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DORINE.

Ohvrayment, tout cela n'eft rien au prix du Fils;
Et fi vous l'aviez veu, vous diriez, c'est bien pis.
Nos troubles l'avoient mis fur le pié d'homme fage,
Et pour fervir fon Prince, il montra du courage:
Mais il eft devenu comme un homme hébété,
Depuis que de Tartuffe on le voit entêté.

11 l'appelle fon frere, & l'aime dans fon ame
Cent fois plus qu'il ne fait mere, fils,fille,& femme,
C'eft de tous fes fecrets l'unique confident,
Et de fes Actions le Directeur prudent.

Ille choye, il l'embraffe; & pour une Maftreffe,
On ne sçauroit, je pense, avoir plus de tendreffe,
A table, au plus haut bout, il veut qu'il soit affis, -
Avec joye il l'y voit manger autant que fix;

Les bons morceaux de tout, il faut qu'on les lui ce
de,

Et s'il vient à rotter il lui dit, Dieu vous aide.
C'est une Servante qui parle.

Enfin il en eft fou, c'est son tout, fon Héros;"
Il l'admire à tous coups, le cite à tout propos;
Ses moindres actions Ini femblent des miracles,
Et tous les mots qu'il dit, font pour lui des Oracles
Lui qui connoît fa dupe, & qui veut en jouir,
Par cent dehors fardez, a l'art de l'ébloüir;

Son Cagotifme en tire à toute heure des fommes,"

Et prend droit de glofer fur tous tant que nous fom

mes.

Il n'eft pas jufqu'au Fat, qui lui fert de garçon',
Qui ne le mêle auffi de nous faire leçon.
Il vient nous fermonner avec des yeux farouches,
Et jetter nos rubans, nôtre rouge, & nos mouches.
Le traître, l'autre jour, nous rompit de fes mains;
Un mouchoir qu'il trouva dans une fieur des Saints;
Difant que nous mêlions, par un crime effroyable,
Avec la fainteté, les parures du diable.

SCENE III.

ELMIRE, MARIANE, DAMIS,
CLEANTE.

ELMIR E.

Vous étes bienheureux, de n'être point venu
Au difcours qu'à la Porte elle nous a tenu.

Mais j'ay veu mon Mari; comme il ne m'a point

veuë,

Je veux aller là-haut attendre fa venuë.

CLEANTE.

Moi, je l'attens ici pour moins d'amusement,
Et je vais lui donner le bon jour seulement.
DAMIS.

De l'hymen de ma fœur, touchez-lui quelque chofe
J'ay foupçon que Tartuffe à son effet s'oppofe;
Qu'il oblige mon pere à des detours fi grans,
Et vous n'ignosez pas quel intérêt j'y prens.
Si même ardeur enflame, & ma fœur, & Valere,
La fœur de cet Ami, vous le fçavez, m'eft chere:
Et s'il falloit...

DORINE.

Il entre.

SCENE IV.

ORGON, CLEANTE, DORINE,

ORGON.

H, mon frere, bon-jour,
A CLEANTE

Je fortois, & j'ay joye à vous voir de retour:
La Campagne, à préfent, n'eft pas beaucoup fleurie,

ORGON.

Dorine: mon beau-frere, attendez, je vous prie,
Vous voulez bien fouffrir, pour m'ôter de fouci,
Que je m'informe un peu des nouvelles d'ici.
Tout s'eft-il ces deux jours, paffé de bonne forte
Qu'est-ce qu'on fait ceans; comme eft-ce qu'on s'y
porte?

DORIN E.

Madame eut, avant-hier, la fiévre jufqu'au foir, Avec un mal de tête étrange à concevoir.

Et Tartuffe?

ORGON.

DORIN E.

Gros, & gras, le teint frais, & la bouche vermeille. Tartuffe 11 fe porte à merveille.

Le pauvre homine!

ORGON,

DO.

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DORIN E.

Le foir elle eut un grand dégoût,

ne pût au foupé toucher à rien du tout, nt fa douleur de tête étoit encor cruelle.

Tartuffe

ORGON.

DORIN E.

Il foupa, luy tout feul, devant elle, fort devotement il mangea deux Perdrix, Rec une moitié de Gigot en hachis.

01

pauvre homme!

ORGON.

DORINE.

La nuit fe paffa toute entiére, is qu'elle pût fermer un moment la paupière; s chaleurs l'empêchoient de pouvoir fommeiller, jufqu'au jour, prés d'elle, il nous fallut veiller,

t Tartuffe ?

ORGON.

DORIN E.

Preffé d'un fommeil agréable, paffa dans fa Chambre, au fortir de la Table, t dans fon lit bien chaud, il fe mit tout foudain, Dù fans trouble il dormit jufques au lendemain. ORGON.

Le pauvre homme!

DORIN E.

A la fin, par nos raisons gagnée,

lle fe réfolut à fouffrir la faignée,

tle foulagement fuiv it tout auffi-tót.,

Et Tartuffe?

ORGON.

DORINE.

Il reprit courage comme il faut

Et contre tous les maux fortifiant fon ame,
Pour reparer le fang qu'avoit perdu Madame,
But à fon déjeuné, quatre grands coups de vin,

Le pauvre homme!

ORGON.

DORIN E.

Tous deux fe portent bien enfin; Et je vais à Madame annoncer par avance, La part que vous prenez à fa convalefcence.

3

SCE

A

SCENE V.

ORGON, CLEANTE.

CLEANT E.

Vôtre nez, mon Frere, elle fe rit de vous; Etfans avoir deffein de vous mettre en courroux, Je vous dirai tout franc, que c'eft avec juftice. A-t-on jamais parlé d'un femblable caprice;

Et fe peut-il qu'un homme ait un charme aujourdhuy

A vous faire oublier toutes chofes pour luy?
Qu'apres avoir chez vous reparé fa misére,
Vous en veniez au point...

ORGON.

Alte-là, mon Beau-frere,
Vous ne connoiffez pas celui dont vous parlez.
CLEANTE.

Je ne le connois pas, puisque vous le voulez :
Mais enfin, pour fçavoir quel homme ce peut être.
ORGON.

Mon frere, vous feriez charmé de le connoître
Et vos raviffemens ne prendroient point de fin.
C'est un homme...qui...ah...un homme...un
homme enfin.

Qui fuit bien fes leçons, goûte une paix profonde,
Et comme du fumier, regarde tout le monde.
Oui, je deviens tout autre avec son entretien,
Il m'enseigne à n'avoir affection pour rien;
De toutes amitiez il détache mon ame,

Et je verrois mourir, frere, enfans, mere,& femme;
Que je m'en foucirois autant que de cela.

CLEANTE.

Les fentimens humains, mon frere, que voilà!
ORGON.

Ha, fi vous aviez veu comme j'en fis rencontre,
Vous auriez pris pour lui l'amitié que je montre.
Châque jour à l'Eglife il venoit d'un air doux,
Tout vis-à vis de moi, fe mettre à deux genoux.
Il attiroit les yeux de l'affemblée entiére,
Par l'ardeur dont au Ciel il pouffoit fa prière:
Il faifoit des foûpirs, de grans élancemens,

Et

Et baifoit humblement la terre à tous momens:
Et lors que je fortois, il me devançoit vite,
Pour m'aller à la porte offiir de l'Eau-bénite.
Inftruit par fon garçon, qui dans tout l'imitoit,
Er de fon indigence, & de ce qu'il étoit,
Je lui faifois des dons; mais avec modeftie,
il me vouloit toûjours en rendre une partie.
C'est trop, me difoit-il, c'est trop de la moitié,
Je ne mérite pas de vous faire pitié:

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Et quand je refufois de le vouloir reprendre,
Aux pauvres, à mes yeux, il alloit le répandre.
Enfin le Ciel, chez moi, me le fit retirer,
Et depuis ce temps-là, tout femble y profpérer.
Je voi qu'il reprend tout, & qu'à ma femme même,
Il prend pour mon honneur un intérêt extrême ;
Il m'avertit des gens qui lui font les yeux doux
Et plus que moi, fix fois, il s'en montre jaloux.
Mais vous ne croiriez point jufqu'où monte fon zé-
Il s'impute à péché la moindre bagatelle, (les
Un rien prefque fuffit pour le fcandalifer,
Jufques-là qu'il fe vint l'autre jour accufer
D'avoir pris une puce en faifant fa priére,
Et de l'avoir tuée avec trop de colére.

CLEAN T E.

'arbleu, vous étes fou, mon frere, que je croi. Avec de tels difcours vous moquez-vous de moi? it que prétendez-vous que tout ce badinage. . . ORGON.

fon frere, ce difcours fent le libertinage. ous en êtes un peu dans votre ame entaché; t comme je vous l'ai plus de dix fois prêché, ous vous attirerez quelque méchante affaire. CLEANTE. oilà de vos pareils le difcours ordinaire. sveulent que chacun foit aveugle comme eux. 'eft être libertin, que d'avoir de bons yeux; qui n'adore pas de vaines fimagrées, 'ani refpect, ni foi, pour les chofes facrées. llez, tous vos difcours ne me font point de peur; fçay comme je parle, & le ciel voit mon cœur. tous vos façonniers on n'eft point les efclaves, eft de faux devors, ainfi que de faux braves: t comme on ne voit pas qu'où l'honneur les conduit,

Les

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