Les vrais braves foient ceux qui font beaucoup de bruit;
Les bons & vrais dévots,qu'on doit fuivre à latrace, Ne font pas ceux auffi qui font tant de grimace. Hé quoy! vous ne ferez nulle distinction Entre l'hypocrifie, & la dévotion?
Vous les voulez traiter d'un femblable langage, Et rendre même honneur au mafque qu'au vifage? Egaler l'artifice à la fincérité ;
Confondre l'apparence, avec la vérité; Eftimer le fantôme, autant que la perfonne, Et la fauffe monnoie, à l'égal de la bonne? Les hommes, la plûpart, font étrangemens faits! Dans la jufte nature on ne les voit jamais. La raifon a pour eux des bornes trop petites, En châque caractere ils paffent fes limites, Et la plus noble chofe, ils la gâtent fouvent, Pour la vouloir outrer, & pouffer trop avant. Que cela vous foit dit en paffant, mon beau-frere, ORGON.
Ouy, vous étes, fans doute, un docteur qu'on revere, Tout le fçavoir du monde eft chez vous retiré, Vous étes le feul fage, & le feul éclairé,
Un Oracle,un Caton,dans le fiécle où nous fommes, Et prés de vous ce font des fots que tous les hom- CLEANTE.
(mes. Je ne fuis point, mon frère, un docteur revéré. Et le fçavoir, chez moi, n'eft pas tout retiré. Mais en un mot je fçay, pour toute ma science, Du faux, avec le vray, faire la différence : Et comme je ne vois nul genre de Héros Qui foient plus à prifer que les parfaits dévots, Aucune chofe au monde, & plus noble, & plus belle, Que la fainte ferveur d'un véritable zéle;
Auffi ne vois-je rien qui foit plus odieux, Que le dehors plâtré d'un zéle spécieux;
Que ces francs charlatans, que ces devots de place, De qui la facrilége & trompeufe grimace Abuse impunement, & fe joue à leur gré, De ce qu'ont les mortels de plus faint, & facré. Ces gens, qui par une ame à l'intérêt foümife, Font de devotion mêtier & marchandise, Et veulent acheter crédit, & dignitez,
A prix de faux clins d'yeux, & d'élans affectez. Ces gens, dis-je, qu'on voit d'une ardeur non com-
Par le chemin du Ciel courir à leur fortune;
Qui brûlans, & prians, demandent chaque jour, Et prêchent la retraite au milieu de la Cour: Qui fçavent ajufter leur zele avec leurs vices,. Sont prompts, vindicatifs, fans foi, pleins d'artifices, Et pour perdre quelqu'un, couvrent infolemment, De l'interêt du Ciel, leur fier reffentiment; D'autant plus dangereux dans leur âpre colere, Qu'ils prennent contre nous des armes qu'on re-
Et que leur paffion dont on leur fçait bon gré, Veut nous affaffiner avec un fer facré.
De ce faux caractere, on en voit trop paroître : Mais les devots de coeur font aifez à connoîrre: Nôtre fiecle, mon frere, en expofe à nos yeux, Qui peuvent nous fervir d'exemples glorieux. Regardez Arifton, regardez Periandre, Oronte, Alcidamas, Polidore, Clitandre: Ce titre par aucun ne leur eft débatu, Ce ne font point du tout fanfarons de vertu, On ne voit point en eux ce fafte infuportable, Et leur devotion eft humaine, eft traitable, Ils ne cenfurent point toutes nos actions, Ils trouvent trop d'orgueil dans ces corrections, Et laiffant la fierté des paroles aux autres, C'eft par leurs actions, qu'ils reprennent les nôtres. L'apparence du mal a chez eux peu d'appui: Et leur ame eft portée à juger bien d'autrui; Point de cabale en eux, point d'intrigues à fuivre On les voit pour tous foins, fe mêler de bien vivre. Jamais contre un Pécheur ils n'ont d'acharnement: Ils attachent leur haine an peché feulement, Et ne veulent point prendre, avec un zele extrême, Les interêts du Ciel, plus qu'il ne veut lui-même. Voilà mes gens, voilà comme il en faut ufer, Voilà l'exemple enfin qu'il le faut propofer e Vôtre homme, à dire vrai, n'eft pas de ce modele, C'eft de fort bonne foi que vous vantez fon zele, Mais par un faux éclat je vous crois ébloui.
Monfieur mon cher beau frere, avez-vous tout dit?
De grace, un mot, mon frere. Laiffons-là ce difcours. Vous fçavez que Valere, Pour être vôtre Gendre, a parole de vous.
Vous aviez pris jour pour un lien fi doux. ORGON.
CLEANT E.
Pourquoi donc en differer la fête? ORGON.
CLEANT E.
Auriez-vous autre pensée en tête? ORGON.
CLEANT E.
Vous voulez manquer à vôtre foi?
Ne vous peut empêcher d'accomplir vos promesses.
Pour dire un mot, faut-il tant de fineffes?
Valere, fur ce point, me fait vous vifiter.
CLEANTE. Mais que luy raporter ? ORGON.
Tout ce qu'il vous plaira.
De fçavoir vos deffeins. Quels font-ils donc ? ORGON.
Mais parlons tout de bon.
Valere a vôtre foi. La tiendrez-vous, ou non?
CLEANT E.
Pour fon amour, je crains une disgrace,
Et je dois l'avertir de tout ce qui se passe.
Fin du Premier Acte.
Il regarde dans un petit Cabinet.
Si quelqu'un n'eft point là, qui pourroit nous en- tendre;
Car ce petit endroit eft propre pour furprendre. Or fus, nous voilà bien. Jay, Mariane, en vous, Reconnu, de tout temps, un efprit affez doux; Et de tout temps auffi vous m'avez été chere.
Je fuis fort redevable à cét amour de Pere.
C'eft fort bien dit, ma fille; & pour le meriter, Vous devez n'avoir foin que de me contenter. MARIANE..
C'eft où je mets auffi ma gloire laplus haute. ORGON.
Fort bien. Que dites-vous de Tartuffe nôtre hôte?
Vcus. Voyez bien comme vous répondrez. MARIANE.
Helas! j'en dirai, moi, tout ce que vous voudrez. ORGON.I
C'eft parler fagement. Dites-moi donc, ma fille, Qu'en route fa perfonne un haut merite brille, Qu'il touche vôtre cœur, & qu'il vous feroit doux De le voir, par mon choix, devenir vôtre époux, Eh?
Mariane fe recule avec› furprise.
MARIA NE.
Qui voulez-vous, mon Pere, que je dife, Qui me touche le cœur, & qu'il me feroit doux De voir, par votre choix, devenir mon époux ?
Il n'en eft rien, mon Pere, je vous jure. Fourquoi me faire dire une telle impofture?
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