Page images
PDF
EPUB

X

CONSIDÉRATIONS

'SUR LES

ELEMENS DES CORPS

DANS LESQUELLES ON EXAMINE

LA

DOCTRINE DES MONADES;

ET L'ON DECOUVRE

LA VÉRITABLE ESSENCE DU CORPS.

I.

De la Doctrine des Monades & de
Jes Principes.

L

A doctrine des Monades, ou des Etres fimples, dont les Corps font compofés, eft ordinairement fondée fur deux propriétés du Corps, l'Eten

due, & la Force motrice.

[ocr errors]

OBSERVATION.

Dire, que les Corps font compofès de Monades, c'est une manière de s'exprimer qui n'eft point du tout exacte. Jamais Mrs. de Leibnitz & de Wolff n'ont tenu ce langage. Le Corps eft compofé, entant qu'il a des parties; mais ces parties ne font point les Etres fimples. On trouve feulement dans les Etres fimples la raifon de la compofition du Corps. Dire donc qu'il en eft compofé, au- lieu de dire qu'il en tire fon origine, c'eft comme fi l'on raison. noit ainsi; un Enfant tire son origine de fon Père & de fa Mère: donc il eft composé de fon Père & de fa Mère.

Il n'eft pas vrai non plus, que la Doctrine des Monades foit fondée fur l'Etendue & la Force motrice. Car ce ne font là que des Phénomè nes, dont nous acquerons une idée confufe par les fens. Ce ne fera jamais en divifant & en analifant l'étenduë que l'on parviendra aux Monades, aux Etres fimples, qui n'ont aucunes propriétés matérielles. Tout au-con

traire la véritable connoiffance de l'étenduë fuppofe celle des Etres fimples, & s'y fonde. C'est en recourant au Principe de la Raifon fuffifante qu'on découvre la néceffité de l'exiftence des Etres fimples, & nullement par la feule divifion du compofé, qui n'eft pas plus propre à expliquer l'origine des Etres fimples que la fuppofition d'un œuf l'eft à rendre raifon de l'existence d'une Poule. Et l'on peut dire, en continuant cette comparaison, que toute la démonftration de l'Auteur fe réduit à cette importante découverte, fi la Poule eft avant l'œuf, ou l'œuf avant la Poule. K.

2. PAR l'étendue on connoit que tous les Corps font compofés de parties, & que ces parties font de nouveau divifibles en d'autres. Par conféquent il faut arriver à la fin à des parties, dans lesquelles la compofition ne puiffe plus avoir lieu; & ce font là les Etres fimples, ou Monades, dont tous les Corps de l'Univers font compofés.

OBSERVATION.

La conféquence, que l'Auteur prononce ici d'un ton fi affirmatif, ne fera jamais avouée par ceux qui font verfés dans ces matières. Ce n'eft point, comme on l'a dit dans l'obfervation précedente, la divifion de l'extenfum continuum, qui mène aux Etres fimples. On ne peut à l'aide de cette notion imaginaire arriver qu'à des parties encore étendues, ou bien continuër fa divifion à l'infini. C'est ce qui a fait dire depuis longtems, que le Continué toit le Labyrinthe des Philofophes. Avant donc que de s'y engager, l'Anonyme auroit dû fe familiarifer un peu avec les Ecrits philofophiques qui expliquent l'hypothèse dont il parle, & qui lui auroient montré une tou. te autre route, pour arriver à la notion des Etres fimples. Il y a une grande différence entre les opérations, qui ont pour objet les notions abftraites & géométriques, & la nature même des chofes En voici un exemple, aifé à comprendre. Qu'on décrive d'un Point donné un Cercle, & du même Point un autre Cercle, auffi grand qu'on le jugera à propos.

Du

Du centre on peut tirer des lignes à chaque point de la circonférence du grand Cercle; toutes ces lignes pafferont auffi par la circonférence du petit Cercle. On ne fauroit disconvenir, qu'aucune de ces lignes ne peut avoir un fegment commun. Ainfi la circonférence du petit Cercle a autant de parties que celle de l'autre, quelque grandeur qu'on lui ait donnée. C'eft ainfi que Mr. Keil démontroit algébraïquement, que la matière d'un grain de fable fuffifoit pour remplir exactement l'espace de la Terre au Firmament, & encore davantage. K.

3. LES changemens, qui fe fuccèdent fans interruption dans le Monde, donnent lieu de conclurre que tous les Corps font doués d'une force motrice. Or les Corps étant des Etres compofés, ils ne fauroient pofféder une femblable force qu'autant qu'elle exifte dans leurs parties; & par conféquent les forces de tous les Etres fimples dont un Corps eft compofé, prises enfemble, représentent la force entière de tout le Corps.

OBSERVATION. ?

Voici encore une conféquence gratuïte, que l'Auteur prête aux Leibnitiens. Les Etres fimples n'ont point une force motrice par laquelle ils puiffent fe mettre, eux & les autres chofes, en mouvement; ils n'ont d'autre for. ce que celle de changer continuellement leur état & leur rélation réciproque. Mais comme

ne

notre Ame n'est pas en état de faifir distinctement cette force & ces opérations des Etres fimples, à caufe de l'extrême compofition des objets qui tombent fous fes fens, elle fe repréfente feulement d'une manière confuse la force des Etres fimples, comme un Principe exiftant dans les compofés, qui y produit les modifications convenables aux composés. Par ce moyen nous jugeons du mouvement à-peuprès comme des couleurs. Mais, pour ramener les chofes à la réalité, on doit fimplement chercher dans les Etres fimples la raifon de la force motrice, qui paroit dans les compofés, fans leur attribuer cette force à eux-mêmes, comme on cherche dans les Corps la raifon des couleurs dont notre Ame fe forme l'ima ge, fans leur attribuër ces couleurs-mêmes. Il y a une grande diftance du Monde intelligible au Monde fenfible; & il n'eft pas aifé de faire un faut de l'un dans l'autre, ni de fe dégager du Monde fenfible, quand on y eft une fois trop enfoncé. K.

4. ON infère de-là, que tous les Etres fimples doivent être doués de forces. Et comme la force confifte dans le pouvoir de changer fon état, on attribuë à chaque Etre fimple un femblable pouvoir de changer continuellement fon état.

OBSERVATIO N.

Encore une fois, la force des Etres fimples ne fe déduit point de la force motrice des Corps, mais on la démontre par la conftituTom. I.

Q

tion

« PreviousContinue »