes, difent affez souvent que le Monarque étant tenu de gouverner felon la raifon, on n'eft obligé d'obéir que lorsqu'il s'y conforme. Ils examinent fur cette maxime le Prince ordonne; & s'ils ne le trouvent pas conforme à leur raison particuliere, l'amour propre leur dit que le Prince s'eft trompé, delà ils concluent que ce sera le servir que de lui défobéir. Lorsque la crainte les retient extérieurement dans le devoir, ils tâchent d'éluder l'execution d'une loi ou d'un ordre qui leur paroît injufte, parce qu'il ne leur eft pas agréable, comme fi l'abus même de l'autorité pouvoit autoriser les inférieurs à s'y fouftraire.

Les Dieux vous ont donné la direction fuprême de toutes chofes, (difoit un Chevalier Romain à son Empereur ) & ils ne nous ont laiffé en partage que la gloire de l'obéiffance. (c) Il vaut beaucoup mieux mourir (ajoutoit un vertueux personnage) (d) que de fouffrir que la République prenne la Loi de fon Citoyen.

(a) Prætor quoque jus reddere dicitur, etiam cum iniquè decernit: relatione fcilicet factâ non ad id quod fecit Prætor, fed ad illud quod Prætorem facere convenit. f. de Juftitia & Jure. l. 12.

(b) Res judicata pro veritate habetur.

(c) M. Terentius à Tibère. Tibi fummum rerum judicium Dii dedêre, nobis obfequii gloria reli&ta eft. Tacit. Annal. I. 6.

(d) Caton d'Utique.

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Les fociétés civiles ne fçauroient fubfifter, fi chacun ne se contenoit dans l'ordre qui lui a été marqué. Quand fixeroit-on les incertitudes & les inquiétudes de l'efprit, fi pour quelque lueur de raison, dont fe trouvent fufceptibles toutes les opinions, fans en excepter les plus mauvaises, un feul citoyen pouvoit priver tous les autres de l'avantage qui a été le motif de la formation de l'Etat,

Un fujet ne peut confulter fa raison particuliére pour se fouftraire à celle du Souverain, fans violer toutes les Loix de la furbordination, fans rompre les liens du Gouvernement, fans divifer l'Etat, fans le renverfer. Ne vouloir se rendre qu'à fa propre lumiére, c'eft s'ériger à foi-même un Tribunal supérieur à celui du Souverain, c'est mépriser la Puissance Suprême, c'eft fe révolter. Juger les Jugemens du Souverain, c'eft s'établir le Souverain du Souverain même, c'est prétendre réduire à l'obéiffance celui qui eft né pour commander. Le Prince fçait tout le fecret & toute la fuite des affaiil voit non feulement ce que nous voyons, mais encore bien des chofes que nous ne voyons pas ; il voit de plus haut, & conféquemment plus loin. Il faut lui obéir & lui obéir exactement. Toute conduite du fujet qui a pour régle l'efprit particulier dans une affaire publique, a fon principe dans une fource empoisonnée.

res,

Eft-ce à ceux qui doivent être gouvernés, à gouverner ? Dans les Corps moraux, non plus que dans les Corps naturels, il n'appartient ni aux pieds ni aux autres membres inférieurs d'ufurper les fonctions de la langue & des yeux, pour prononcer & pour conduire & affujettir la tête.

Dès-là qu'on eft membre d'un Corps Politique, l'on est obligé d'obéir aux ordres du Souverain, quelle que foit la forme du Gouvernement, Monarchique, Ariftocratique, ou Démocratique. Lorfqu'une République a ordonné quelque chofe, eft-il quelque Sujet affez téméraire pour ofer prendre

fa raifon particuliére pour regle de fa conduite? Ce que l'on n'oferoit faire fous un Gouvernement Républicain, le ferat-on fous un Gouvernement Monarchique? Si cela étoit, les Républiques auroient un grand avantage fur les Royaumes, & il faudroit avouer qu'il n'y auroit point de Monarchie abfolue fur la terre, & que ce Gouvernement que les Républicains appellent quelquefois tyrannique, feroit le plus foible de tous & abfolument impuiffant pour établir le repos des fociétés où il eft reçu.

VI.

La Souveraineté

eft une & indivifiLa partager

bie prune

La Société civile eft un Corps moral qui n'a qu'une feule volonté, parce que chaque Citoyen a déposé la sienne, pour en förmer l'autorité Souveraine du Corps. Dans l'unité de la Nation, la volonté de chaque particulier eft comprise dans celle du Souverain, & la volonté d'un feul eft cenfée la volonté de tous. C'eft pour cela qu'on attribue des actions à ces Etres moraux, comme à une perfonne Physique. De même que l'on ne dit pas que c'eft l'œil mais l'homme qui voit, auffi attribue-t-on au Corps Politique les actions des particuliers qui le compofent, lorfque les particuliers agiffent comme membres du Corps. On ne dit pas non plus que c'est un certain nombre de Confeillers, mais un tel Tribunal qui a condamné un homme, parce que dans les Compagnies où la pluralité des voix détermine le Jugement & où elle est, pour ainfi dire, le Souverain, les Juges qui n'ont pas été de l'avis de la pluralité, n'ont pas laiffé de foufcrire à ce qu'elle a ordonné. C'est tout le Corps & non pas fimplement une partie de la Compagnie qui a rendu l'Arrêt, attendu que lonté de chaque particulier étant comprise dans celle de la pluralité, par la convention que tous ont faite de s'y foumettre, il eft exactement vrai que chaque particulier a voulu ce que la pluralité a ordonné. Lorfque les Juges font partagés en deux différentes opinions, c'est celle qui a le plus

la vo

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