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Que dis-je? En ce moment, le dernier qui nous reste,
Je me sens arrêter par un plaisir funeste.

Plus je vous parle et plus, trop faible que je suis,
Je cherche à prolonger le péril que je fuis.
Il faut pourtant, il faut se faire violence;
Et sans perdre en adieux un reste de constance,
Je fuis. Souvenez-vous, prince, de m'éviter;
Et méritez les pleurs que vous m'allez coûter.

Corneille avait eu le premier l'idée de ces combats de la vertu contre l'amour. Ils sont le fond du rôle de Pauline : il y a même des endroits où elle dit à peu près les mêmes choses que vient de dire Monime.

Personne ne savait mieux que Racine combien une femme, occupée d'un sentiment profond, est capable d'allier la tendresse la plus délicate avec la plus inébranlable fermeté. Quand Mithridate, après avoir réussi, à force d'artifices, à faire avouer à Monime son amour pour Xipharès, veut, malgré cet aveu, la conduire à l'autel; sa réponse est d'une âme aussi élevée qu'auparavant elle s'était montrée sensible.

Je n'ai point oublié quelle reconnaissance,
Seigneur, m'a dû ranger sous votre obéissance.
Quelque rang où jadis soient montés mes aïeux,
Leur gloire de si loin n'éblouit point mes yeux.
Je songe avec respect de combien je suis née
Au-dessous des grandeurs d'un si noble hyménée;
Et, malgré mon penchant et mes premiers desseins,
Pour un fils, après vous le plus grand des humains,
Du jour que sur mon front on mit ce diadême,
Je renonçai, seigneur, à ce prince, à moi-même.
Tous deux d'intelligence à nous sacrifier,
Loin de moi, par mon ordre, il courait m'oublier.
Dans l'ombre du secret ce feu s'allait éteindre,
Et même de mon sort je ne pouvais me plaindre,
Puisqu'enfin, aux dépens de mes vœux les plus doux,
Je faisais le bonheur d'un héros tel que vous.
Vous seul, seigneur, vous seul, vous m'avez arrachée,
A cette obéissance où j'étais attachée;

Et ce fatal amour dont j'avais triomphé,
Ce feu que dans l'oubli je croyais étouffé,

Dont la cause à jamais s'éloignait de ma vue,
Vos détours l'ont surpris et m'en ont convaincue.
Je vous l'ai confessé : je le dois soutenir.
En vain vous en pourriez perdre le souvenir;
Et cet aveu honteux où vous m'avez forcée
Demeurera toujours présent à ma pensée.
Toujours je vous croirais incertain de ma foi ;
Et le tombeau, seigneur, est moins triste pour moi
Que le lit d'un époux qui me fait cet outrage,
Qui s'est acquis sur moi ce cruel avantage,

Et qui, me préparant un éternel ennui,

M'a fait rougir d'un feu qui n'était pas pour lui.

On ne sait s'il y a dans cette réponse plus d'art et de modération que de noblesse et de bienséance. Je faisais le bonheur d'un héros tel que vous. Peut-on mieux ménager l'amour-propre d'un roi malheureux et d'un vieillard jaloux? Et comme le refus d'épouser un homme qui l'a fait rougir est conforme à cette juste fierté, si naturelle à un sexe dont elle est la défense! Personne n'a su mieux que Racine faire parler les femmes comme il leur convient de parler.

MITRIDATE.

C'est donc votre réponse, et, sans plus me complaire,
Vous refusez l'honneur que je voulais vous faire !
Pensez-y bien; j'attends, pour me déterminer.....

MONIME.

Non, seigneur, vainement vous croyez m'étonner.
Je vous connais, je sais tout ce que je m'apprête;
Et je vois quels malheurs j'assemble sar ma tête.
Mais le dessein est pris, rien ne peut m'ébranler.
Jugez-en, puisque ainsi je vous ose parler,
Et m'emporte au-delà de cette modestie
Dont, jusqu'à ce moment, je n'étais point sortie.
Vous vous êtes servi de ma funeste main
Pour mettre à votre fils un poignard dans le sein.
De ses feux innocents j'ai trahi le mystère;
Et quand il n'en perdrait que l'amour de son père,
Il en mourra, seigneur ma foi ni mon amour
Ne seront point le prix d'un si cruel détour.
Après cela, jugez, perdez une rebelle :

Armez-vous d'un pouvoir qu'on vous donna sur elle.
J'attendrai mon arrêt; vous pouvez commander.
Tout ce qu'en vous quittant j'ose vous demander,
Croyez (à la vertu je dois cette justice)

Que je vous trahis seule et n'ai point de complice,
Et que d'un plein succès vos vœux seraient suivis
Si j'en croyais, seigneur, les vaux de votre fils.

Ce rôle nous paraît, dans son genre, un véritable chef-d'œuvre il y en a sans doute d'un plus vif intérêt et d'un effet plus entrainant; il y a des passions plus fortes et des situations plus déchirantes, mais nous ne connaissons pas de caractère plus parfaitement nuancé. Le soin qu'a eu le poète de supposer que Monime et Xipharès s'aimaient avant que le roi de Pont eût pensé à la mettre au rang de ses épouses, écarte de ces deux amants jusqu'à l'ombre du reproche. La marche de la pièce est graduée avec art, par les alternatives d'espérance et de crainte que fait naître d'abord la fausse nouvelle de la mort de Mithridate, ensuite l'offre simulée d'unir Monime à Xipharès; enfin le péril des deux amants, dont l'un est menacé de la vengeance de son père, et l'autre est prête à boire le poison que son époux lui envoie. Le dénoùment est régulier et agréable au spectateur; Mitridate meurt en héros, et rend justice en mourant à son fils et à Monime. Tous deux sont unis: et à l'égard de Pharnace, si sa punition est différée, on sait qu'elle est sûre; et l'auteur s'est fié avec raison à la connaissance que tout le monde a de cette histoire, lorsqu'il a fait dire à Mithridate :

Tôt ou tard il faudra que Pharnace périsse ;
Fiez-vous aux Romains du soin de son supplice.

IPHIGÉNIE.

J'avoue, dit Voltaire, que je regarde Iphigénie comme le chef-d'œuvre de la scène. Veut-on de la grandeur? On la trouve dans Achille, mais telle qu'il la faut au théâtre, nécessaire, passionnée, sans enflure, sans déclamation. Veut-on de la vraie politique? Tout le rôle d'Ulysse en est plein, et c'est une politique parfaite, uniquement fondée sur l'amour du bien

public; elle est adroite, elle est noble, elle ne discute point; elle augmente la terreur. Clytemnestre est le modèle du grand pathétique; Iphigénie, celui de la simplicité noble et intéressante; Agamemnon est tel qu'il doit être : et quel style! c'est là le vrai sublime. » C'est à propos de cette pièce que l'auteur de Mérope s'écrie ailleurs: O tragédie des tragédies! beauté de tous les temps et de tous les pays! Malheur au barbare qui ne sent pas ton prodigieux mérite! »

Pour faire apprécier cette pièce au lecteur, nous croyons devoir, avant toute autre réflexion, en transcrire les principales scènes.

Acte III. Seène V.

ACHILLE, CLYTEMNESTRE, IPHIGÉNIE, ERIPHILE, fille d'Hélène et de Thésée, ARCAS, domestique d'Agamemnon, ÉGINE, femme de la suite de Clytemnestre, DORIS, confidente d'Eriphile.

ARCAS.

Madame, tout est prêt pour la cérémonie.
Le roi près de l'autel attend Iphigénie.

Je viens la demander: où plutôt contre lui,
Seigneur, je viens pour elle implorer votre appui.

Arcas, que dites-vous ?

ACHILLE.

CLYTEMNESTRE.

Dieux! que vient-il m'apprendre?

ARCAS A ACHILLE.

Je ne vois plus que vous qui la puisse défendre.

ACHILLE.

Contre qui ?

ARCAS.

Je le nomme et l'accuse à regret :

Autant que je l'ai pu, j'ai gardé son secret.
Mais le fer, le bandeau, la flamme est toute prête;
Dût tout cet appareil retomber sur ma tête,

Il faut parler.

CLYTEMNESTRE.

Je tremble, expliquez-vous, Arcas.

ACHILLE.

Qui que ce soit, parlez, et ne le craignez pas.

ARCAS.

Vous êtes son amant, et vous êtes sa mère :
Gardez-vous d'envoyer la princesse à son père.

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Quelle aveugle fureur pourrait l'armer contre elle? Ce discours sans horreur se peut-il écouter?

ARCAS.

Ah! seigneur, plût au ciel que je pusse en douter!
Par la voix de Calchas l'oracle la demande;
De tout autre victime il refuse l'offrande;
Et les dieux, jusque là protecteurs de Pâris,
Ne nous promettent Troie et les vents qu'à ce prix.

CLYTEMNEstre.

Les dieux ordonneraient un meurtre abominable!

IPHIGÉNIE.

Ciel! pour tant de rigueur, de quoi suis-je coupable?

CLYTEMNESTRE.

Je ne m'étonne plus de cet ordre cruel
Qui m'avait interdit l'approche de l'autel.

IPHIGÉNIE à Achille.

Et voilà donc l'hymen où j'étais destinée!

ARCAS.

Le roi pour vous tromper feignait cet hyménée : Tout le camp même encore est trompé comme vous.

CLYTEMNESTRE.

Seigneur, c'est donc à moi d'embrasser vos genoux. ACHILLE, la relevant.

Ah! madame!

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