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CLEANTÉ.

Bien des chofes, ma Sœur, enveloppées dans un

mot. J'aime.

Vous aimez ?

ELISE.

CLEANTE.

Oui, j'aime. Mais avant que d'aller plus loin, je fçay que je dépens d'un Pere, & que le nom de fils me foûmet à fes volontez; que nous ne devons point engager nôtre foy fans le confentement de ceux dont nous tenons le jour; que le Ciel les a faits les Maîtres de nos voeux, & qu'il nous eft enjoint de n'en difpofer que par leur conduite, que n'étant prevenus d'aucune folle ardeur, ils font en état de fe tromper bien moins que nous, & de voir beaucoup mieux ce qui nous eft propre; qu'il en faut plúrót croire les lumieres de leur prudence, que l'aveuglement de nôtre paffion, & que l'emportement de la jeuneffe nous entraifne le plus fouvent dans des précipices fâcheux. Je vous dis tout cela, ma Soeur, afin que vous ne vous donniez pas la peine de me le dire: car enfin, mon amour ne veut rien écouter, & je vous prie de ne me point faire de remon

trances.

ELISE.

Vous êtes-vous engagé, mon Frere, avec celle que vous aimez?

CLEANTE.

Non; mais j'y fuis réfolu, & je vous conjure encore une fois, de ne me point apporter de raifons pour m'en diffuader.

ELISE.

Suis-je, mon Frere, une fi étrange personne ?

CLEANTE.

Non; ma Sœur, mais vous n'aimez pas. Vous Ignorez la douce violence qu'un tendre amour fait fur nos cœurs; & j'apprehende vôtre fageffe.

ELISE.

Helas! mon Frere, ne parlons point de ma fageffe. Il n'eft perfonne qui n'en manque du moins une fois en fa vie; & fi je vous ouvre mon cœur, peut-être ferai-je à vos yeux bien moins fage que vous.

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CLEAN TE.

Ah! plût au Ciel que vôtre ame comme la mien

ne...

ELISE.

Finiffons auparavant vôtre affaire, & me dites qui eft celle que vous aimez.

CLEANTE.

Une jeune perfonne qui loge depuis peu en ces quartiers,& qui femble étre faite pour donner de l'amour à tous ceux qui la voyent. La nature, ma Sœur, n'a rien formé de plus aimable; & je me fentis tranfporté, dés le moment que je la vis. Elle fe nomme Mariane, & vit fous la conduite d'une bonne femme de Mere, qui eft prefque toûjours malade. & pour qui cette aimable fille a des fentimens d'amitié qui ne font pas imaginables. Elle la fert, la plaint, & la confole avec une tendreffe qui vous toucheroit l'ame. Elle fe prend d'un air le plus charmant du monde aux chofes qu'elle fait, & l'on voit briller mille graces en toutes les actions, une douceur pleine d'attraits, une bonté toute engageante, une honnêteté adorable une... Ah! ma Soeur, je voudrois que vous l'euffiez veuë.

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ELISE.

J'en voy beaucoup, mon Frere, dans les chofes que vous me dites; & pour comprendre ce qu'elle eft, il me fuffit que vous l'aimez.

CLEAN TE.

J'ay découvert fous main, qu'elles ne font pas fort accomodées, & que leur difcrette conduite a de la peine à étendre à tous leurs befoins le bien qu'elles peuvent avoir. Figurez-vous, ma Soeur, quelle joye ce peut être, que de relever la fortune d'une perfonne que l'on aime; que de donner adroitement quelques petits fecours aux modeftes neceffitez d'une vertueufe famille; & concevez quel déplaifir ce m'eft, de voir que, par l'avarice d'un Pere, je fois. dans l'impuiffance de goûter cette joie, & de faire éclater à cette belle aucun témoignage de mon

amour,

ELISE.

Oui, je conçois affez, mon Frere, quel doit être vôtre chagrin.

CLE

CLEAN TE.

Ah! ma Sœur, il eft plus grand qu'on ne peut croire. Car enfin, peut-on rien voir de plus cruel, que cette rigoureufe épargne qu'on exerce fur nous ? que cette fechereffe etrange où l'on nous fait languir? Et que nous fervira d'avoir du bien, s'il ne nous vient que dans le temps que nous ne ferons plus dans le bel âge d'en joüir? & fi pour m'entretenir même, il faut que maintenant je m'engage de tous côtez; fi je fuis réduit avec vous à chercher tous les jours le fecours des marchands, pour avoir moyen de porter des habits raisonnables? Enfin j'ay voulu vous parler, pour m'aider à fonder mon Pere fur les fentimens où je fuis; & fi je l'y trouve contraire, j'ay refolu d'aller en d'autres lieux, avec cette aimable perfonne, jouïr de la fortune que le Ciel voudra nous offrir. Je fais chercher par tout, pour ce deffein, de l'argent à emprunter; & fivos affaires, ma Sœur, font femblables aux miennes, & qu'il faille que notre Pere s'oppose à nos defirs, nous le quitterons là tous deux, & nous affranchirons de cette tyrannie où nous tient depuis fi long-temps fon avarice insupportable.

ELISE.

Ileft bien vray que tous les jours il nous donne., de plus en plus, fujet de regretter la mort de nôtre Mere, & que...

CLEAN TE

J'entens fa voix. Eloignons-nous un peu, pour nous achever notre confidence; & nous joindrons aprés nos forces pour venir attaquer la dureté de fon humeur.

SCENE III.

HARPAGON, LA FLECHE.

HARPAGON.

Hors d'ici tout à l'heure, & qu'on ne replique pas. Allons, que l'on détale de chez moy, maître juré Filou, vray gibier de potence.

LA FLE CHE.

Je n'ay jamais rien veu de fi méchant que ce mau

Aaas

dit

dit Vieillard; & je pense, fauf correction, qu'il a

le diable au corps.

HARPAGON.

Tu murmures entre tes dents?

LA FLECHE.

Pourquoy me chaffez-vous ?

HARPAGON.

C'est bien à toy, pendart, à me demander des raifons: Sors vite, que je ne t'affomme.

LA FLECHE,

Qu'est-ce que je vous ay fait ?

HARPAGON.

Tu m'as fait, que je veux que tu fortes.
LA FLECHE.

Mon Maître vôtre fils m'a donné ordre de l'attendre.

HARPAGON.

Vat-en l'attendre dans la ruë,& ne fois point dans ma maifon planté tout droit comme un piquet, à obferver ce qui fe paffe, & faire ton profit de tout. Je ne veux point avoir fans ceffe devant moy un efpion de mes affaires; un traître, dont les yeux maudits affiégent toutes mes actions, devorent ce que je poffede, & furettent de tous côtez pour voir s'il n'y a rien à voler.

LA FLECHE.

Comme, diantre, voulez-vous qu'on faffe pour vous voler? Etes-vous un homme volable, quand vous renfermez toutes choles, & faites fentinelle jour & nuit.

HARPAGON.

Je veux renfermer ce que bon me femble, & faire fentinelle comme il me plaît. Ne voilà pas de mes mouchars, qui prennent garde à ce qu'on fait? à part. Je tremble qu'il n'ait foupconné quelque chofe de mon argent. Ne ferois-tu point homme à aller faire courir le bruit que j'ay chez moy de l'argent caché?

LA FLECHE.

Vous avez de l'argent caché?

HARPAGON. à part. Non, coquin, je ne dis pas cela, J'enrage. Je

de

demande, fi malicieusement tu n'irois point faire courir le bruit que j'en ay.

LA FLECHE.

Hé que nous importe que vous en ayez, ou que vous n'en ayez pas, fi c'eft pour nous la même

chole?

HARPAGON.

Tu fais le raifonneur, je te bailleray de ce raisonnement-cy par les oreilles. Il leve la main pour luy donner un foufflet. Sors d'ici encore une fois. LA FLECHE.

Hé bien, je fors.

HARPAGON.

Attens. Ne m'emportes-tu rien?

LA FLECHE.

Que vous emporterois-je ?

HARPAGON.

Vien-çà, que je voie. Montre-moy tes mains,

LA FLECHE.

HARPAGON.

Les voilà.

Les autres.

LA FLECHE,

Les autres?

HARPAGON.

Oûi.

LA FLECHE.

Les voilà.

HARPAGON.

N'as-tu rien mis ici dedans.

LA FLECHE.

Voyez vous-même.

HARPAGON.

Il tafte le bas de fes chauffes.

Ces grands haut-de-chauffes font propres à devenir les receleurs des chofes qu'on dérobe; & je voudrois qu'on en eût fait pendre quelqu'un.

LA FLECHE.

Ah! qu'un homme comme cela, meriteroit bien ce qu'il craint! & que j'aurois de joie à le voler?

Euh!

HARPAGON.

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