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HARPAGON.

Ofes-tu bien, aprés cela, paroître devant moy?
CLEANTE.

Ofez-vous bien, aprés cela, vous presenter aux yeux du monde ?

HARPAGON.

N'as-tu point de honte, dy moy, d'en venir à ces debauches-là de te precipiter dans des dépenfes effroyables:& de faire une honreufe diffipation du bien que tes parens t'ont amaffé avec tant de fueurs?

CLEANT E.

Ne rougiffez-vous point, de deshonorer vôtre condition, par les commerces que vous faites? de facrifier gloire & reputation, au defir infatiable d'entaffer écu fur écu? & de rencherir, en fait d'interêts, fur les plus infames fubtilitez qu'ayent jamais inventées les plus celebres ufuriers ¿

HARPAGON.

Ote toy de mes yeux, coquin, ôte-toy de mes yeux.

CLEANTE.

Qui eft plus criminel, à vôtre avis, ou celuy qui achete un argent dont il a befoin, ou bien celuy qui vole un argent dont il n'a que faire ?

HARPAGON.

Retire-toy, te dis-je,& ne m'échauffe pas les oreilles. Je ne fuis pas fâché de cette avanture; & ce m'eft un avis de tenir l'oeil, plus que jamais, fur toutes les actions.

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"Attendez un moment. Je vais revenir vous parler. Apart. 11 eft à propos que je faffe un petit tour à

mon argent.,

SCE

L'A

SCENE. IV.

LA FLECHE, FROSINE.

LA FLECHE.

'Avanture eft tout à fait drôle.Il faut bien qu'il ait quelque part un ample magasin de hardes; car nous n'avons rien reconnu au memoire que nous avons. FROSINE.

Hé c'eft toy, mon pauvre la Fleche, d'où vient cette rencontre ?

LA FLECHE.

Ah, ah, c'eft toy, Frofine, que viens-tu faire ici?
FROSINE.

Ce que je fais par tout ailleurs; m'entremettre d'affaires, me rendre ferviable aux gens, & profiter du mieux qu'il m'eft poffible des petits talens que je pais avoir. Tu fçais que dans ce monde il faut vivre d'adreffe; & qu'aux perfonnes comme moy le Ciel n'a donné d'autres rentes, que l'intrigue, & que l'induftrie.

LA FLECHE.

As tu quelque négoce avec le patron du logis?
FROSIN E.

Oui, je traitte pour luy quelque petite affaire, dont j'efpere une recompenfe.

LA FLECHE.

De luy! Ah, ma foy, tu feras bien fine, fitu en tires quelque chofe; & je te donne avis que l'argent ceans eft fort cher.

FROSINE.

Il y a de certains fervices qui touchent merveilleufement.

"

LA FLECHE.

Je fuis vôtre valet; & tu ne connois pas encore le Seigneur Harpagon. Le Seigneur Harpagon eft de tous les humains, l'humain le moins humain; le mortel de tous les mortels le plus dur, & le plus ferré. Il n'eft point de fervice qui pouffe fa reconnoiffance jufqu'à luy faire ouvrir les mains. De la louange, de l'eftime, de la bienveillance en paroles & de l'amitié tant qu'il vous plaira; mais de l'argent, point d'affaires. 11 n'eft rien de plus fec & Bbb s

de plus aride, que fes bonnes graces & fes careffes; & donner eft un mot pour qui il a tant d'aversion, qu'il ne dit jamais je vous donne, mais je vous prefte le bon jour. FROSIN E.

Mon Dieu,je fçay l'art de traiter les hommes.: J'ay le fecret de m'ouvrir leur tendrefle, de chatouiller leurs cœurs, de trouver les endroits par où ils font fenfibles.

LA FLECHE.

Bagatelles. Je te défie d'attendrir, du côté de l'argent, l'homme dont il eft queftion. Ileft Turc là-deffus, mais d'une Turcquerie à defefperer tout le monde, & l'on pourroit crever, qu'il n'en branleroit pas. En un mot, il aime l'argent, plus que reputation, qu'honneur, & que vertu; & la veuë d'un demandeur luy donne des convulfions. C'eft le frapper par fon endroit mortel, c'eft luy percer le cœur, c'eft luy arracher les entrailles; & fi... Mais il revient; je me retire.

SCENE V.

HARPAGON, FROSINE,

HARPAGON.

Tout va comine il faut. Hé bien, qu'eft-ce, Fro

fine?

FROSINE.

Ah, mon Dieu que vous vous portez bien! & que vous avez là un vray vifage de fanté!

Qui moy!

HARPAGON.

FROSINE.

Jamais je ne vous vis un teint fi frais, & fi gaillard.
HARPAGON.

Tout de bon?

FROSINE.

Comment? vous n'avez de vôtre vie été fi jeune que vous etes; & je vois des gens de vingt-cinq ans qui font plus vieux que vous.

HARPAGON.

Cependant, Frofine, j'en ay foixante bien com

picz.

FRO.

FROSINE

Hé bien, qu'est-ce que cela, foixante ans ? Voilà bien dequoy! C'eft la fleur de l'âge cela; & vous entrez maintenant dans la belle faifon de l'homme.

HARPAGON.

Il eft vray; mais vingt années de moins pourtant ne me feroient point de mal, que je croy.

FROSINE.

Vous moquez.vous? Vous n'avez pas besoin de cela; & vous étes d'une pâte à vivre jufques à

cent ans.

Tu le crois?

HARPAGON.

FROSINE

Affeurément. Vous en avez toutes les marques. Tenez-vous un peu. O que voilà bien là entre vos deux yeux un figne de longue vie !

HARPAGON.

Tu te connois à cela?

FROSINE.

Sans doute. Montrez-moy vôtre main. Ah mon Dieu! quelle ligne de vie !

HARPAGON.

Comment ?

FROSIN E.

21

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Ne voyez-vous pas jusqu'où va cette ligne-là?

HARPAGON.

Hé bien, qu'est-ce que cela veut dire?

FROSINE

Par ma foy, je disois cent ans, mais vous pafferez les fix-vingts.

i

HARPAGON.

Eft-il poffible?

FROSINE.

Il faudra vous affommer, vous dy-je; & vous mettrez en terre, & vos enfans, & les enfans de vos enfans.

HARPAGON.

-Tant mieux. Comment va nôtre affaire?

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Faut-il le demander? & me voit-on mêler de rien, dont je ne vienne à bout? Jay, fur tout pour les mariages, un talent merveilleux. Il n'eft point de

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partis au monde, que je ne trouve en peu de temps le moyen d'accoupler; & je croy, fi je me l'étois mis en tête, que je marierois le grand Turc avec la Republique de Venife. Il n'y avoit pas fans doute de fi grandes difficultez à cette affaire-cy. Comme j'ay commerce chez elles, je les ay à fond l'une & l'autre entretenues de vous, & j'ay dit à la Mere le deffein que vous aviez conçu pour Mariane, à la voir paffer dans la rue, & prendre l'air à fa fenêtre.

HARPAGON.

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Elle a receu la propofition avec joie; & quand je luy ay témoigné que vous fouhaitiez fort que fa fille affiftât ce foir au contract de mariage qui fe doit faire de la vôtre, elle y a confenti fans peine, & me l'a confiée pour cela.

HARPAGON.

C'est que je fuis oblige, Frofine, de donner à fouper au Seigneur Anfelme; & je feray bien-aife qu'elê foit du régale.

FROSIN E.

Vous avez raifon. Elle doit aprés difné rendre vifite à vôtre fille, d'où elle fait fon conte d'aller faire un tour à la Foire, pour venir enfuite au foupé.

HARPAGON.

Hé bien; elles iront ensemble dans mon caroffe, que je leur prêteray.

FROSINE.
Voilà justement fon affaire.

HARPAGON.

Mais, Frofine,as-tu entretenu la Mere touchant le bien qu'elle peut donner à fa fille? Luy as tu dit qu'il falloit qu'elle s'aidât un peu, qu'elle fit quelque effort, qu'elle fe faignât pour une occafion comme celle-cy? Car encore n'épouse-t-on point une fille, fans qu'elle apporte quelque chofe.

FROSINE...

Comment? c'est une fille qui vous apportera deuze mille livres de rente.

HARPAGON.

Douze mille livres de rente!

FRO

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