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HARPAGON.

Non feray, de par tous les diables, je ne te le laifferay pas. Mais voyez quelle infolence, de vouloir retenir le vol qu'il m'a fait ?

VALER E.

Appellez-vous cela un vol?

HAR PAGON.

Si je l'appelle un vol? Untréfor comme celuy-là. VALERE.

C'eft un tréfor, il est vray, & le plus precieux que vous ayez fans doute; mais ce ne fera pas le perdre, que de me le laiffer. Je vous le demande à genoux, ce trefor plein de charmes; & pour bien faire, il faut que vous me l'accordiez.

HARPAGON.

Je n'en feray rien. Qu'eft-ce à dire cela ?
VALER E.

Nous nous fommes promis une foy mutuelle, & avons fait ferment de ne nous point abandonner. HARPAGON.

Le ferment eft admirable, & la promeffe plaisante! VALER E.

Oui, nous nous fommes engagez d'être l'un à l'autre à jamais.

HARPAGON.

Je vous en empêcheray bien, je vous affûre.

VALER E.

Rien que la mort ne nous peut feparer.

HARPAGON.

C'eft être bien endiablé aprés mon argent.

VALER E. Je vous ay déja dit, Monfieur que ce n'éton point l'intérêt qui m'avoit pouffé à faire ce que j'ay fait. Mon cœur n'a point agi par les refforts que vous penfez, & un motif plus noble m'a infpiré cette refolution.

HARPAGON.

Vous verrez que c'eft par charité Chrêtienne qu'il veut avoir mon bien; mais j'y donneray bon ordre; & la justice, pendant effronté, me va faire raison de

tour.

VALER E.

Vous en uferez comme vous voudrez, & me voilà

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preft à fouffrir toutes les violences qu'il vous plaira; mais je vous prie de croire, au moins, que s'il y a du mal, ce n'eft que moy qu'il en faut accufer, & que vôtre fille en tout ceci n'eft aucunement coupable. HARPAGON.

Je le croy bien, vrayment; il feroit fort étrange que ma fille eût trempé dans ce crime. Mais je veux r'avoir mon affaire, & que tu me confeffes en quel endroit tu me l'as enlevée.

VALER E.

Moy? Je ne l'ay point enlevée, & elle eft encore chez vous.

HARPAGON.

O ma chere caffette! Elle n'eft point fortie de ma maison.

Non, Monfieur.

VALER E.

HARPAGON.

Hé, dis-moy donc un peu ; Tu n'y as point touche? VALER E.

Moy, y toucher? Ah! vous luy faites tort, auffi bien qu'à moy; & c'eft d'une ardeur toute pure & refpectueuse, que j'ay brûlé pour elle.

HARPAGON.

Brûlé pour ma caffette!

VALER E.

J'aimerois mieux mourir que de luy avoir fait pa roitre aucune penfée offençante. Elle eft trop fage & trop honnête pour cela.

HARPAGON.

Ma caffette trop honnête!

VALER E.

Tous mes defirs fe font bornez à jouir de fa veuë; & rien de criminel n'a profané la paffion que fes beaux yeux m'ont infpiré.

HARPAGON.

Les beaux yeux de ma caffette! 11 parle d'elle, comme un amant d'une Maîtreffe.

VALER E.

Dame Claude, Monfieur, fçait la verité de cette avanture, & elle vous peut rendre témoignage...

HARPAGON.

Qucy, ma fervante eft complice de l'affaire?

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VALER E.

Oui, Monfieur, elle a été témoin de nôtre enga gement; & c'eft aprés avoir connu l'honnêteté de ma flame, qu'elle m'a aidé à perfuader vôtre fille de me donner la foy, & recevoir la mienne.

HARPAGON.

Eh! Eft-ce que la peur de la juftice le fait extravaguer? Que nous brouilles-tu ici de ma fille ? VALER E.

Je dis, Monfieur, que j'ay eu toutes les peines du monde à faire confentir fa pudeur à ce que vouloit

mon amour.

HARPAGON.

La pudeur de qui?

VALER E.

De vôtre fille; & c'eft feulement depuis hier qu'elle a pû fe refoudre à nous figner mutuellement une promeffe de mariage.

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HARPAGON.

Ma fille t'a figné une promeffe de mariage?

VALER E.

Oûi, Monfieur; comme de ma part je luy en ay figné une.

HARPAGON.

O Ciel! autre difgrace!

M. JACQUES.

Ecrivez, Monfieur, écrivez.

HARPAGON.

Rengregement de mal! Surcroift de defefpoir! Allons, Monfieur, faites le deu de vôtre charge, & dreffez-luy moy fon procés, comme larron, & comme fuborneur.

VALER E.

Ce font des noms qui ne me font point deus ; & quand on fçaura qui je fuis...

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SCENE V.

ELISE, MARIANE, FROSINE, HARPAGON, VALERE, M. JACQUES, LE COMMISSAIRE, SON CLERC.

HARPAGON.

H! fille fcelerate! fille indigne d'un Pere comme

Amoy! c'eft ainfi que tu pratiques les leçons que je t'ay données! Tute laiffes prendre d'amour pour un voleur infame, & tuluy engages ta foy fans mon confentement? Mais vous ferez trompez l'un & l'au tre. Quatre bonnes murailles me répondront de ta conduite ; & une bonne potence, pendart effronté, me fera raifon de ton audace.

VALER E.

Ce ne fera point vôtre paffion qui jugera l'affaire, & l'on n'écoutera, au moins, avant que de me condamner.

HARPAGON.

Je me fuis abufé de dire une potence, & tu feras roué tout vif.

ELISE, genous devant fon Pere.

Ah! mon Pere, prenez des fentimens un peu plus humains, je vous prie, &'allez point pouffer les chofes dans les dernieres violences du pouvoir paternel: Ne vous laiffez point entraîner aux premiers mouvemens de vôtre paffion, & donnez-vous le temps de confidérer ce que vous voulez faire. Prenez la peine de mieux voir celuy dont vous vous offencez: Ileft tout autre que vos yeux ne le jugent, & vous trouverez moins étrange que je me fois donnée à luy,lors que vous fçaurez que fans luy vous ne m'auriez plus il y a long-temps. Oui, mon Pere, c'eft celuy qui me fauva de ce grand péril que vous fçavez que je courus dans l'eau, & à qui vous devez la vie de cette même fille, dont...,

HARPAGON.

Tout cela n'eft rien; & il valoit bien mieux pour moy, qu'il te laiffât noyer, que de faire ce qu'il a fait.

ELL

ELISE.

Mon Pere, je vous conjure, par l'amour paternel, de me...

HARPAGON.

Non, non, je ne veux rien entendre ; & il faut que la juftice faffe fon devoir.

M. JACQUES.

Tu me payeras mes coups de bâton.

FROSINE.

Voici un étrange embarras.

SCENE V.

ANSELME, HARPAGON, ELISE, MARIANE
FROSINE, VALERE, M. JACQUES,
LE COMMISSAIRE, SON CLERC.

ANSEL ME.

U'eft-ce, Seigneur Harpagon, je vous vois tout émeu?

HARPAGON.

Ah! Seigneur Anfelme, vous me voyez le plus infortuné de tous les hommes ; & voici bien du trouble & du défordre au contrat que vous venez faire! On m'aflaffine dans le bien, on m'affaffine dans l'honneur; & voilà un traître, un fcelerat, qui a violé tous les droits les plus faints; qui s'eft coulé chez moy fous le titre de domeftique, pour me dérober mon argent, & pour me fuborner ma fille.

VALER E.

Qui fonge à vôtre argent, dont vous me faites un galimathias?

HARPAGON.

Oui,ils fe font donnez l'un & l'autre une promeffe de mariage. Cet affront vous regarde,Seigneur Anfelme; & c'eft vous qui devez vous rendre partie contre luy, & faire à vos dépens toutes les pourfuites de la juftice, pour vous vanger de fon infolence. ANSELM E.

Ce n'eft pas mon deffein de me faire époufer par force, & de rien prétendre à un coeur qui fe feroit donné mais pour vos intérêts, je fuis prêt à les embraffer ainsi que les miens propres,

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HAR

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