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ses deux morceaux les plus soignés. On peut encore citer le Portrait d'un janséniste, qui commence par ces vers :

Sobre dans ses discours, délicat à sa table,
Portant un fin orgueil au pied du crucifix,
L'esprit impérieux, modeste en ses habits,
Fort sévère au prochain, pour soi fort charitable,
Aux décrets de l'Eglise écrivain peu soumis, etc.

Quant à ses Epitres, Sonnets et Madrigaux adressés au Père La Chaise, ils ne sont que médiocres. Dans sa jeunesse, Sanlecque avait déprécié Boileau; sur la fin de sa vie, il revint à des sentiments plus raisonnables et fit l'Apothéose de Boileau ou Boileau et Momus, pièce dans laquelle il représente les dieux de l'Olympe cassant Momus aux gages pour proclamer

L'heureux Boileau. Dieu de la raillerie.

CHAPITRE DEUXIÈME.

TRAGÉDIE.

Racine : Sa vie. Son théâtre: - Les Frères ennemis ou la Thébaide. Alexandre. Andromaque. Britannicus. Bérénice. Bajazet.

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— Mithridate.— Iphigénie, — Phèdre. — Esther. — Athalie. — Jugement de W. Schlégel sur Athalie. Singulière destinée de cette tragédie.

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Les Plaideurs. - Parallèle de Corneille et de Racine par La Bruyère. par La Harpe. - par M. Nisard. De l'importance des rôles de fem mes dans le théâtre de Racine. - Des trois passions principales que Racine a données aux femmes. Des caractères d'hommes dans Racine. Pradon. - Thomas Corneille.-Catherine Bernard. Longepierre. Lafosse. Genest. — Duché.

Boyer.

tron.

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-Camps

« Les grands poètes, dit M. Sainte-Beuve, les poètes de génie, indépendamment des genres, et sans faire acception de leur nature lyrique, épique ou dramatique, peuvent se rapporter à deux familles glorieuses, qui, depuis bien des siècles, s'entremêlent et se détrônent tour à tour, se disputent la prééminence en renommée, et entre lesquelles, selon les temps, l'admiration des hommes s'est inégalement répartie. Les poètes primitifs, fondateurs, originaux sans mélange, nés d'eux-mêmes et fils de leurs œuvres, Homère, Pindare, Eschyle, Dante et Shakspeare, sont quelquefois sacrifiés, préférés le plus souvent, toujours opposés aux génies studieux, polis, dociles, essentiellement éducables et perfectibles, des époques moyennes. Horace, Virgile, le Tasse, sont les chefs les plus brillants de cette famille secondaire, réputée, et avec raison, inférieure à son aînée, mais d'ordinaire mieux comprise de tous, plus accessible et plus chérie. Parmi nous, Corneille et Molière s'en détachent par plus d'un côté; Boileau et Racine y appartiennent tout-à-fait et la

décorent, surtout Racine, le plus merveilleux, le plus accompli en ce genre, et le plus vénéré de nos poètes. C'est le propre des écrivains de cet ordre d'avoir pour eux la presque unanimité des suffrages, tandis que leurs illustres adversaires qui, plus hauts qu'eux en mérite, les dominent même en gloire, sont à chaque siècle remis en question par une certaine classe de critiques. Cette différence de renommée est une conséquence nécessaire de celle des talents. Les uns, véritablement prédestinés et divins, naissent avec leur lot, ne s'occupent guère à le grossir grain à grain en cette vie, mais le dispensent avec profusion et comme à pleines mains en leurs œuvres; car leur trésor est inépuisable au-dedans. Ils font, sans trop s'inquiéter ni se rendre compte de leurs moyens de faire; ils ne se replient pas à chaque heure de veille sur eux-mêmes; ils ne retournent pas la tête en arrière à chaque instant pour mesurer la route qu'ils ont parcourue et calculer celle qui leur reste; mais ils marchent à grandes journées sans se lasser ni se contenter jamais. Des changements secrets s'accomplissent en eux, au sein de leur génie, et quelquefois le transforment; ils subissent ces changements comme des lois, sans s'y mèler, sans'y aider artificiellement, pas plus que l'homme ne hâte le temps où ses cheveux blanchissent, l'oiseau la mue de son plumage, ou l'arbre les changements de couleur de ses feuilles aux diverses saisons; et, procédant ainsi d'après de grandes lois intérieures et une puissante donnée originelle, ils arrivent à laisser trace de leur force en des œuvres sublimes, monumentales, d'un ordre réel et stable sous une irrégularité apparente comme dans la nature, d'ailleurs entrecoupées d'accidents, hérissées de cimes, creusées de profondeurs : voilà pour les uns. Les autres ont besoin de naitre en des circonstances propices, d'être cultivés par l'éducation et de mûrir au soleil; ils se développent lentement, sciemment, se fécondent par l'étude et s'accouchent eux-mêmes avec art. Ils montent par degrés, parcourent les intervalles et ne s'élancent pas au but du premier bond; leur génie grandit avec le temps et s'édifie comme un palais auquel on ajouterait chaque année une assise; ils ont de longues heures de réflexion et de silence durant lesquelles ils

s'arrêtent pour réviser leur plan et délibérer aussi l'édifice, si jamais il se termine, est-il d'une conception savante, noble, lucide, admirable, d'une harmonie, qui d'abord saisit l'œil, et d'une exécution achevée. Pour le comprendre, l'esprit du spectateur découvre sans peine et monte avec une sorte d'orgueil paisible l'échelle d'idées par laquelle a passé le génie de l'artiste. Or, suivant une remarque très-fine et très-juste du père Tournemine, on n'admire jamais dans un auteur que les qualités dont on a le germe et la racine en soi. D'où il suit que, dans les ouvrages des esprits supérieurs, il est un degré relatif où chaque esprit inférieur s'élève, mais qu'il ne franchit pas, et d'où il juge l'ensemble comme il peut. C'est presque comme pour les familles de plantes étagées ́sur les Cordillières, et qui ne dépassent jamais une certaine hauteur, ou plutôt c'est comme pour les familles d'oiseaux dont l'essor dans l'air est fixé à une certaine limite. Que si maintenant, à la hauteur relative où telle famille d'esprits peut s'élever dans l'intelligence d'un poème, il ne se rencontre pas une qualité correspondante qui soit comme une pierre où mettre le pied, comme une plate-forme d'où l'on contemple tout le paysage, s'il y a là un roc à pie, un torrent, un abime, qu’adviendra-t-il alors? les esprits qui n'auront trouvé où poser leur vol s'en reviendront comme la colombe de l'arche, sans même rapporter le rameau d'olivier. Je suis à Versailles, du côté du jardin, et je monte le grand escalier; l'haleine me manque au ́milieu et je m'arrête; mais du moins je vois de là en face de moi la ligne du château, ses ailes, et j'en apprécie déjà la régularité, tandis que si je gravis sur les bords du Rhin quelque sentier tournant qui grimpe à un donjon gothique, et que je m'arrête d'épuisement à mi-côte, il pourra se faire qu'un mouvement de terrain, un arbre, un buisson, me dérobe la vue tout entière. C'est là l'image vraie des deux poésies. La poésie racinienne est construite de telle sorte, qu'à toute hauteur il se rencontre des degrés et des points d'appui avec perspective pour les infirmes l'œuvre de Shakspeare a l'accès plus rude, et l'œil ne l'embrasse pas de tout point; nous savons de fort honnêtes gens qui ont sué pour y aborder, et qui,

après s'être heurté la vue sur quelque hutte ou sur quelque bruyère, sont revenus en jurant de bonne foi qu'il n'y avait rien là haut; mais, à peine redescendus en plaine, la maudite tour enchantée leur apparaissait de nouveau dans son lointain, mille fois plus importune aux pauvres gens que ne l'était à Boileau celle de Montlhéry:

Ses murs, dont le sommet se dérobe à la vue,
Sur la cime d'un roc s'allongent dans la nue,
Et, présentant de loin leur objet ennuyeux,

Du passant qui les fuit semblent suivre les yeux.

Mais nous laisserons la tour de Montlhéry et l'œuvre de Shakspeare, et nous essaierons de monter, après tant d'autres adorateurs, quelques-uns des degrés, glissants désormais à force d'être usés, qui mènent au temple en marbre de Racine. (Portraits littéraires).

VIE DE RACINE.

Racine (Jean), naquit à la Ferté-Milon, le 21 décembre 1639, de Jean Racine, contrôleur du grenier à sel de cette ville, et de Jeanne Sconin, fille d'un procureur du roi aux eaux et forêts de Villers-Coterets. Sa famille, anoblie par l'acquisition d'une charge, avait un cygne dans ses armoiries; et certes jamais armes parlantes ne furent jamais mieux justifiécs. L'antiquité, qui disait que des abeilles étaient venues déposer du miel sur les lèvres d'un poète au berceau, n'aurait pas manqué de voir une prophétie dans une circonstance due au simple hasard; les Grecs particulièrement jetaient sur tout les riantes couleurs de leur imagination, amie des fables.

Orphelin de père et de mère à l'âge de trois ans, Racine passa sous la tutèle de son aïeul paternel, nommé aussi Jean Racine, qui légua peu de temps après cette tutelle à sa veuve. Le précieux enfant étudia d'abord à Beauvais, puis à Paris, au collège d'Harcourt; il vint ensuite écouter les leçons des Lemaitre, des Sacy, des Lancelot, des Nicole, auteurs de la Logique, de la Grammaire générale et d'autres ouvrages classiques connus sous le titre de Méthodes de Port-Royal. Lan

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