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aimables chaines dont deux cœurs fe lient enfemble!

SCAPIN.

Vous vous moquez; la tranquillité en amour eft un calme defagreable. Un bonheur tout uni, nous devient ennuyeux; il faut du haut & du bas dans la vie; & les difficultez qui fe mêlent aux chofes, réveillent les ardeurs, & augmentent les plaifirs.

ZER BINETTE.

Mon Dieu, Scapin, fai nous un peu ce recit, qu'on m'a dit qui eft fi plaifant, du ftratagême dont tu t'es avifé, pour tirer de l'argent de ton vieillard avare. Tu fçais qu'on ne perd point fa peine, lors qu'on me fait un conte, & que je le paye affez bien, par la joie qu'on m'y voit prendre.

SCAPIN.

Voilà Silveftre qui s'en acquitera auffi-bien que moi. J'ai dans la tête certaine petite vangeance dont je vay goûter le plaifir.

SILVESTRE.

Pourquoi, de gayeté de cœur, veux-tu chercher à t'attirer de méchantes affaires?

SCAPIN.

Je me plais à tenter des entreprises hazardeuses. SILVESTRE.

Je te l'ai déja dit, tu quitterois le deffein que tu as, fi tu m'en voulois croire.

SCAPIN.

Oui, mais c'est moi que j'en croirai.

SILVESTRE.

A quoi diable te vas-tu amufer?

SCAPIN.

Dequoi diable te mets-tu en peine?

SILVESTRE.

C'eft que je vois que fans neceffité tu vas courir rifque de t'attirer une venue de coups de bâton. SCAPIN.

Hé bien, c'est aux dépens de mon dos, & non pas du tien.

SILVESTRE.

Il eft vrai que tu es maître de tes épaules, & tu en difpoferas comme il te plaira.

SCA.

SCAPIN.

Ces fortes de périls ne m'ont jamais arrêté, & je hais ces cœurs pufillanimes, qui pour trop prévoir - les fuites des chofes, n'ofent rien entreprendre. ZER BINETTE.

Nous aurons befoin de tes foins.

SCAPIN.

Allez, je vous irai bientôt rejoindre. Il ne fera pas dit qu'impunément on m'ait mis en état de me trahir moi-même, & de découvrir des fecrets qu'il étoit bon qu'on ne sceût pas.

H

SCENE II.

GERONTE, SCAPIN,

GERON TE

E' bien, Scapin, comment va l'affaire de mon. fils?

SCAPIN.

Vôtre fils, Monfieur, eft en lieu de feureté; mais yous courez maintenant vous, le peril le plus grand du monde, & je voudrois pour beaucoup, que vous fuffiez dans votre logis.

GERONTE.

Comment donc ?

SCAP IN.

A l'heure que je parle, on vous cherche de toutes parts pour vous tuër.

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SCAPIN.

Le frere de cette perfonne qu'Octave a épousée. Il croit que le deffein que vous avez de mettre vôtre fille à la place que tient fa foeur, eft ce qui pouffe le plus fort à faire rompre leur mariage; & dans cette penfée il a refolu hautement de décharger fon defefpoir fur vous, & vous ôter la vie pour vanger fon honneur. Tous fes amis, gens d'épée Ttt 6

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comme lui, vous cherchent de tous les côtez, & demandent de vos nouvelles. J'ai vû même deçà & delà, des foldats de fa Compagnie qui interrogent ceux qu'ils trouvent, & occupent par pelotons toutes les avenues de vôtre maifon. De forte que vous ne sçauriez aller chez vous ; vous ne sçauriez faire un pas ni à droite, ni à gauche, que vous ne tombiez daus leurs mains.

GERON TE.

Que ferai-je, mon pauvre Scapin?
SCAPIN.

Je ne fçay pas, Monfieur, & voici une étrange affaire. Je tremble pour vous depuis les piez jufqu'à la tête, &... Attendez. Il se retourne, &fait femblant d'aller voir au bout du Theatre s'il n'y a perfonne.

Eh?

GERONT E, en tremblant.

SCAPIN, en revenant.

Non, non, non, ce n'eft rien.

GERONTE.

Ne fçaurois-tu trouver quelque moyen pour me tirer de peine?

SCAPIN.

J'en imaginebien un; mais je courrois risque moi, de me faire affommer.

GERON ́T E.

Eh, Scapin, montre-toi ferviteur zelé. Ne m'abandonne pas, je te prie.

SCAPIN.

Je le veux bien. J'ai une tendreffe pour vous, qui ne fçauroit fouffrir que je vous laifle fans fe

Cours.

GERONTE.

Tu en feras recompenfé, je t'affûre; & je te promets cet habit-ci, quand je l'aurai un peu ufé. SCAPIN.

Attendez. Voicy une affaire que je me fais trouvée fort à propos pour vous fauver. Il faut que vous Yous mettiez dans ce fac, & que.

GERONTE croyant voir quelqu'un.

Ah &

SCA

SCAPIN.

Non, non, non, non, ce n'est perfonne. Il faut, dis-je, que vous vous mettiez là-dedans, & que vous gardiez de remuër en aucune façon. Je vous chargeray fur mon dos, comme un paquet de quelque chofe, & je vous porterai ainfi au travers de vos ennemis, jufques dans vôtre maison, où quand nous ferons une fois, nous pourrons nous barricader, & cnvoyer querir main-forte contre ka violence.

GERONTE.

L'invention eft bonne.

SCAPIN.

La meilleure du monde. Vous alles voir. à part, Tu me payeras l'imposture.

Eh?

GERONTE.

SCAPIN

Je dis que vos ennemis feront bien attrapez, Mettez-vous bien jufqu'au fond, & fur tout pre nez garde de ne vous point montrer, & de ne branler pas, quelque chofe qui puifle arriver.

GERONT E.

Laiffe-moi faire. Je fçaurai me tenir...
SCAPIN.

Cachez-vous. Voici un fpadaffin qui vous cherche. En contrefaifant fa voix. Quoi, je n'aurai pas l'abantage de tuer cé Geronte, & quelqu'un par charité né m'enfeignera pas où il eft? A Geronte, avec fa voix ordinaire. Ne branlez pas. Reprenant fon ton contrefait. Cadédis, je lé trouberay, fé cachât-il au centre dé la terre. A Geronte, avec fon ton naturel. Ne vous montrez pas. Tout le langage Gafcon eft fuppofé de celuy qu'il contrefait, &lerefte de luy. Oh l'homme au fac. Monfieur. Jété vaille un Louis, & m'enseigne où put être Geronte. Vous cherchez le Seigneur Geronte? Oui mordy jé lé cherche. Et pour quelle affaire, Monfieur? Pour quelle affaire? Oui. Jé beux, cadédis, le faire mourir fous les coups de vaton. Oh, Monheur, les coups de bâton ne fe donnent point à des gens comme luy, & ce n'eft pas un homme à être traité de la forte. Qui, cé fat de Geronte, Ttt 7

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cé maraut, cé velitre ? Le Seigneur Geronte, Monfieur, n'eft ny fat, ny maraut, ny belitre, & vous devriez, s'il vous plaît, parler d'autre façon.Comment, tu métraittes à moi, avec cette hautur? Je defens, comme je dois, un homme d'honneur qu'on offenfe. Eft-ce que tu es des amis dé cé Géronte? Oui, Monfieur, j'en fuis. Ah, cadédis,tu es de fes amis, à la vonne hure. Il donne plufieurs comps de bâton fur le fac. Tien. Boila cé qué jé té vaille pour luy.Ah, ah, ah, Monfieur. Ah, ah, ah, Monfieur, tout-beau. Ah, doucement, ah, ah, ah. Ba, porte luy cela de ma part. Adiufias. Ah! Diable foit le Gafcon. Ah! en fe plaignant & remuant le dos, comme s'il avoit receu les coups de bâton.

GERONT E, mettant la tête
hors du fac.

Ah, Scapin, je n'en puis plus.

SCAPIN.

Ah, Monfieur, je fuis tout moulu, & les épau les me font un mal épouvantable.

GERONTE.

Comment, c'eft fur les miennes qu'il a frappé.
SCAPIN.

Nenny, Monfieur, c'étoit fur mon dos, qu'il frappoit.

GERONTE.

Que veux-tu dire? j'ay bien fenti les coups, & les fens bien encore.

SCAPIN.

Non, vous dis-je, ce n'eft que le bout du bâton qui a été jufques fur vos épaules.

GERONTE.

Tu devois donc te retirer un peu plus loin, pour m'épargner....

SCAPIN, luy remet la tête

dans le fac.

Prenez garde. En voici un autre qui a la mine d'un étranger. Cet endroit eft de même que celuy du Gafcon, pour le changement de langage, & le jeu de Theatre. Party moi courir comme un Bafque, & moi ne pouvre point troufair de tout le jour fty tiable de Gironte? Cachez-vous bien. Dites-moi un Peu fous, Monfir l'Homme, s'il ve plaift, fous fça

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