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propriété & la disposition fous le bon plaifir de leurs maîtres.

Les maîtres avoient un pouvoir fans bornes fur la vie, fur les biens, & fur les enfans des efclaves, de quelque maniére qu'ils le fuffent devenus. Tout ce que les efclaves acquéroient, ils l'acquéroient pour leurs maîtres. Les Nations crurent ne pouvoir étendre trop loin le droit des maîtres, parce que plus ces droits étoient grands, plus les maîtres, pour ne pas s'en priver, deyoient ménager la vie de leurs efclaves. Cette confidération produifoit quelquefois cet effet en faveur de ces malheureux, & l'on en voyoit peu périr par de mauvais traitemens, au lieu dans des guerres civiles où l'on ne pouvoit faire des esclaves, on tuoit ordinairement les prifonniers. Il y a eu néanmoins des Etats où ce pouvoir des maîtres fur leurs efclaves étoit restreint, à quelques égards, & où les maîtres ne pouvoient leur ôter la vie, fans s'expofer à quelques peines.

que, dans des

Le troifiéme tems qui eft celui où nous vivons, a rétabli la liberté naturelle dans toute fon étendue & dans tous fes droits. Elevant les coeurs & éclairant les efprits, le Chriftianisme a banni l'esclavage des conventions & des guerres des hommes, & a fait ceffer toutes les indignités qui dégradoient l'homme. Il n'y a plus d'esclavage parmi les Chrétiens. Les Nations policées ont aboli peu-à-peu ce droit barbare, & les perfonnes font libres dans toutes les fociétés Chrétiennes, si j'en excepte quelques malheureux paysans qu'un refte de barbarie tient encore dans l'efclavage en Ruffie, en Pologne, & en Bohème.

des efcla

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XLIII. Un efclave ac

Il y a des Etats qui non feulement ne font pas ves, mais qui rendent libres tous les efclaves étrangers qui quiert la liberté

y arrivent, Tel eft le Royaume de France, dont le nom
formé du mot Franc, fignifie originairement franchife.

Les efclaves que les Romains laifférent dans les Gaules,
Tome IV.

N

par fon entrée en France.

s'y étoient multipliés, & il y en a eu jusques fous la troifiéme race de nos Rois. On voit que dans le Concile de . Mâcon (a), il fut ordonné qu'aucun Chrétien ne seroit employé au service des Juifs. Les Capitulaires de Charlemagne nous apprennent, que lorsqu'un condamné qui n'avoit pas de quoi payer, s'acquittoit de l'argent d'un particulier, il fe vouoit à fon fervice. Enfin, le foulevement arrivé fous le regne de Louis le Gros (b) eft la preuve que l'esclavage étoit encore en usage en France dans le douzieme fiécle.

L'efprit du Chriftianisme introduifit en France trois fortes d'affranchiffemens. Le premier fe faifoit en préfentant au Roi un denier (c); & par là, l'esclave affranchi étoit fous la frotection du Roi. Le fecond, en préfentant auffi à l'Eglife un denier (d); & cela mettoit l'affranchi fous la protection de l'Eglife. Le troifieme enfin, fur la foi d'une Lettre miffive (e); & l'esclave ainsi affranchi étɔit libre de fe mettre fous la protection du Roi ou fous celle de l'Eglife.

La plupart des maîtres ne rendirent la liberté à leurs efclaves, qu'en se réservant sur eux de certains droits qui étoient inconnus chez les Romains, comme le droit de corvée, le droit de main-morte. Celui-ci reffembloit à cet esclavage dont le Chriftianifme venoit de foulager les François, les main-mortables étoient exposés à des contradi&ions oppofées à la liberté naturelle, cela donna lieu à une Charte (ƒ), par laquelle Suger, Régent du Royaume, affranchit tous les gens de main-morte. A fon exemple, Humbert Dauphin, & Thibault Comte de Blois rendirent la liberté à tous leurs efclaves.

(a) Célébré en 581.

(b) En 1108.

() Que l'on appelloit Præceptum denariale.

(d) Que l'on appelloit in Ecclefiâ per chartam.

(e) Per epiftolam Privatam.

(f) De l'an 1141.

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A leur avenement à la Couronne, les Rois de France chercherent à conferver à leurs peuples un attribut si précieux. Louis X. dit le Hutin, donna un Edit (a) qui confirma l'affranchiffement de tous les gens de main - morte. Henri II. en fit publier un (b) qui contenoit les mêmes difpofitions; & s'il s'eft confervé des gens de main-morte dans quelques Provinces du Royaume, ce n'eft point par un esprit de cet ancien esclavage. Tous les hommes y font libres, de cette liberté opposée à la servitude corporelle, fous laquelle ils gémi foient dans les premiers fiecles.

C'eft dans le treizieme fiécle que les François, rendus à leur premier état, jouirent de la liberté dans toute fa plénitude. Ce fut alors auffi que les Nobles furent diftingués en France entre les hommes libres. Ceux-là feulement furent cenfés Nobles qui pofsédoient antérieurement des Fiefs héréditaires fous l'obligation de porter les armes (c),

Depuis ce tems-là, c'eft une maxime de Droit François, qu'un efclave qui entre dans les Terres du Roi Très - Chrétien, ceffe d'être efclave & devient libre en refpirant l'air de France. La Terre Françoise ne fouffre point d'efclaves, & la liberté eft l'appanage univerfel de tous ceux qui l'habitent, comme des étrangers que la bonne fortune y conduit. Cette maxime n'a été établie par aucune Ordonnance; mais elle s'eft formée d'un long ufage qui a force de Loi, & tous nos Auteurs l'attestent (d).

Cette maxime de notre Droit Public a même été suppofée, & par conféquent autorisée par Louis XIV, dans une

(a) En 1315;

(b) En 1553.

(c) Voyez-en la preuve dans l'Hiftoire général du Languedoc, par Devic & Vaiffette. Paris 1730.

(d) Bodin, dans fa République; le Bret, dans fon Traité de la Souveraineté de nos Rois; Loifel, dans fes Inftituts,

XLIV. Exception que reçoit cete maxi

occafion que je vais expliquer. Avoir mis une exception à la regle, c'eft avoir confirmé la regle.

Ce Prince, pour faciliter le commerce de nos Colonies me; au fujet des de l'Amérique, a autorifé la traite des Négres qui s'échan

efclaves qui, des

Colonies Françoi

fes, font amenés gent contre des marchandifes. Comme ces Négres font defen France, pour tinés au défrichement & à la culture des terres & des den

retourner

Colonies.

XLV.

S'il feroit à

aux

porter des Né

rées qui y croiffent, l'utilité du Commerce a déterminé le Souverain (a) à déroger à la maxime du Droit François, à l'égard des Négres vendus par leurs propres Rois, & achetés pour fervir dans les Colonies Françoifes. Il veut que ces Négres reftent efclaves dans les Colonies, afin qu'ils foient contenus dans des travaux qui contribuent à rendre le Commerce floriffant dans ce Royaume & qui y entretiennent l'abondance. Il veut même qu'ils ne recouvrent pas leur ⚫ liberté en mettant le pied en France, lorfque leurs Maîtres les y amènent pour être inftruits de la Religion Catholique ou pour y apprendre un métier, dans le deffein de les renvoyer aux Colonies; mais il exige que le Maître obtienne une permiffion du Gouverneur de la Colonie, & qu'il en faffe la déclaration au Greffe de l'Amirauté du Port de mer où les Négres arrivent. En mettant le pied en France, les Négres font libres, fi ces formalités n'ont pas été remplies.

Quelques Auteurs ont penfé que, pour peupler davantage pos de faire tranf- la France, pour réparer la brèche qu'a fait à ce Royaume gres, d'Afrique en l'expulfion des gens de la Religion Prétendue-Réformée, & France. celle que lui fait fréquemment la guerre, pour ouvrir des canaux, deffécher des marais, défricher des terres, il feroit

à

propos de faire tranfporter en France des Négres, comme l'on en transporte en Amérique; qu'on feroit une chose utile pour tous les Etats de l'Europe, en rétablissant l'esclavage avec quelque adouciffement; & que la deftinée de ces escla(a) Voyez l'Edit de 1685. & celui de 1716.

cir

vage

ves, quelle qu'elle fût, feroit bien moins dure en Europe
qu'elle ne l'eft dans les Ifles de l'Amérique. Cela est vrai-
femblable. Les Négres qui appartiennent aux Espagnols dans
le Continent, n'en font pas maltraités; & l'on pourroit adou-
par des loix, dans l'Europe policée, le fort de ces infor-
tunés. Mais cet établissement n'auroit point les avantages
qu'on nous en promet. Qu'on life ce qu'un Jurifconfulte
François (a) a écrit pour & contre fur cette question, &
l'on demeurera perfuadé qu'il feroit pernicieux que l'escla-
fût rétabli, quelque tempérament qu'on mít au pouvoir
des Maîtres. La plupart des Négres tranfportés fous notre
climat périroient; & outre l'inhumanité qu'il y auroit à par-
tager le
genre humain comme en deux espèces d'hommes,
chaque Etat auroit autant d'ennemis que d'efclaves, & la
politique n'est pas moins intéreffée que l'humanité, à con-
ferver à tous les hommes leur liberté; aux avantages que
nous promettent ces Auteurs, on peut oppofer des inconvé
niens encore plus confidérables. La France feroit bientôt
étrangement défigurée, non feulement pour la couleur,
mais
encore pour les mœurs & la politeffe. Un Maître qui vit
parmi des efclaves, court rifque en quelque forte de fe déshu-
manifer, s'il eft permis de hazarder cette expression.

XLVI.
Quel est aujour.

d'hui le poivoir

des Maitres fur les

Aujourd'hui, les Domeftiques font fimplement obligés de fervir & de refpecter leurs Maîtres. Un Domestique doit mériter l'affection de fon Maître par une foumiffion volontaire, Domestiques. humble & refpectueufe, par une jufte complaifance, par une fidélité à toute épreuve, par un zèle ardent pourfon fervice

Les Maîtres font, de leur part, tenus de fournir la nourriture, le logement, & des gages à leurs Domeftiques. Ils doivent fe regarder comme leurs protecteurs, leurs bienfaiteurs, leurs peres.

(4) Bodin, dans fa République, L. 1. Ch. 4

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