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Et crois que mon falut vous donne ce foucy.
TARTUFF E.

Il luy ferre les bouts des doigts.

Oui, Madame, fans doute, & ma ferveur eft telle... ELMIR E.

Ouf, vous me ferrez trop.

TARTUFF E.

C'eft par excés de zele.

De vous faire aucun mal, je n'eus jamais deffen,
Et j'aurois bien plûtôt...

Il luy met la main fur le genok.

EL MIR E.

Que fait là vôtre main?

TARTUFF E.

Je tâte vôtre habit, l'étoffe en eft moúelleufe.
EL MIR E.

Ah! de grace, laiffez, je fuis fort chatouilleufe.
Elle recule fa Chaife, &Tartuffe rapproche la ficnne.
TARTUFF E.

Mon Dieu, que de ce Point l'ouvrage eft merveil

leux!

On travaille aujourd'hui d'un air miraculeux;
Jamais, en toute chofe, on n'a veu fi bien faire.

EL MIR E.

Ileft vray. Mais parlons un peu de nôtre affaire.
On tient que mon Mari veut dégager fa foi,
Et vous donner fa Fille. Eft-il vray, dites-moi!

TARTUFF E.

Il m'en a dit deux mots: mais, Madame, à vrai dire,
Ce n'eft pas le bonheur apres quoy je foûpire;
Et je vois autre part les merveilleux attraits
De la felicité qui fait tous mes fouhaits.

ELMIR E.

C'est que vous n'aimez rien des chofes de la Terre.

TARTUFF E.

Mon fein n'enferme pas un cœur qui foit de pierre. ELMIR E.

Pour moy je croi qu'au Ciel tendent tous vos foûpirs, Et que rien, ici bas, n'arrête vos defirs.

N'etouffe

TARTUFF E.

L'amour qui nous attache aux Beautez éternelles, pas en nous l'amour des temporelles. Nos fens facilement peuvent être chaimez

Tome 111.

Iii

Des

Des ouvrages parfaits que le Ciel a formez.
Ses attraits refléchis brillent dans vos pareilles :
Mais il étale en vous fes plus rares merveilles.
Il a fur vôtre face épanché des beautez,

Dont les yeux font furpris, & les cœurs transportez;
Et je n'ay pû vous voir, parfaite Creature,
Sans admirer en vous l'Auteur de la Nature,
Et d'une ardente amour fentir mon cœur atteint,
Au plus beau des Portraits où lui-même il s'est peint.
D'abord j'apprehenday que cette ardeur fecrette
Ne fût du noir Efprit une surprise adroite;
Et même à fuir vos yeux, mon cœur fe réfolut,
Vous croyant un obftacle à faire mon falut.
Mais enfin je connus, ô Beauté toute aimable,
Que cette paffion peut n'être point coupable;
Que je puis l'ajufter avecque la pudeur:

Et c'eft ce qui m'y fait abandonner mon cœur.
Ce m'eft, je le confeffe, une audace bien grande,
Que d'ofer, de ce cœur, vous adreffer l'offrande;
Mais j'attens, en mes vœux, tout de vôtre bonté;
Et rien des vains efforts de mon infirmité.

En vous eft mon efpoir, mon bien, ma quietude:
De vous dépend ma peine, ou ma beatitude,
Et je vais être enfin, par vôtre feul Arrêt,

Heureux, fi vous voulez; malheureux, s'il vous plaît.

ELMIR E.

La declaration eft tout-à-fait galante:

Mais elle eft, à vray dire, un peu bien furprenante. Vous deviez, ce me semble, armer mieux vôtre fein, Et raisonner un peu fur un pareil deffein.

Un Dévot comme vous,& que par tout on nomme...
TARTU F F E.

Ah! pour être Dévot,je n'en fuis pas moins Homme;
Et lors qu'on vient à voir vos celeftes appas,
Un cœur fe laiffe prendre, & ne raisonne pas.
Je fçay qu'un tel difcours de moi paroît étrange;
Mais, Madame, aprés tout, je ne fuis pas un Ange;
Et fi vous condamnez l'aveu que je vous fais,

Vous devez vous en prendre à vos charmans attraits. Dés que j'en vis briller la fplendeur plus qu'humaine,

De mon interieur vous fâtes fouveraine.

De

De vos regards divins l'ineffable douceur,
Força la refiftance où s'obstinoit mon cœur ;
Elle furmonta tout, jeûnes, prieres, larmes,
Et tourna tous mes vœux du côté de vos charmes.
Mes yeux,& mes foûpirs, vous l'ont dit mille fois;
Et pour mieux m'expliquer, j'employe ici la voix."
Que fi vous contemplez, d'une ame un peu benigne,
Les tribulations de vôtre Efclave indigne ;
S'il faut que vos bontez veuillent me confoler,
Et jufqu'à mon neant daignent fe ravaler,
J'aurai toujours pour vous, ô fuave merveille,
Une devotion à nulle autre pareille.

Vôtre honneur, avec moi, ne court point de hazard,
Et n'a nulle difgrace à craindre de ma part.

Tous ces galans de Cour, dont les femmes font foles, Sont bruyans dans leurs faits, & vains dans leurs paroles.

De leurs progrés fans ceffe on les voit fe targuer;
Ils n'ont point de faveurs, qu'ils n'aillent divulguer:
Et leur langue indifcrete, en qui l'on fe confie,
Deshonore l'Autel où leur Cour facrifie :

Mais les Gens comme nous,brûlent d'un feu difcret,
Avec qui pour toûjours on eft feur du fecret,
Le foin que nous prenons de nôtre renommée,
Répond de toute chofe à la perfonne aimée;

Et c'eft en nous qu'on trouve, acceptant nôtre cœur,
De l'amour fans fcandale, & du plaifir fans peur.

ELMIR E.

Je vous écoute dire; & vôtre Rhétorique,
En termes affez forts, à mon ame s'explique.
N'apprehendez-vous point, que je ne fois d'humeur
A dire à mon Mari cette galante ardeur ?
Et que le prompt avis d'un amour de la forte,
Ne pût bien alterer l'amitié qu'il vous porte?
TARTUFF E.

Je fçay que vous avez trop de benignité,
Et que vous ferez grace à ma temerité

Que vous m'excuferez fur l'humaine foibleffe,
Des violens transports d'un amour qui vous bleffe ;
Et confidererez, en regardant vôtre air,

Que l'on n'eft pas aveugle, & qu'un Homme eft de chair.

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ELMIR E.

D'autres prendroient cela d'autre façon, peut-être;
Mais ma difcretion fe veut faire paroître
Je ne redirai point l'affaire à mon Epoux;
Mais je veux en revanche une chofe de vous.
C'eft de prefier tout franc, & fans nulle chicane,
L'union de Valere avecque Mariane,

De renoncer vous même à l'injufte pouvoir
Qui veut du bien d'un autre enrichir vôtre espoir;

Et...

SCENE IV.

DAMIS, ELMIRE, TARTUFF E.

DAMIS fortant du petit cabinet,
où il s'étoit retiré.

Non, Madame, non, ceci doit se répandre.
J'étois en cet endroit, d'où j'ay pú tout entendre;
Et la bonté du Ciel m'y femble avoir conduit,
Pour confondre l'orgueil d'un Traître qui me nuit ;
Pour m'ouvrir une voie à prendre la vangeance
De fon hypocrifie, & de fon infolence;"

A détromper mon Pere, & luy mettre en plein jour,
L'ame d'un Scelerat qui vous parle d'amour.
ELMIR E.

Non, Damis, il fuffit qu'il fe rende plus fage,
Et tâche à meriter la grace où je m'engage.
Puis que je l'ay promis, ne m'en dédites pas.
Ce n'est point mon humeur de faire des éclats;
Une Femme fe rit de fottifes pareilles,

Et jamais d'un Mary n'en trouble les oreilles.

DAMIS

Vous avez vos raifons pour en user ainfi ;
Et pour faire autrement, j'ay les miennes auffi.
Le vouloir épargner, eft une raillerie;

Et l'infolent orgueil de la Cagotterie,

N'a triomphe que trop de mon jufte courroux,
Et que trop excité de defordre chez nous.

Le Foutbe, trop long-temps, a gouverné mon Pere,
Et deffervi mes feux avec ceux de Valere.
Il faut que da Perfide il foit defabuse;

Et le Ciel, pour cela, m'offre un moyen aisé :

De

De cette occafion, je luy fuis redevable;
Et pour la négliger,'elle eft trop favorable.
Ceferoit meriter qu'il me la vint ravir;
Que de l'avoir en main, & ne m'en pas
ELMIR E.

Damis...

DAMIS.

fervir.

Non, s'il vous plaît, il faut que je me croie, Mon ame eft maintenant au comble de la joie, Et vos difcours en vain prétendent m'obliger A quitter le plaifir de me pouvoir vanger. Sans aller plus avant, je vais vuider l'affaire, Et voicy justement de quoy me fatisfaire.

SCENE V.

ORGON, DAMIS, TARTUFFE,
ELMIRE.

DA MIS.

Nous allons régaler, mon Pere, vôtre abord D'un incident tout frais, qui vous furprendra fort.

Vous étes bien payé de toutes vos careffes;

Et Monfieur, d'un beau prix, reconnoît vos tene dreffes.

Son grand zele, pour vous, vient de fe déclarer.
Il ne va pas à moins qu'à vous deshonorer ¿
Et je Pay furpris, là, qui faifoit à Madame
L'injurieux aveu d'une coupable flame.

Elle est d'une humeur douce,& fon cœur trop difcret
Vouloir, à toute force, en garder le fecret:
Mais je ne puis flatter une telle impudence,

Et crois que vous la taire, eft vous faire une offence.
ELMIR E.

Oui, je tiens que jamais, de tous ces vains propos, On ne doit d'un Mari traverser le repos;

Que ce n'est point de là que l'honneur peut dépen

dre,

Et qu'il fuffit pour nous, de fçavoir nous défendre. Ce font mes fentimens; & vous n'auriez rien dit, Damis, fi j'avois eu fur vous quelque credit.

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