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dition in-12; les mêmes événements retrouvent les mêmes hommes.

» Recevez, ma chère cousine, avec l'expression de mes regrets, l'assurance de mes sentiments les plus respectueux. » B. de L***. »

En 1830, aprés la révolution de juillet, Auguste Barbier fit sur le même sujet une pièce de vers intitulée la Curée. Qu'on relise ce terrible ïambe, et que l'on compare : on aura à la fois sous les yeux, dans M. de Jouy, un modèle de cet atticisme qui appartenait à l'ancienne école, et, dans Barbier, un exemple de cette brutale et fougueuse improvisation qui est un des caractères principaux de sa muse.

Au reste, vers le temps où nous sommes arrivés, Louis XVIII, tout en faisant poursuivre les gens de lettres avec un acharnement dont nous venons de citer quelques exemples, réclamait sa place au milieu d'eux. Mal conseillé par ses flatteurs, l'auteur couronné publiait une brochure ayant pour titre Voyage de Paris à Bruxelles.

Je ne sais si l'on pourrait se procurer aujourd'hui un seul exemplaire de la brochure royale, dans laquelle on trouvait, non-seulement des fautes de français dans le genre de celle-ci : « J'étais déjà un peu gros, à cette époque, pour monter et descendre de cabriolet, » mais encore, ce qui est bien pis, des fautes de reconnaissance et de cœur.

Une pauvre veuve risque sa tête à recevoir les fugitifs, et consacre son dernier louis à leur donner à dîner; Monsienr raconte ce dévouement comme une chose due, et termine le chapitre en disant : « Le dîner était exécrable! >>

- C'est du français de cuisine, disait le colonel Morisel à M. Arnault.

C'est tout simple, répondait l'auteur de Germanicus, puisque l'ouvrage est d'un restaurateur.

Le Miroir, chargé de rendre compte du Voyage de Paris à Bruxelles, se contenta de dire :

« Si l'ouvrage est de l'auguste personnage auquel on l'attri16

III.

bue, il est au-dessus de la critique; s'il n'est pas de lui, il est au-dessous. >>

Nous reviendrons sur le colonel Morisel, une des originalités de l'époqne.

On ne pouvait pas faire à l'auteur des Messéniennės, des Vêpres siciliennes, des Comédiens et du Paria, un procès du genre de ceux qu'on avait faits à M. de Jouy et à Magallon; on ne pouvait pas l'enfermer à Sainte-Pélagie ou l'envoyer à Poissy, attaché main à main et côte à côte avec un forçat galeux; mais on pouvait le destituer, et c'est ce que l'on fit. Le 15 avril, on lisait dans les journaux libéraux :

« On annonce que M. Ancelot, auteur de Louis IX et du Maire du Palais, vient de recevoir des lettres de noblesse, et que M. Casimir Delavigne, auteur des Vêpres siciliennes, du Paria et des Messéniennes, vient de perdre sa place à la bibliothèque du ministère de la justice. »

C'était vrai: M. Ancelot était fait baron, et M. Casimir Delavigne jeté sur le pavé!

Ce fut à cette époque que, sur la recommandation de Vatout, qui venait de publier l'Histoire de la Fille d'un Roi, le duc d'Orléans nomma Casimir Delavigne bibliothécaire adjoint au Palais-Royal, où, six ans après, je me trouvai son collègue.

C'était un excellent homme que Vatout, uu peu vaniteux; mais sa vanité même était un éperon avec lequel les autres lui faisaient faire le bien qu'il n'avait pas l'idée de faire de luimême.

Une de ses vanités était d'être le fils naturel de je ne sais quel prince de la maison d'Orléans, vanité bien innocente qui ne faisait de tort à personne, et dont personne ne lui faisait un crime, puisqu'il employait l'influence qu'il avait prise au Palais-Royal à rendre service à ses amis, et quelquefois même à ses ennemis.

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Au moment où je vais clore ce chapitre, on me raconte une bonne histoire de la censure d'aujourd'hui, 6 juin 1851; je crois

devoir lui consacrer le chapitre suivant. Cette brave censure en fait tant de pareilles, qu'il faut enregistrer ses faits et gestes sans ordre chronologique, mais où l'on peut et quand on peut, sinon on court risque d'en oublier, et, en vérité, ce serait dommage!...

Ah! mon cher Victor Hugo, vous qui êtes en train de demander devant le jury, où vous défendez votre fils, l'abolition de la peine de mort en toute matière, faites une exception en faveur de la censure, et priez qu'à la première révolution, on la tue deux fois, puisque ça n'a jamais été assez d'une !

Je me crois obligé d'affirmer sur l'honneur, que ce que je vais dire est l'exacte vérité.

LXXXIV

La maison de la rue de Chaillot.-Quatre poëtes et un médecin. Corneille et la censure. Ce que M. Faucher ne sait pas. Ce que le président de la République devrait savoir.

L'an I de la deuxième République française, le 2 juin au soir, M. Louis Bonaparte étant président, M. Léon Faucher étant ministre, M. Guizard étant directeur des beaux-arts, voici ce qui se passait, dans un salon tendu en étoffe perse, au rez-dechaussée d'une maison de la rue de Chaillot.

Cinq ou six personnes causaient d'art, chose assez étonnante à une époque où on ne parle plus guère que de solution, de révision, de prorogation.

Il est vrai que, sur ces cinq personnes, il y avait quatre poëtes et un médecin presque poëte, et tout à fait homme d'esprit.

Ces quatre poëtes étaient :

1. Madame Émile de Girardin, la maîtresse de cette maison de la rue de Chaillot où l'on était réuni; 20 Victor Hugo; 30 Théophile Gautier; 4o Arsène Houssaye.

Le médecin était le docteur Cabarus.

Celui que nous avons indiqué sous le no 4 cumulait; peut

être était-il un peu moins poëte que les trois autres, mais il était beaucoup plus directeur, ce qui rétablissait l'équilibre, directeur du Théâtre-Français, dont il a donné déjà trois fois sa démission, qu'on n'accepte pas, il est vrai.

Peut-être demanderez-vous pourquoi M. Arsène Houssaye est si facile à se démettre.

Rien de plus simple: MM. les sociétaires du Théâtre-Français lui font la vie si dure, que le poëte est toujours prêt à envoyer promener ses demi-dieux, ses héros, ses rois, ses princes, ses ducs, ses marquis, ses comtes et ses barons de la rue de Richelieu, pour en revenir à ses barons, à ses comtes, à ses marquis, à ses ducs, à ses princes, à ses rois, à ses héros et à ses demi-dieux du XVIIe et du XVIIIe siècle, qu'il connaît et qu'il fait parler, comme s'il était le comte de Saint-Germain, qui était familier avec eux.

Maintenant, pourquoi MM. les sociétaires du Théâtre-Français font-ils la vie si dure à leur directeur?

Parce qu'il fait de l'argent, et que rien n'irrite un sociétaire du Théâtre-Français comme de voir son théàtre faire de l'argent.

Cela peut paraître inexplicable aux gens sensés : c'est inexplicable, en effet; mais je ne me charge pas d'expliquer le fait; je le consigne, voilà tout.

Or, en sa qualité de directeur du Théâtre-Français, M. Arsène Houssaye songeait à une chose à laquelle ne songeait personne.

Cette chose, c'est qu'on était au 2 juin 1851, et que, dans quatre jours, c'est-à-dire le 6 juin, on verrait s'accomplir le deux cent quarante-quatrième anniversaire de la naissance de Corneille.

Il en fit l'observation tout haut, et, se tournant vers Théophile Gautier :

Pardieu! lui dit-il, mon cher Théo, vous devriez bien me faire, pour ce jour-là, une soixantaine de vers sur le père de la tragédie; cela vaudrait mieux que ce que l'on nous donne ordinairement en pareille circonstance, et le public ne s'en plaindrait pas.

Théophile Gautier fit semblant de ne pas entendre.
Arsène Houssaye renouvela sa demande.

Ma foi! non, dit Gautier.

- Pourquoi cela?

Parce que je ne sais rien de plus ennuyeux à faire qu'un éloge officiel, fût-ce celui du plus grand poëte du monde. D'ailleurs, plus le poëte est grand, plus l'éloge est difficile.

-Vous avez tort, Théophile, dit Hugo, et, si j'étais en position de faire en ce moment-ci ce qu'Arsène vous demande, je le ferais.

Vous vous amuseriez à passer en revue les vingt ou trente pièces de Corneille? Vous auriez le courage de parler de Mélite, de Clitandre, de la Galerie du Palais, de Pertharite, d'ŒEdipe, d'Attila et d'Agésilas?

Non, je ne parlerais de rien de tout cela.

- Alors, vous ne feriez pas l'éloge de Corneille; quand on fait l'éloge d'un poëte, il faut surtout louer ce qu'il a fait de mauvais ; ce qu'on ne loue pas, on le critique.

- Non, dit Hugo, je ne prendrais pas la chose ainsi; je ne ferais pas un éloge vulgaire. Je montrerais le vieux Corneille, errant à pied dans les rues du vieux Paris, avec son manteau râpé sur les épaules, oublié de Louis XIV, moins généreux pour lui que son persécuteur Richelieu, et faisant raccommoder à une pauvre échoppe son soulier troué, tandis que Louis XIV trône à Versailles, se promène avec madame de Montespan, mademoiselle de la Vallière et madame Henriette dans les galeries de Le Brun ou dans les jardins de Le Nôtre; puis je consolerais l'ombre du poëte en montrant la postérité remettant chacun à sa place, et, au fur et à mesure que les jours s'ajoutent aux jours, les mois aux mois et les années aux années, grandissant le poëte et diminuant le roi...

- Eh bien, que cherchez-vous donc, Théophile? demanda madame de Girardin à Gautier, qui se levait vivement.

Je cherche mon chapeau, dit Gautier.

-Girardin dort dessus, dit tranquillement Cabarus. -Oh! ne le réveillez pas, dit madame de Girardin, il ferait un article!

III.

16.

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