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Racine, ni de Benserade, ni de Le Brun, ni de Le Nôtre, ni même de M. de Saint-Aignan.

Non; Corneille prenait une plume, de l'encre et du papier; il laissait tomber sa tête dans sa main, et il était grand poëte. Si vous aviez lu seulement les vers de Théophile Gautier, monsieur le ministre, mais vous ne les avez pas lus, j'en

suis sûr! si vous les aviez lus, vous auriez vu que ces vers sont, non-seulement des plus beaux qu'ait faits Théophile Gautier, mais encore des plus beaux que l'on ait faits depuis que l'on fait des vers.

Vous auriez vu que, comme forme, ils étaient excellents, que, comme pensée, ils étaient irréprochables.

A un homme qui eût écrit ces vers-là, tel empereur que je connais, et que vous ne connaissez pas, à ce qu'il paraft, tel empereur que je connais eût envoyé la croix d'officier de la Légion d'honneur et une pension.

Vous, monsieur le ministre, vous avez envoyé l'ordre de ne pas lire les vers de Théophile Gautier sur la scène du ThéâtreFrancais!

Ah! mais aussi, cet ordre, peut-être venait-il de plus haut? peut-être venait-il du président de la République ?

S'il venait du président de la République, c'est autre chose... et c'est au président de la République que je vais avoir affaire.

Avec le président de la République, ce ne sera pas long.

Ah! monsieur le président de la République, lui dirai-je, vous qui, au milieu des affaires dont vous êtes accablé, avez oublié tant de choses, auriez-vous, par hasard, oublié que monsieur votre oncle disait de l'auteur du Cid : « Si Corneille eût vécu de mon temps, je l'eusse fait prince?

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Maintenant que j'ai dit au président de la République, à M. le ministre de l'intérieur, et à M. le chef de division chargé du département des beaux-arts, ce que j'avais à leur dire, revenons à l'année 1823, qui avait aussi une censure, mais bien moins dure que celle de 1851.

LXXXV

Chronologie dramatique. - Mademoiselle Georges Weymer.

Made

moiselle Raucourt. - Legouvé et ses œuvres.-Marie-Joseph Chénier. -Lettre de lui aux sociétaires de la Comédie-Française. garçons perfectionnés. -Ducis. - Son théâtre.

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Les petits

Au reste, la réaction royaliste, dont nous avons parlé avant de nous interrompre pour causer avec MM. les hauts fonctionnaires publics qui font au lecteur les honneurs du précédent chapitre, ne frappait pas seulement les hommes de lettres, mais elle s'abattait cruelle, acharnée, mortelle, sur les hommes politiques.

Elle s'était ouverte sur l'expulsion de Manuel de la Chambre; elle devait se fermer sur le supplice de Riego.

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Mais ce qui me préoccupait, à cette époque-là, je l'avoue, ce n'étaient ni les querelles de la Chambre, ni la guerre d'Espagne, ni la fête que madame du Cayla qui plus tard devait être si gracieuse pour moi donnait à Saint-Ouen en mémoire de la rentrée de Louis XVIII, ni la mort du pape Pie VII; c'étaient deux événements qui, à mes yeux, avaient une bien autre importance: la première représentation de Pierre de Portugal, de Lucien Arnault, et celle de l'École des Vieillards, de Casimir Delavigne.

Quoique la statistique dramatique de l'année 1823 présente un total de deux cent neuf pièces nouvelles représentées, et de cent soixante et un auteurs joués, les grandes scènes avaient, pendant les neuf premiers mois de l'année, surtout, présenté un effectif assez pauvre, et qui était bien loin d'atteindre celui de l'année précédente.

En effet, le 26 avril 1822, l'Odéon avait représenté l'Attila de M. Hippolyte Bis.

Le 5 juin, le Théâtre-Français avait représenté le Régulus de Lucien Arnault.

Le 14 juin, l'Odéon avait représenté les Macchabées de

M. Guiraud; Frédérick-Lemaître, qui sortait du Cirque, jouait un des frères Macchabées.

Le 7 novembre, le Théâtre-Français avait représenté la Clytemnestre de M. Soumet, dans laquelle Talma jouait à la fois d'une façon si mélancolique et si fatale le rôle d'Oreste.

Le 9 novembre, l'Odéon avait représenté le Saül du même auteur, dans lequel Joanny commença de se faire une réputation.

Enfin, le 21 décembre, le Théâtre-Français avait représenté la Valérie de MM. Scribe et Mélesville.

Pour faire pendant à toutes ces nouveautés, l'année 1823 n'avait encore eu à nous offrir que la comédie de l'Éducation ou les Deux Cousines, de M. Casimir Bonjour, et le Comte Julien, de M. Guiraud.

L'Éducation ou les Deux Cousines est la meilleure comédie de M. Casimir Bonjour; mais la meilleure comédie de M. Casimir Bonjour avait le droit d'étre médiocre, et elle usa de la permission.

Quant au Comte Julien, c'était une pièce sage et honnête, comme l'ont toujours été les pièces de son auteur; le principal mérite de l'ouvrage était d'être joué par mademoiselle Georges, qui faisait sa rentrée à Paris, après quatre ou cinq ans d'ab

sence.

A cette époque, mademoiselle Georges était toujours fort belle, et avait encore tous ses diamants.

Ceux qui ont connu Harel et les affiches fantastiques inventées par lui savent le rôle qu'ont joué les diamants de mademoiselle Georges dans les rôles que mademoiselle Georges a joués.

J'ai dit qu'au fur et à mesure que les noms célèbres s'inscriraient sous ma plume, j'éclairerais ces noms de toutes les lueurs répandues sur eux à l'époque où je me trouvai en contact avec ces noms, lueurs éphémères pour quelques-uns éteintes aujourd'hui pour beaucoup, mais qui n'en présenteront que plus de curiosité, ayant été saisies au moment où elles entouraient l'artiste de tout leur éclat.

Nous l'avons dit, l'âge de toute actrice vivante encor est

III.

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incertain; mais, en se reportant à l'année où mademoiselle Georges a débuté, c'est-à-dire au 29 novembre 1802, mademoirelle Georges pouvait avoir trente-huit ans en 1823.

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Un mot sur la façon dont mademoiselle Georges était entrée au théâtre, et dont elle s'y est maintenue. Aimée de Bonaparte, et restée en faveur près de Napoléon, mademoiselle Georges, qui demanda la faveur d'accompagner Napoléon à Sainte-Hélène, est presque un personnage historique.

Vers la fin de 1800 et le commencement de 1801, mademoiselle Raucourt, qui jouait les premiers rôles de tragédie au Théâtre-Français, mademoiselle Raucourt donnait des représentations en province. C'était l'époque où le gouvernement, quoiqu'il eût beaucoup à faire, n'avait pas honte de s'occuper d'art, dans ses moments perdus. Mademoiselle Raucourt avait reçu, en conséquence, l'ordre du gouvernement, si elle rencontrait dans sa tournée quelque élève qu'elle ne jugeât point indigne de ses leçons, de la ramener avec elle à Paris. Cette élève serait considérée comme élève du gouvernement, et recevrait douze cents francs de pension.

Mademoiselle Raucourt s'arrêta à Amiens.

Là, elle trouva une belle jeune fille de quinze ans, qui en paraissait dix-huit; on eût dit la Vénus de Milo descendue de sa base.

Mademoiselle Raucourt, presque aussi Grecque que la Lesbienne Sapho, aimait fort les statues vivantes. En voyant marcher cette jeune fille. en voyant le pas de la déesse se révéler en elle, comme dit Virgile, l'actrice s'informa, et apprit qu'elle -`'s'appelait Georges Weymer; qu'elle était fille d'un musicien allemand, nommé Georges Weymer, directeur du théâtre, et de mademoiselle Verteuil, qui jouait les soubrettes.

La jeune fille était destinée à la tragédie.

Mademoiselle Raucourt lui fit jouer, avec elle, Élise, dans Didon, et Aricie, dans Phèdre. L'épreuve réussit, et, le soir même de la représentation de Phèdre, mademoiselle Raucourt demanda la jeune tragédiene à ses parents.

La perspective d'être élève du gouvernement, et surtout Elève de mademoiselle Raucourt, avait, à part quelques petits

inconvénients dont, à la rigueur, la jeune fille pouvait se garantir, trop d'attraits aux yeux des parents pour qu'ils refusassent.

La demande fut accordée, et mademoiselle Georges partit, suivie de sa mère.

Les leçons durèrent dix-huit mois.

Pendant ces dix-huit mois, la jeune élève habita un pauvre hôtel de la rue Croix-des-Petits-Champs, que, par antiphrase probablement, on appelait l'hôtel du Pérou.

Qnant à mademoiselle Raucourt, elle habitait, au bout de l'allée des Veuves, une magnifique maison qui avait appartenu à madame Tallien, et qui, sans doute aussi par antiphrase, s'appelait la Chaumière.

Nous avons dit « une magnifique maison,» nous aurions dû dire « une petite maison, » car c'était une véritable petite maison dans le style Louis XV, que cet hôtel de mademoiselle Raucourt.

Vers la fin du XVIIIe siècle, siècle étrange où l'on appelait tout haut les choses par leur nom, Sapho-Raucourt jouissait d'une réputation dont elle ne cherchait pas le moins du monde à atténuer l'originalité.

Le sentiment que mademoiselle Raucourt portait aux hommes était plus que de l'indifférence, c'était de la haine. Celui qui écrit ces lignes a sous les yeux un manifeste signé de l'illustre artiste, qui est un véritable cri de guerre poussé par mademoiselle Raucourt contre le sexe masculin, et dans lequel, nouvelle reine des Amazones, elle appelle toutes les belles guerrières enrôlées sous ses ordres à une rupture ouverte avec les hommes.

Rien n'est plus curieux pour la forme, et surtout pour le fond, que ce manifeste.

Et cependant, chose singulière, malgré ce dédain pour nous, mademoiselle Raucourt, dans toutes les circonstances où le costume de son sexe ne lui était pas indispensable, avait adopté celui du nôtre.

Ainsi, bien souvent, le matin, mademoiselle Raucourt donnait ses leçons à sa belle élève avec un pantalon à pieds, et

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