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Jefçais cela.

SCAPIN.

OCTAVE.

Et que Leandre & moi nous fûmes laiffez par nos Peres; moi fous la conduite de Silveftre, & Leandre ous ta direction.

SCAPIN.

Oui, je me fuis fort bien acquité de ma charge.
OCTAV E.

Quelque temps aprés, Leandre fit rencontre d'u ne jeune Egyptienne dont il devint amoureux.

SCAPIN.

Je fçais cela encore.

OCTAVE.

Comme nous fommes grands amis, il me fit auffitôt confidence de fon amour, & me mena voir cette Fille, que je trouvai belle à la verité, mais non pas tant qu'il vouloit que je la trouvaffe. Il ne m'entretenoit que d'elle chaque jour; m'exaggeroit à tous momens fa beauté & fa grace; me louoit fon efprit, & me parloit avec transport des charmes de fon entretien, dont il me raportoit jufqu'aux moindres paroles, qu'il s'efforcoit toûjours de me faire trouver les plus fpirituelles du monde. I me querelloit quelquefois de n'être pas aflez fenfible aux chofes qu'il me venoit dire, & me blâmoit fans ceffe de l'indifference où j'étois pour les feux de l'Amour.

SCAPIN.

Je ne vois pas encore où ceci veut aller.

OCTAV E.

Un jour que je l'accompagnois pour aller chez les gens qui gardent l'objet de fes vœux, nous entendimes dans une petite maifon d'une rue écartée, quelques plaintes mêlées de beaucoup de fanglots. Nous demandons ce que c'eft. Une femme nous dit en foupirant, que nous pouvions voir là quelque chofe de pitoyable en des perfonnes étrangeres; & qu'à moins que d'être infenfibles, nous cn ferions touchez.

SCAPIN.
Où est-ce que cela nous meine?

J

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OCTAV E.

A

La curiofité me fit preffer Leandre de voir ce que h c'étoit. Nous entrons dans une falle, où nous voyons: une vielle femme mourante, affiftée d'une servante qui faifoit des regrets, & d'une jeune fille toute fondante en larmes, la plus belle, & la plus touchante qu'on puiffe jamais voir,

Ah, ah.

མན ་[

SCAPIN..

OCTAVE.

Une autre auroit paru effroyable en l'état où elle étoit ; car elle n'avoit pour habillement qu'une méchante petite jupe, avec des bratlieres de nuit qui étoient de fimple futaine; & fa coiffure étoit une cornette jaune, retrouflée au haut de fa tête; qui laiffoit tomber en defordre fes cheveux fur fes épau les; & cependant faite comme cela, elle brilloit de mille attraits, & ce n'étoit qu'agrémens & que charmes, que toute fa perfonne.

SCAPIN, Je fens venir les chofes.

OCTAV E..

Si tu l'avois veuë, Scapin, en l'état que je dis, tu l'aurois trouvée admirable.

SCAPIN.

Oh je n'en doute point; & fans l'avoir veuë, je vois bien qu'elle étoit tout-à-fait charmante,

OCTAVE.

Ses larmes n'étoient point de ces larmes defaElle avoit à greables, qui défigurent un vifage pleurer, une grace touchante; & fa douleur étoit la plus belle du monde.

Je vois tout cela.

SCAPIN

OCTAVE.

Elle faifoit fondre chacun en larmes, en fe jettant amoureufement fur le corps de cette mou rante, qu'elle appelloit fa chere mere; & il n'y avoit perfonne qui n'eût l'ame porcée de voir un fibon

naturel..

SCAPIN.

En effet, cela eft touchant, & je vois bich que ce bon naturel-là vous la fit aimer.

ОСТА.

OCTAVE.

Ah! Scapin, un barbare l'auroit aimée.

SCAPIN.

Affûrément. Le moyen de s'en empêcher?
OCTAV E.

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Aprés quelques paroles, dont je tâchai d'adous cir la douleur de cette charmante affligée, nous fortimes de là; & demandant à Leandre ce qu'il lui fembloit de cette perfonne, il me répondit froidement qu'il la trouvoit affez jolie. Je fus piqué de la froideur avec laquelle il m'en parloit, & je ne voulus point lui découvrir l'effet que fes beautez avoient fait fur mon ame.

2

SILVESTRE.

Si vous n'abregez ce recit, nous en voilà pour jufqu'à demain. Laiffez-le moi finir en deux mots. Son cœur prend feu dés ce moment. Il ne fçauroit plus vivre, qu'il n'aille confoler fon aimable affli gée. Ses frequentes vifites font rejettées de la fervante, devenue la gouvernante par le trépas de la mere; voilà mon homme au defefpoir. Il preffe, fupplie, conjure; point d'affaire. On lui. dit que la fille, quoi que fans bien, & fans appuy, eft de famille honnête; & qu'à moins que de l'époufer, on ne peut fouffrir fes pourfuites. Voilà fon amour augmenté par les difficultez. II confulte dans fa tête, agite, raifonne, balance, prend fa refolution; Le voilà marié avec elle de puis trois jours.

J'entens.

SCAPIN..

SILVESTRE.

Maintenant mets avec cela le retour impréveu du Pere, qu'on n'attendoit que dans deux mois; la découverte que l'Oncle a faite du fecret de notre mariage, & l'autre mariage qu'on veut faire de lui avec la fille que le Seigneur Geronte a euë d'u-ne feconde femme qu'on dit qu'il a épousée à Ta

rente..

OCTAV E.

Et par deffus tout cela, mets encore l'indigenceoù le trouve cette aimable perfonne, & l'impuiffan ce où je me vois d'avoir dequoi la fecourir.

SCA.

SCAPIN.

Eft-ce-là tout? Vous voilà bien embarraffez tous deux pour une bagatelle. C'eft bien là dequoi fe tant allarmer. N'as-tu point de honte, toi, de de meurer court à fi peu de chofe? Que diable, te voil grand & gros comme pere & mere, & tu ne sçaurois trouver dans ta tête, forger dans ton efprit quelque rufe galante, quelque honnête petit ftratagéme, pour ajufter vos affaires? Fy. Pelte foit du butor. Je voudrois bien que l'on m'eût donné autrefois nos vieillards à duper; je les aurois jouez tous deux par deffous la jambe; & je n'étois pas plus grand que cela, que je me fignalois déja par cent tours d'adrefle jolis.

SILVESTRE.

J'avoue que le Ciel ne m'a pas donné tes talens, & que je n'ai pas l'efprit comme toi, de me brouiller avec la Juftice.

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OCTAV E.

Voici mon aimable Hiacinte.

SCENE III.

HIACINTE, OCTAVE, SCA-
PIN, SILVESTRE.

HIACINTE.

AH, Octave, eft-il vrai ce que Silveftre vient de

dire à Nerine, que vôtre Pere eft de retour, & qu'il veut vous marier?

OCTAVE.

Oui, belle Hiacinte, & ces nouvelles m'ont donné une atteinte cruelle. Mais que vois-je ? vous pleurez! Pourquoi ces larmes? Me foupçonnez-vous, ditesmoi, de quelque infidelité, & n'étes-vous pas aflurée de l'amour que j'ay pour vous?

HIA CINTE.

Oui, Octave, je fuis fûre que vous m'aimez; mais Je ne le fuis pas que vous m'aimiez toûjours.

OCTAV E.

Eh peut-on vous aimer, qu'on ne vous aime toute La vie

HIA

HIA CINTE.

J'ay ouï dire, Octave, que vôtre fexe aime moins ng-temps que le nôtre, & que les ardeurs que les mmes font voir, font des feux qui s'éteignent auffi cilement qu'ils naiffent.

OCTAVE.

Ah! ma chere Hiacinte, mon cœur n'est donc is fait comme celui des autres hommes, & je ens bien pour moi que je vous aimerai jufqu'au tom

eau.

HIACINTE.

Je veux croire que vous fentez ce que vous ites, & je ne doute point que vos paroles ne bient finceres ; mais je crains un pouvoir, qui

ombattra dans vôtre cœur les tendres fentimens ue vous pouvez avoir pour moi. Vous dépendez Pun Pere, qui veut vous marier à une autre per onne; & je fuis fûre que je mourrai, fi ce malheur

n'arrive.

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OCTAV E.

Non, belle Hiacinte, 'y a point de Pere qui puiffe me contraindre à vous manquer de foi, ✯ je me resoudrai à quitter mon païs, & le jour même s'il eft befoin, plûtôt qu'à vous quitter. J'ay déja pris, fans l'avoir veue, une averfion effroyable pour celle que l'on me deftine ; & fans être cruel je fouhaiterois que la mer l'écartât d'ici pour jamais. Ne pleurez donc point, je vous prie, mon aimable Hiacinte, car vos larmes me tuent, je ne les puis voir fans me fentir percer le

cœur.

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Puis que vous le voulez, je veux bien effuyer mes pleurs, & j'attendrai d'un ceil conftant ce qu'il plaira au Ciel de réfoudre de moi.

OCTAVE.

Le Ciel nous fera favorable.

HIACINTE.

Il ne sçauroit m'être contraire, fi vous m'étes f delle.

OCTAVE.

Je le ferai affûrément.

HIA

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