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13.-LE COQ.

Un meûnier passait pour être riche en argent comptant; les deux jeunes fils de l'un de ses voisins résolurent de le voler. Ils prirent une grande échelle pour escalader la fenêtre. Le soir même ils avaient fait boire outre mesure le garde-moulin, de sorte qu'ils savaient n'avoir à faire qu'à un seul homme.

En montant, ils entendirent chanter un coq; le plus jeune dit à l'aîné:-Tiens, n'allons pas plus loin, le chant du coq a peut-être réveillé le meûnier, il pourra appeler du secours et nous serons arrêtés. Tais-toi, lâche, reprit l'autre, si le meûnier ne dort pas, nous l'endormirons à coups de couteau.

Ils entrèrent dans le moulin, poignardèrent le maître, et enlevèrent tout son argent.

On chercha vainement les auteurs de ce crime, les assassins ne furent pas découverts., Deux ans après ils allèrent ensemble à une foire à quelques lieues de là. Le mauvais temps les empêcha de retourner le jour même chez eux, et ils furent obligés de rester à l'auberge; on les plaça dans une chambre à deux lits, mais ils couchèrent ensemble. Avant l'aurore, un coq vint chanter sous leur fenêtre; le plus jeune des deux frères s'éveilla en sursaut et dit:— Maudit coq, je le tuerais si je le tenais; depuis la nuit du moulin, je ne puis l'entendre sans frayeur.-C'est vrai, dit l'autre, quand j'entends un coq il me semble que j'ai sous les yeux le meûnier au moment où nous l'avons tué.

Bientôt ils se rendormirent l'un et l'autre ; quand ils s'éveillèrent de nouveau, des gendarmes entouraient leur lit; on les arrêta, ils furent jetés en prison et condamnés. Le témoin principal fut un marchand que pendant la nuit on avait mis coucher dans la même chambre qu'eux, et qui avait entendu leur conversation. Les criminels se trahissent souvent eux-mêmes.

14.-L'ESPAGNOL ET L'INDIEN.

Un voyageur Espagnol avait rencontré un Indien au milieu d'un désert. Ils étaient tous deux à cheval; l'Espagnol qui craignait que le sien ne pût faire sa route, parce qu'il était très-mauvais, demanda à l'Indien qui en avait un jeune et vigoureux, de faire un échange; celui-ci refusa, comme de raison. L'Espagnol lui cherche une querelle; ils en viennent aux mains; mais l'Espagnol, bien armé, se saisit facilement du cheval qu'il désirait, et continue sa route. L'Indien le suit jusque dans la ville la plus prochaine, et va porter ses plaintes au juge. L'Espagnol est obligé de comparaître et d'amener le cheval; il traite l'Indien de fourbe, assurant que le cheval lui appartient et qu'il l'a élevé tout jeune.

Il n'y avait point de preuves du contraire, et le juge indécis allait renvoyer les plaideurs hors de cour et de procès, lorsque l'Indien s'écria: "Le cheval est à moi, et je le prouve." Il ôte aussitôt son

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manteau, en couvre subitement la tête de l'animal, et s'adressant au juge: "Puisque cet homme," dit-il, "assure avoir élevé ce cheval, commandez-lui de dire duquel des deux yeux il est borgne." L'Espagnol ne veut point paraître hésiter, et répond à l'instant, de l'œil droit. Alors l'Indien découvrant la tête du cheval: "Il n'est borgne," dit-il, "ni de l'œil droit, ni de l'œil gauche." Le juge, convaincu par une preuve si ingénieuse et si forte, lui adjugea le cheval, et l'affaire fut terminée,

15.—MIEUX QUE ÇA.

L'Empereur Joseph II. n'aimait ni la représentation ni l'appareil, témoin ce fait qu'on se plait à citer. Un jour que, revêtu d'une simple redingote boutonnée, accompagné d'un seul domestique sans livrée, il était allé, dans une calèche à deux places qu'il conduisait lui-même, faire une promenade du matin aux environs de Vienne, il fut surpris par la pluie, comme il reprenait le chemin de la ville.

Il en était encore éloigné, lorsqu'un piéton, qui regagnait aussi la capitale, fait signe au conducteur d'arrêter,-ce que Joseph II. fait aussitôt.-Monsieur, lui dit le militaire (car c'était un sergent), y aurait-il de l'indiscrétion à vous demander une place à côté de vous? cela ne vous gênerait pas prodigieusement, puisque vous êtes seul dans votre caléche, et ménagerait mon uniforme que je mets aujourd'hui pour la première fois.-Ménageons votre uniforme, mon brave, lui dit Joseph, et mettez-vous là. D'où venez-vous ?-Ah! dit le sergent, je viens de chez un garde-chasse de mes amis, où j'ai fait un fier déjeuner.-Qu'avez-vous donc mangé de si bon?-Devinez.— Que sais-je, moi, une soupe à la bière?-Ah! bien, oui, une soupe; mieux que ça. De la choucroute?-Mieux que ça.-Une longe de veau? Mieux que ça, vous dit-on.-Oh! ma foi, je ne puis plus deviner, dit Joseph.-Un faisan, mon digne homme, un faisan tiré sur les plaisirs de Sa Majesté, dit le camarade en lui frappant sur la cuisse.-Tiré sur les plaisirs de Sa Majesté, il n'en devait être que meilleur ?-Je vous en réponds.

Comme on approchait de la ville, et que la pluie tombait toujours, Joseph demanda à son compagnon dans quel quartier il logeait, et où il voulait qu'on le descendît.-Monsieur, c'est trop de bonté, je craindrais d'abuser de....—Non, non, dit Josoph, votre rue? Le sergent, indiquant sa demeure, demanda à connaître celui dont il recevait tant d'honnêtetés.-A votre tour, dit Joseph, devinez.— Monsieur est militaire, sans doute?-Comme dit Monsieur.-Lieutenant?-Ah! bien oui, lieutenant; mieux que ça.—Capitaine ?— Mieux que ça.-Colonel, peut-être ?-Mieux que ça, vous dit-on.— Comment! dit l'autre en se rencognant aussitôt dans la caléche, seriezvous feld-maréchal ?-Mieux que ça.-Ah! est-ce possible, c'est l'Empereur!-Lui-même, dit Joseph se déboutonnant pour montrer ses décorations. Il n'y avait pas moyen de tomber à genoux dans la voiture; l'invalide se confond en excuses et supplie l'Empereur d'ar

rêter pour qu'il puisse descendre.-Non pas, lui dit Joseph; après avoir mangé mon faisan, vous seriez trop heureux de vous débarrasser de moi aussi promptement; j'entends bien que vous ne me quittiez qu'à votre porte. Et il l'y descendit.

16.-PÉLISSON ET SON ARAIGNÉE.

Pélisson, étant prisonnier à la Bastille, fut privé des ressources que procure l'étude. On lui ôta livres, encre et papier. Il fut obligé de se contenter de la compagnie d'un Basque stupide et morne, qui ne savait que jouer de la musette. Il sut trouver en lui une ressource contre l'ennui. Une araignée faisait sa toile à un soupirail qui donnait du jour à la prison; il entreprit de l'apprivoiser. Pour cela, il mettait des mouches sur le bord du soupirail, tandis que son Basque jouait de la musette. Peu à peu l'araignée, comme apprivoisée par le son de cet instrument, s'accoutuma à sortir de son trou pour courir sur la proie qu'on lui présentait. Il continua de l'appeler toujours au mème son, et, en élevant la proie de plus en plus, parvint, après un exercice de quelques mois, à discipliner si bien cet insecte qu'il partait toujours au premier signal pour aller prendre une mouche au fond de la chambre et jusque sur les genoux du prisonnier. Le gouverneur de la Bastille vint un jour voir Pélisson, et lui demanda, avec un sourire insultant, à quoi il s'occupait. Pélisson, d'un air serein, lui dit qu'il avait su se faire un amusement; et, donnant aussitôt son signal, il fit venir l'araignée apprivoisée sur sa main. Le gouverneur ne l'eut pas plus tôt vue qu'il la fit tomber et l'écrasa de son pied. "Ah! monsieur, s'écria Pélisson, j'aurais mieux aimé que vous m'eussiez cassé le bras." L'action était cruelle en effet : elle ne pouvait venir que d'un homme apprivoisé par l'habitude aux souffrances des malheureux. Louis XIV en fut informé. Il jugea l'homme par ce trait, et lui ôta son emploi.

17.-LES TROIS RÈGNES.

Lucie. Qu'appelle-t-on les trois règnes de la nature, maman? La Mère. Ce sont trois divisions que les hommes ont établies afin de se reconnaître dans les ouvrages de Dieu. Ils ont remarqué que toutes les choses visibles se distinguent par quelques caractères principaux, qui les divisent naturellement en trois classes. Ainsi regarde autour de toi, si tu prends une pierre, par exemple, tu sais qu'elle ne peut se mouvoir d'elle-même; en quelque endroit que tu la mettes, elle ne s'en trouvera ni mieux ni plus mal, et n'en deviendra pas plus grosse, quelque soin que tu en prennes. Si tu la brises en morceaux, chaque morceau aura exactement tous les caractères de la pierre primitive. Il en est de même de toutes les choses inertes, les métaux, le charbon de terre, et en général tout ce qui se trouve du même genre sur ou dans la terre; ces choses prennent le nom de minéraux et appartiennent au règne minéral. Il y en a d'autres qui tiennent à

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la terre par des racines, y puisent des sucs dont elles se nourrissent, et, à l'aide de leurs rameaux et de leurs feuilles, aspirent l'air et la rosée; qui croissent, grandissent, se reproduisent par des semences, et meurent: ce sont les végétaux, c'est-à-dire les arbres, les fleurs, les herbes, les plantes de toute espèce enfin, qui forment le règne végétal. Le règne animal se compose de tout ce qui vit, sent et se meut, c'està-dire de toutes les bêtes connues sur la terre, dans les airs ou dans les eaux, depuis la plus grosse jusqu'à la plus petite. Nomme toutes les choses qui peuvent te venir à l'esprit, et tu verras qu'elles appartiennent à l'un des trois règnes, en tout ce qui n'est pas l'ouvrage de l'homme.

Lucie. Voilà qui est singulier, maman; ainsi il n'y a au monde. que trois espèces de choses: des minéraux, des végétaux, et des animaux ?

La Mère. Vraiment oui.

Lucie. Et nous, maman, de quel règne sommes-nous ?

La Mère. Voilà une question à laquelle tu peux m'épargner la peine de répondre en cherchant toi-même.-(See Gram., No. 158.)

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Lucie. Voyons! je ne suis pas du règne minéral, car je ne ressempas à une pierre; je ne suis pas du règne végétal, car je n'ai point de racines qui m'attachent à la terre: je suis donc du règne animal? Cependant, maman, je ne suis pas une bête?

La Mère. En es-tu bien sûre?

Lucie. Il me semble que oui, maman; je vois bien que je ne suis pas la même chose qu'un chat ou un chien.

La Mère. Peux-tu me dire où est la différence?

Lucie. Mais d'abord ils marchent à quatre pattes.

La Mère. Il y a des singes qui marchent comme nous sur deux pieds, ainsi tu ne les compterais pas non plus parmi les bêtes?

Lucie. Pour cela, si, maman; cependant il y a bien une différence. Ah! Voilà, les animaux ne parlent pas et moi je parle.

La Mère. Les animaux parlent dans leur langage et se comprennent entre eux; d'ailleurs tu sais que le perroquet de ta tante parle aussi bien qu'une personne.

Lucie. Oui, maman, mais il dit toujours la même chose, et on ne peut pas causer avec lui.

La Mère. C'est vrai, mais qu'appelles-tu causer? est-ce dire indifféremment tous les mots qui vous viennent à la bouche?

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Lucie. Non, maman, c'est dire ce qu'on pense.

18.-ANIMAUX.

Parmi les animaux, les uns ne peuvent vivre que sur les glaces du nord: tels sont l'ours blanc, le renne, l'isatis ou renard polaire, qui sont confinés dans la zone glaciale, et qui s'étendent peu dans la zone tempérée; les martres, les hermines, les castors, et en genéral tous les animaux à fourrures, habitent vers le nord, dans les contrées couvertes de grandes forêts, et par conséquent peu peuplées.

Les mers glaciales sont habitées par les baleines et quelques espèces de phoques. C'est de la mer glaciale du Nord que partent, dit-on, tous les ans, les innombrables légions de harengs qui se répandent chaque année sur les côtes de l'Europe, des Etats-Unis et du Kamtschatka.

Les contrées tempérées offrent peu d'espèces qui leur appartiennent exclusivement; le chien, le cheval, l'âne, le bœuf, la brebis, ont suivi l'homme dans presque toutes ses migrations. Ces contrées ont peu d'animaux malfaisants; l'ours, le loup, l'aigle, sont presque les seuls animaux de proie qui s'y fassent redouter. Les espèces faibles et innocentes s'y montrent en grande nombre; le lapin, le lièvre, le cerf, une multitude d'oiseaux sédentaires les habitent; les espèces voyageuses y arrivent tous les ans du nord et du midi.

C'est dans les régions les plus chaudes que la nature produit les animaux terrestres les plus redoutables; le lion, le tigre, la panthère, l'hyène, les serpents, les crocodiles. On y voit aussi les oiseaux et les quadrupèdes paisibles, les plus grands et les plus forts: l'autruche, le casoar, le condor, l'éléphant, le rhinocéros, l'hippopotame, la girafe, enfin le chameau et le dromadaire que l'homme a répandus dans plusieurs contrées de la zone tempérée. Ces mêmes régions nourrissent aussi les insectes les plus brillants et les oiseaux du plus éclatant plumage, tels que les perroquets, les colibris, les oiseaux de paradis, etc. On doit observer que le nouveau continent ne nourrit aucun des grands quadrupèdes que nous venons de nommer.

19.—LA VALLÉE DE RONCEVAUX.

VERS L'AN 778.

(Fragment de "L'Histoire de France racontée aux Enfants, par L. Fleury.") L'empereur Charlemagne, qui se plaisait à réunir dans son palais d'Aix-la-Chapelle des savants de tous les pays, mes enfants, avait aussi rassemblé autour de sa personne les plus vaillants guerriers de son temps, qu'il appelait ses preux, ce qui voulait dire, ses braves et ses fidèles, parce qu'il avait éprouvé leur courage dans les batailles autant que leur dévouement à son service.

Ces preux étaient d'intrépides capitaines toujours prêts à protéger de leur épée les veuves et les orphelins, et à défendre les pauvres et les gens d'église. Jamais ils ne refusaient leur secours à ceux qui l'imploraient dans leur détresse, et on les voyait sans cesse courir d'un pays à l'autre pour combattre les méchants ou les malfaiteurs; comme autrefois ces héros et ces demi-dieux qui chez les anciens Grecs se vouaient à l'extermination des monstres et des brigands, ainsi que je vous l'ai raconté dans les histoires d'Hercule et de Thésée.

Mais parmi les preux de Charlemagne, mes bons amis, il y en avait un qui, plus souvent que tous les autres, remportait des victoires sur les ennemis de la France, ou punissait les hommes puissants qui avaient commis de mauvaises actions, soit en tuant les voyageurs qui passaient sur leurs terres, pour s'approprier leurs dépouilles, soit en

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