Page images
PDF
EPUB

280 tomber: on se corrige quelquefois mieux par la vue du mal que par l'exemple du bien; et il est bon de s'accoutumer à profiter du mal, puisqu'il est si ordinaire, au lieu que le bien est si rare.

VIII.

Je plains la personne que vous savez dans l'inquiétude où je sais qu'elle est et où je ne m'étonne pas de la voir. C'est un petit jour du jugement qui ne peut arriver sans une émotion universelle de la personne, comme le jugement général en causera une générale dans le monde, excepté ceux qui se seront déjà jugés eux-mêmes, comme elle prétend faire cette peine temporelle garantirait de l'éternelle, par les mérites infinis de Jésus-Christ, qui la souffre et qui se la rend propre; c'est ce qui doit la consoler. Notre joug est aussi le sien; sans cela il serait insupportable.

:

Portez, dit-il, mon joug sur vous. Ce n'est pas notre joug, c'est le sien, et aussi il le porte. Sachez, dit-il, que mon joug est doux et léger. Il n'est léger qu'à lui et à sa force divine. Je lui voudrais dire qu'elle se souvienne que ces inquiétudes ne viennent pas du bien qui commence d'être en elle, mais du mal qui y est encore et qu'il faut diminuer continuellement; et qu'il faut qu'elle fasse comme un enfant qui est tiré par des voleurs d'entre les bras de sa mère, qui ne le veut point abandonner; car il ne doit pas ac

1

'Cette réflexion se retrouve, avec quelque différence, dans la lettre précédente et ailleurs encore. (Voyez la dernière note de la lettre vi, page 48.)

cuser de la violence qu'il souffre la mère qui le retient amoureusement, mais ses injustes ravisseurs '. Tout l'office de l'Avent est bien propre pour donner courage aux faibles, et on y dit souvent ce mot de l'Écriture: Prenez courage, lâches et pusillanimes, voici votre rédempteur qui vient; et on dit aujourd'hui à Vêpres « Prenez de nouvelles forces et bannissez « désormais toute crainte, voici notre Dieu qui arrive « et vient pour nous secourir et nous sauver. »

IX.

Votre lettre m'a donné une extrême joie. Je vous avoue que je commençais à craindre, ou au moins à m'étonner. Je ne sais ce que c'est que ce commencement de douleur dont vous parlez; mais je sais qu'il faut qu'il en vienne. Je lisais tantôt le treizième chapitre de saint Marc en pensant à vous écrire, et aussi 280 je vous dirai ce que j'y ai trouvé. Jésus-Christ y fait un grand discours à ses apôtres sur son dernier avénement; et comme tout ce qui arrive à l'Église arrive aussi à chaque chrétien en particulier, il est certain que tout ce chapitre prédit aussi bien l'état de chaque personne qui en se convertissant détruit le vieil homme en elle, que l'état de l'univers entier qui sera détruit pour faire place à de nouveaux cieux et à une nouvelle terre, comme dit l'Écriture 2. Et aussi je songeais que cette prédiction de la ruine du temple ré

Cette comparaison se trouve reproduite dans un autre passage. (Voyez page 94 du manuscrit autographe et pag. 18! du vol. 1 đẹ la présente édition. )

2 II. Pier, 5 15.

prouvé, qui figure la ruine de l'homme reprouvé qui est en chacun de nous, et dont il est dit qu'il ne sera laissé pierre sur pierre, marque qu'il ne doit être laissé aucune passion du vieil homme'; et ces effroyables guerres civiles et domestiques représentent si bien le trouble intérieur que sentent ceux qui se donnent à Dieu, qu'il n'y a rien de mieux peint.

Mais cette parole est étonnante: Quand vous verrez l'abomination dans le lieu où elle ne doit pas être, alors que chacun s'enfuie sans rentrer dans sa maison pour reprendre quoi que ce soit. Il me semble que cela prédit parfaitement le temps où nous sommes, où la corruption de la morale est aux maisons de sainteté et dans les livres des théologiens et des religieux où elle ne devrait pas être. Il faut sortir après un tel désor-dre, et malheur à celles qui sont enceintes ou nourrices en ce temps-là, c'est-à-dire à ceux qui ont des attachements au monde qui les y retiennent! La parole d'une sainte est à propos sur ce sujet : Qu'il ne faut pas examiner si on a vocation pour sortir du monde, mais seulement si on a vocation pour y demeurer, comme on ne consulterait point si on est appelé à sortir d'une maison pestiférée ou embrâsée.

Ce chapitre de l'Évangile, que je voudrais lire avec vous tout entier, finit par une exhortation à veiller et à prier pour éviter tous ces malheurs, et en effet il est bien juste que la prière soit continuelle quand le péril est continuel.

Les deux MSS. de la Bibliothèque royale disent aucune passion en nous >>

280

J'envoie à ce dessein des prières qu'on m'a demandées; c'est à trois heures après-midi. Il s'est fait un miracle depuis votre départ à une religieuse de Pontoise, qui sans sortir de son couvent a été guérie d'un mal de tête extraordinaire par une dévotion à la sainte Épine. Je vous en manderai un jour davantage. Mais je vous dirai sur cela un beau mot de saint Augustin, et bien consolatif pour de certaines personnes, c'est qu'il dit que ceux-là voyent véritablement les miracles auxquels les miracles profitent: car on ne les voit pas si on n'en profite pas.

Je vous ai une obligation que je ne puis assez vous dire du présent que vous m'avez fait; je ne savais ce que ce pouvait être, car je l'ai déployé avant que de lire votre lettre, et je me suis repenti ensuite de ne lui avoir pas rendu d'abord le respect que je lui devais. C'est une vérité que le Saint-Esprit repose invisiblement dans les reliques de ceux qui sont morts dans la grâce de Dieu, jusqu'à ce qu'il y paraisse visiblement en la résurrection, et c'est ce qui rend les reliques des saints si dignes de vénération. Car Dieu n'abandonne jamais les siens, non pas même dans le sépulcre où leurs corps, quoique morts aux yeux des hommes, sont plus vivants devant Dieu, à cause que le péché n'y est plus au lieu qu'il y réside toujours durant cette vie, au moins quant à sa racine, car les fruits du péché n'y sont pas toujours; et cette malheureuse racine qui en est inséparable pendant la vie, fait qu'il n'est pas permis de les honorer alors, puisqu'ils sont plutôt dignes d'être haïs. C'est pour cela que la mort est nécessaire pour mortifier entièrement cette malheu

I

reuse racine, et c'est ce qui la rend souhaitable. Mais il ne sert de rien de vous dire ce que vous savez si bien; il vaudrait mieux le dire à ces autres personnes dont vous parlez, mais elles ne l'écouteraient pas.

Note du père Guerrier: « J'ai transcrit ceci sur un manuscrit que j'ai trouvé parmi ceux que mademoiselle Perier a donnés aux PP. de l'Oratoire de Clermont. »>

EXTRAIT D'UNE LETTRE A MADAME PERIER 2.

1659.

En gros leur avis 3 fut que vous ne pouvez en aucune manière, sans blesser la charité et votre conscience mortellement et vous rendre coupable d'un des plus grands crimes, engager un enfant de son âge et de son innocence et même de sa piété à la plus périlleuse et la plus basse des conditions du christianisme. Qu'à la vérité suivant le monde l'affaire n'avait nulle difficulté et qu'elle était à conclure sans hésiter; mais que selon Dieu, elle en avait moins de difficulté et qu'elle était

Les MSS. de la Bibl. roy. disent: mais il n'est pas nécessaire.... » Le MS. de Troyes dit comme le nôtre.

2 IIe Recueil MS. du P. Guerrier, pag. 214. Cet extrait est aussi donné par le MS. Suppl. franç., n. 1485, mais avec de graves altérations.

De MM. de Singlin, de Sacy et de Rebours que M. Pascal consulta à Port-Royal et qui furent tous trois du même avis. Ce fut M. de Singlin qui voulut que cette affaire fût communiquée à ces deux autres messieurs, comme il le dit dans le commencement de cette lettre. (Note du père Guerrier.)

'Mademoiselle Jacqueline Perier, pour lors âgée de 15 ans. (Idem.) Jacqueline Perier étant née en 1644, cette lettre, qui est sans date dans le manuscrit, doit être de 1659.

« PreviousContinue »