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Les uns peuvent donner, & les autres prendre leur congé, toutes les fois qu'il leur plaît. Un Jurifconfulte François (a) affûre que les Arrêts du Parlement de Paris ont souvent annullé les engagemens qu'avoient pris des Domeftiques de fervir leurs Maîtres pendant un certain tems certaines peines,

fous

Il n'y a pas une distance infinie entre les Maîtres & les Domestiques, & c'est une méprife confidérable de mettre tant de différence entre des hommes que la nature rend égaux. Au lieu 'de s'en faire aimer & de travailler à les rendre capables de bien fervir, la plupart des Maîtres traitent durement les Domeftiques. Si un Domeftique s'acquitte mal du fervice qu'il doit à fon Maître, le Maître peut le châtier, mais il doit le faire avec modération. Ce châtiment, tout modéré que je le fuppofe, ne doit-être employé que pour les fautes de malice ou de grande négligence, ou pour réprimer l'infolence du Domestique. Le Maître ne l'inflige point en forme de peine, ainfi proprement nommée, il entreprendroit fur les droits du Magiftrat, mais en vertu du droit de correction domeftique, & comme un remède du dommage actuel que lui caufe la conduite de fon Domestique. Si les Domestiques font incapables de correction, les Maîtres doivent fimplement les renvoyer,

(4) Bodin dans fa République, Liv. 1. Ch. sẽ

LA SCIENCE

DU

GOUVERNEMENT.

DROIT PUBLIC.

CHAPITRE SECOND.

De la Souveraineté confidérée en géneral, par rapport à fon origine, à fes objets, à fes modifications, & à fes effets.

SECTION PREMIERE
En quoi confifte la Souveraineté.

I. Définition de

11 n'est pɔine

verain.

E Gouvernement établit & conferve l'union parmi les Citoyens. Il conduit les hommes par l'autorité la Souveraineté. au but que le Législateur a eu pour objet, & où d'Etat fans Soula raison seule devroit les faire aspirer, c'est-à-dire au bien général de la fociété dans lequel fe trouve l'avantage particulier de chaque citoyen. La Souveraineté eft donc

II.

Que toute dif.

Souverain & l'E

le droit absolu qu'a un Etre physique ou moral de gouverner felon fes lumières, une fociété civile, de telle maniere que ce qu'il ordonne & ce qu'il entreprend n'ait besoin de l'approbation de perfonne, & ne puiffe être corrigé, caffé, annullé, ni même contredit par aucune Puiffance supérieure ou égale dans l'Etat.

Le Droit Public d'un pays fuppofe néceffairement une Souveraineté dans le pays. Il n'eft point d'Etat fans Souveraineté, & toute Souveraineté eft compofée d'un Etat qui en est la matiere, & d'une Dignité qui en eft comme la forme. Quelle que foit la Conftitution du Gouvernement, la Souveraineté eft l'ame de l'Etat, la vie du Corps Politile fymbole de l'Empire fuprême & de la domination Souveraine.

que,

Dans toutes les Conftitutions, la Souveraineté eft défignée par le mot d'Etat. Elle eft encore appellée du nom de Monarchie, lorfque c'eft un feul qui gouverne, & de celui de République, lorsque le Gouvernement eft entre les mains de plufieurs ou de tous. Dans les Monarchies, le Souverain eft appelle Prince, Roi, Monarque; dans les Ariftocraties, c'est le Sénat qui eft le Souverain; dans les Démocraties, c'est dans le Corps du peuple que réside la Souveraineté.

Quoiqu'on puiffe diftinguer l'Etat d'avec le Souverain; tinction entre le leurs intérêts font effentiellement les mêmes, & toute dif tat eft infentée & tinction, à cet égard, eft infenfée & pernicieufe. Malheur aux Princes & aux Sujets qui en font quelqu'une !

pernicieuse.

Les Princes rentreroient dans l'obfcurité d'une condition privée, s'ils fe renfermoient dans les bornes d'un intérêt perfonnel. Ils ne doivent pas avoir des vues moins étendues que leurs Etats; ils font à tous, parce que tout leur est confié; ils ne font plus à eux-mêmes, parce qu'il n'eft pas poffible de les féparer du Corps dont ils font l'ame; ils font

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unis à la République fi étroitement, qu'on ne peut plus difcerner ce qui eft à eux d'avec ce qui eft à elle. L'on trouveroit plutôt une différence d'intérêt entre la tête & le corps humain, qu'entre le Souverain & l'Etat. (a) De quoi le Prince eft-il le Chef, s'il n'a point de Corps? Et quel Corps peut-il avoir s'il s'en fépare, s'il n'y eft uni que par des liens extérieurs, & s'il n'y répand le mouvement & la vie. (b) Il n'y a rien dans l'Etat qui foit étranger au Prince, rien qui dɔive lui être indifférent. Le Sujet le plus éloigné & le plus foible lui eft inféparablement uni. Le pied, à quelque diftance qu'il foit de la tête, lui eft précieux, & n'en peut être négligé (c); & tout ce qui eft aux Sujets, aussi-bien

que les Sujets même fait partie de ce qui eft confié à la sensibilité, à l'attention, à l'autorité du Chef de la République (d). Quand on n'auroit qu'un feul champ, qu'une feule vigne, quelle folie feroit-ce de ne penfer qu'aux fruits & d'en négliger la culture? Ne tari-t-on point la fource de fes revenus en ne se mettant pas en peine de ce qui les produit? Un Propriétaire ne fçauroit dégrader fon domaine fans fe nuire. Le Seigneur particulier d'une Paroiffe ne peut faire du préjudice à fa Terre fans s'en caufer ; & un Souverain qui laiffe périr fon Etat, fe ruine néceffairement.

La distinction qu'un Citoyen fait entre l'intérêt du Souverain & celui de l'Etat, ne fert qu'à aliéner du Souverain l'affection du peuple. Quel crime n'eft-ce pas de priver un Prince de ce qui doit faire fon plus ferme appui. Ceux qui pensent fervir l'Etat autrement qu'en fervant le Prince & qu'en lui

(a) Tu caput Reipublicæ es, illa corpus tuum. Senec. Lib. 1. de Clement. C. 5. (b) Unus tu in quo & Refpublica & nos fumus.... Nec magis fine te nos esse felices quam tu fine nobis potes. Panagyr. Traj. p. 208.

(c) Non poteft dicere caput pedibus: Non eftis mihi neceffarii. I. Corint. C. XII. V. 21.

(d) Nemo Regi tam vilis fit ut, illum perire non fentiat. Senec. lib. 1. de Clement. C. 16.

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obéiffant, font, fans le fçavoir & fans le vouloir, les ennemis du Prince & de l'Etat, en ce qu'ils s'attribuent une partie de l'autorité Souveraine, & en ce qu'ils troublent le repos public & le concours de tous les membres avec le Chef.

Ajoutons que la diftin&tion qu'un Miniftre fait entre l'inté~ rêt de fon Maître & celui du Public, ne fert qu'à aliéner du peuple l'affection du Prince or fi c'eft un crime de mettre mal le moindre fujet dans l'efprit du Prince, fans aucune cause légitime, combien n'est-on pas plus coupable d'y mettre mal toute la Nation & de la priver de la faveur de celui que la Providence a établi pour la rendre heureuse! l'autorité paternelle ait donné l'être à la Souvefoit des conventions que fondé originairement fane des Citoyens. l'Etat, foit enfin qu'il doive fon exiftence primitive au droit

III.

La Souveraineté eft le fon !ement

Soit

prochain & im- raineté,

médiat de l'obéif

Diftinction de l'o

& en passive.

que

ayent

bérance en active de conquête fuivi de la foumiffion des Citoyens à une autorité que. la force avoit établie, & que le tems a rendue légitime, la Souveraineté est le fondement prochain & immédiat de l'obéiffance des Citoyens. Le droit qu'a le Souverain de commander n'eft fondé que fur l'obligation où les Sujets font d'obéir.

Toute Souveraineté fuppofe dans le Souverain, d'une part, le droit de prefcrire aux Sujets ce qu'ils doivent ou faire ou éviter; & de l'autre, des forces fuffifantes pour les y forcer. La foumiffion volontaire des Sujets, dans la formation de l'Etat ou après fa conquête, emporte l'engagement d'obéir au Souverain, & exclud toute résistance à ses volontés, lorsqu'il veut employer l'autorité publique, qui eft entre ses mains, à un ufage qui lui paroît utile pour le bien public; les Citoyens ne peuvent donc employer leurs propres forces que de la maniére que le Souverain l'ordonne, ils ne peuvent légitimement refufer de lui obéir, & il eft en droit de les y contraindre; mais il eft une diftinction néceffaire entre l'obéiffance active & l'obéiffance paffive.

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