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Ces détails nous expliquèrent sa lettre, et nous firent comprendre sur quel beau temps il comptait après la pluie.

Au lieu de remonter au beau fixe, le baromètre était descendu pour nous à la tempête.

Ma pauvre mère fut donc forcée de laisser son parapluie ouvert, comme le lui disait Dermoncourt. Seulement, le parapluie était tellement délabré, qu'il ne pouvait plus nous garantir de l'averse.

Ce qui signifie, en abandonnant la parabole, que nous étions arrivés au bout de nos ressources.

Il est vrai qu'il me restait l'espoir.
Quel espoir?

Je vais vous le dire.

LXIV

Ce que j'espérais. - Déception. — M. Deviolaine est nommé conservateur des forêts du duc d'Orléans. Sa froideur à mon endroit. Demi-promesse. - Premier nuage sur mes amours. - Je vais passer

trois mois chez mon beau-frère, à Dreux.- Quelle nouvelle j'apprends à mon retour.—Muphti.-Les murs et les haies.- Le pavillon. — La paume.-Pourquoi je renonce à y jouer.-La noce sous le bois.

Cet espoir, c'était celui que de Leuven allait faire jouer nos vaudevilles et nos mélodrames.

M. de Leuven père, voyant qu'on ne l'inquiétait aucunement depuis qu'il était en France, avait pris le parti de se risquer et de revenir à Paris.

Adolphe, naturellement, suivait son père.

Ce départ, qui, en toute autre circonstance, m'eût désespéré, me comblait de joie dans les conditions où nous nous trouvions. De Leuven emportait nos chefs-d'œuvre. Nul doute que les directeurs des différents théâtres auxquels ils étaient destinés, ne les accueillissent avec enthousiasme!

-

Grâce à nos deux vaudevilles et à notre drame, nous détournions une branche de ce Pactole qui, dès 1822, arrosait

les terres de M. Scribe. Je m'embarquais sur cette branche avec ma mère, et j'allais rejoindre de Leuven à Paris.

Là s'ouvrait pour moi une carrière semée de roses et de billets de banque.

On comprend avec quelle anxiété j'attendis les premières lettres d'Adolphe.

Ces premières lettres tardèrent à arriver. C'était déjà un sujet d'inquiétude.

--

une

Enfin, un matin, le facteur, ou plutôt la factrice vieille femme, nommée la mère Colombe se dirigea vers la maison. Elle tenait à la main une lettre; cette lettre était de l'écriture d'Adolphe et portait le timbre de Paris.

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Les directeurs Adolphe ne pouvait dire pourquoi - ne mettaient pas à se disputer nos chefs-d'œuvre l'empressement que nous étions en droit d'attendre d'eux.

Cependant, Adolphe ne perdait pas l'espoir d'obtenir des lectures.

S'il n'en obtenait pas, il faudrait confier les manuscrits à des examinateurs, ce qui était fort humiliant!

Malgré les lueurs d'espérance qui flottaient encore sur le papier, le ton général de l'épitre était lamentable.

Au reste, Adolphe promettait de me tenir exactement au courant de ses démarches.

J'attendis une seconde lettre.

Cette seconde lettre mit plus d'un mois à venir.
Oh! cette fois, il restait bien peu d'espoir.

Le Diner d'amis, emprunté à M. Bouilly, n'offrait pas une intrigue suffisante; le Major de Strasbourg ressemblait au Soldat laboureur, qu'on venait de représenter avec le plus grand succès aux Variétés.

Quant aux Abencérages, il y avait, dans chacun des théâtres du boulevard, un mélodrame reçu sur le même sujet, à l'un depuis dix ans, à l'autre depuis quinze, à l'autre depuis vingt ans.

En supposant donc que le nôtre fût reçu, cela, comme on voit, nous rejetait bien loin.

Cependant, tout espoir n'était pas encore perdu pour le Diner d'amis, et pour le Major de Strasbourg.

Après avoir tenté vainement les abords du Gymnase et des Variétés, on pouvait essayer de la Porte-Saint-Martin, de l'Ambigu-Comique et de la Gaieté,

Mais, quant aux malheureux Abencérages, il en fallait faire son deuil.

Je versai sur eux une larme aussi amère que celle que Boabdil versa sur Grenade, et, plein de sinistres pressentiments, j'attendis la troisième lettre.

Humiliation complète! nous avions été refusés partout!

Mais Adolphe avait plusieurs pièces en train avec Théaulon, avec Soulié et avec Rousseau. Il allait tâcher de se faire jouer, et, une fois joué, il userait de l'influence que lui donnerait son succès pour exiger la réception de l'une de nos pièces. La consolation était médiocre, l'attente chanceuse. Je demeurai fort abattu.

Sur ces entrefaites se produisit un événement, qui, dans toute autre circonstance, m'eût rendu l'espoir.

M. Deviolaine venait d'être nommé conservateur des forêts du duc d'Orléans; il quittait Villers-Cotterets, et allait à Paris prendre la direction de l'administration forestière.

Il avait deux moyens de m'être utile: ou en m'appelant dans ses bureaux, ou en me plaçant dans le service actif.

Malheureusement, depuis l'affaire de madame Lebègue, j'étais en froid avec la famille.

Cela n'empêcha pas ma mère, qui voyait dans l'une ou l'autre de ces deux carrières un avenir pour moi, de faire une démarche près de M. Deviolaine.

On se souvient que M. Deviolaine, sans être un vieux soldat, ne savait point farder la vérité. Il répondit à ma mère :

Oui, sans doute, si votre gueux d'Alexandre n'était pas un paresseux, on pourrait faire quelque chose pour lui; mais je vous avoue que je n'y ai pas confiance. D'ailleurs, après les propos qui ont été tenus, je ne dis pas par lui, mais que tout au moins il n'a pas démentis, tout le monde me ferait la guerre ici.

2.

Ma mère insista. C'était un dernier espoir qui lui échap

pait.

-Eh bien, c'est bon, dit M. Deviolaine, laissez passer quelque temps là-dessus, et, plus tard, on verra.

J'attendais le retour de ma mère avec la même impatience que j'avais attendu les lettres d'Adolphe.

La réponse n'était guère plus satisfaisante.

Deux jours auparavant, nous avions reçu une lettre de mon beau-frère, receveur à Dreux: il m'invitait à aller passer un mois ou deux chez lui.

Hélas! nous commencions à être si pauvres, que l'économie que devait produire mon absence faisait presque compensation à la douleur que mon départ causait à ma mère.

Et cependant, c'était ma première absence; ma mère et moi ne nous étions jamais quittés, que pour ce fameux voyage de Béthisy, pendant lequel l'abbé Fortier m'avait donné mes premières leçons de chasse.

Puis il y avait aussi de par la ville une autre personne dont il était cruel de me séparer.

On devine de qui je veux parler.

Quoique notre liaison durât depuis plus de trois ans, y compris une bonne année de surnumérariat, j'aimais toujours beaucoup Adèle, et bien rarement pendant cette période, presque inouïe dans la vie d'un amour, l'azur de notre firmament avait été troublé par quelque léger nuage.

Cependant, depuis quelque temps, la pauvre fille était

triste.

C'est que, si je n'avais pas encore dix-neuf ans, elle en avait déjà vingt; c'est que notre amour, charmant jeu d'enfants, non-seulement ne promettait rien à son avenir, mais encore le compromettait. Comme on ne doutait pas de la pureté de nos relations, deux ou trois partis s'étaient présentés; mais, soit qu'ils ne lui convinssent pas, soit qu'elle en fit le sacrifice à nos amours, Adèle les avait refusés. Ne lui arriverait-il pas le même désappointement qu'à certain héros de notre connaissance, notre compatriote presque? Après avoir méprisé perche, carpe et anguille, ne serait-elle pas forcée de

souper avec quelques grenouilles? La perspective n'était pas joyeuse; de là venait sa mélancolie.

Pauvre Adèle!

Je compris que ce départ, qui était urgent pour moi, était nécessaire pour elle. Nous pleurâmes beaucoup, elle plus que moi, et c'était tout simple qu'elle versåt plus de larmes, devant être consolée la première.

Mon départ fut donc arrêté.

C'était vers le mois de juillet 1822.

Seulement, je me gardai encore huit jours,

-

huit jours et huit nuits! une dernière semaine de bonheur; car mes pressentiments me disaient que, cette semaine, c'était la dernière.

Le moment vint, il fallut partir.

Nous nous jurȧmes bien de ne pas nous oublier une heure, nous nous promimes de nous écrire au moins deux fois par semaine. Hélas! nous n'étions pas assez riches pour nous permettre le luxe d'une lettre par jour.

Enfin, nous nous dîmes adieu!

Adieu cruel! C'était plus que l'adieu des corps; c'était l'adieu des cœurs.

Comment allai-je de Villers-Cotterets à Dreux ?... Expliquez cela moi qui me rappelle les moindres détails de ma jeunesse, de mon enfance même, il me serait impossible de le dire! Il est évident que je passai par Paris, puisque c'est la route directe; mais comment ne me souviens-je pas d'être passé par Paris?

M'y suis-je ou non arrêté? y ai-je ou n'y ai-je pas vu Adolphe? Je n'en ai pas la moindre mémoire.

Je sais que je quittai Villers-Cotterets, et que je me trouvai à Dreux !

Si quelque chose pouvait me distraire de ma préoccupation, c'était ce séjour près de ma sœur et de mon beau-frère. Victor, je l'ai déjà dit, était un charmant esprit, plein de verve, de mots, d'inattendu. Mais, hélas! j'avais dans le cœur deux vides qu'il était bien difficile de combler.

Je restai deux mois à Dreux. J'y ouvris la chasse.

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