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FÉLIX.

A la mort.

POLYEUCTE.

A la gloire.

» Ce mot Je suis chrétien, deux fois répété, égale les plus beaux mots des Horaces. Corneille, qui se connaissait si bien en sublime, a senti que l'amour pour la religion pouvait s'élever au dernier degré d'enthousiasme, puisque le chrétien aime Dieu comme la souveraine beauté, et le ciel comme sa patrie. » (Génie du Christianisme.)

On reproche au dénouement de Polyeucte la double conversion de Pauline et de Félix. La première ne nous paraît pas repréhensible c'est un miracle, il est vrai; mais il est conforme aux idées religieuses établies dans la pièce. La seconde est en effet vicieuse par plusieurs raisons; d'abord, parce qu'un moyen aussi extraordinaire qu'un miracle peut passer une fois, mais ne doit pas être répété; ensuite, parce que l'intérêt du Christianisme étant mêlé à celui de la tragédie, il est convenable qu'une femme aussi vertueuse que Pauline se fasse chrétienne, mais non pas que Dieu fasse un second miracle en faveur d'un homme aussi méprisable que Félix. (La Harpe, Cours de littérature.)

LA MORT DE POMPÉE.

Quelques littérateurs disputent à ce poème le nom de tragédie; il ne faut pas disputer sur les noms si la mort de Pompée n'est pas une tragédie, c'est un chef-d'œuvre dramatique qui offre des scènes supérieures à quelques tragédies fort vantées. Pompée n'y paraît pas, mais il remplit la pièce : c'est la mort de ce grand homme et les suites de cette mort; c'est le succès de Pharsale remis en question; c'est la conduite du vainqueur du monde après la victoire, moment plus critique, peut-être plus décisif que le combat même; c'est, en un mot, le plus important, le plus auguste, le plus grand spectacle que le génie puisse offrir à l'imagination des hommes instruits et sensés

Il ne s'agit pas ici des petits tourments d'un petit héros qui fait

le fou parce qu'il craint de ne pas être aimé de sa maîtresse; il s'agit du plus terrible coup de la fortune, de la plus grande catastrophe qui jamais ait épouvanté les nations: on étale à nos yeux la chute et les débris de cette monstrueuse république qui, après avoir humilié, écrasé tous les rois, vient périr en Egypte dans la personne de son chef, par l'ordre d'un roi enfant; on nous montre le triomphateur des trois parties de la terre alors connue, vaincu à son tour, et sans asile dans cet univers plein de ses trophées. Le maître du sénat, l'idole du peuple roi, le souverain du monde dépouillé, mis à nu par le hasard d'une seule bataille, n'ayant plus, dans sa fuite, de plus grand ennemi que sa fortune passée, lâchement assassiné, non par la cruauté de son ami, mais par l'infâme politique d'un vil eunuque; de l'autre côté, le héros de Pharsale, le vainqueur de Pompée, plus grand que sa fortune, faisant un effort sublime pour vaincre sa victoire, même pleurant sur la tête de son rival, et après s'être élevé au-dessus de l'humanité par ses talents et son bonheur, s'approchant de la divinité par sa générosité et par sa clémence : superbes tableaux où le peintre n'est point au-dessous du sujet.

C'est bien là ce qu'on peut appeler la tragédie philosophique : voilà ce qui élève et agrandit l'âme; voilà ce qui nourrit l'esprit, et non pas de ridicules passions, des aventures galantes, des folies amoureuses qui ne sont plus pour les spectateurs éclairés que des bagatelles, surtout depuis que la révolution nous a guéris de ce goût romanesque qui trop longtemps infecta notre littérature.

Les unités de temps et de lieu sont observés fidèlement dans Pompée; l'unité d'action, à la vérité, échappe d'abord pour des yeux vulgaires. Un sophiste peut chicaner Corneille; mais un connaisseur n'aperçoit dans la pièce que l'assassinat du grand Pompée, puni par celui-là même pour l'intérêt duquel on l'a commis; il admire ce tableau d'une cour lâche et corrompue, victime de ses propres intrigues, et l'ouvrage d'un bout à l'autre ne lui montre que le triomphe de la générosité et de la grandeur sur une politique basse et cruelle.

Vous dites qu'on ne voit point Pompée on le voit partout;

son ombre plane sans cesse sur le théâtre; son nom retentit dans toutes les scènes; Pompée, iuvisible, est l'âme de toute l'action. Partout il est dignement représenté par sa veuve; tous les événements ont avec lui un rapport intime et direct; partout c'est Pompée honoré et vengé par son digne rival. Quelle tragédie offre un plus beau tout, un plus magnifique ensemble! Est-il un objet plus propre à inspirer la terreur que le triomphateur des trois parties du monde alors connu, égorgé par de vils satellites dans un misérable esquif? Cette grande catastrophe, si étonnante, si instructive, si touchante, nous parait infiniment plus théâtrale et plus tragique que des folies amoureuses. Le vaincu pleuré par le vainqueur est du pathétique le plus noble, le plus digue des belles âmes, et le caractère de Cornélie est le dernier degré du sublime. (Geoffroy.)

Le caractère de Cornélie, dit La Harpe, offre un mélange de noblesse et de douleur, de sublime et de pathétique, qui fait revivre en elle tout l'intérêt attaché à ce seul nom de Pompée. Il ne paraît point dans la pièce; mais il semble que son ombre la remplisse et l'anime. L'urne qui contient ses cendres, et qu'apporte à sa veuve un Romain obscur qui a rendu les derniers devoirs aux restes d'un héros malheureux, l'expression touchante des plaintes de Cornélie et les serments qu'elle fait de venger son époux; les regrets mêmes de César, qui ne peut refuser des larmes au sort de son ennemi, répandent de temps en temps sur cette pièce une sorte de deuil majestueux qui convient à la tragédie. (Cours de littérature.)

Cette magnanimité de César, qui pleure son rival, et se charge même du soin de ses funérailles, peut être comparée à celle que montre Ulysse dans l'Ajax de Sophocle, lorsque, seul de tous les Grecs, il vient défendre contre les Atrides le corps de son ennemi, qu'on veut priver des honneurs de la sépulture, et qu'il offre à Téomesse sa veuve de s'unir à elle pour lui rendre les derniers devoirs. Nous ne croyons pas que ce rapprochement ait jamais été indiqué. Bien certainement Corneille n'a pas voulu imiter Sophocle, mais il s'est rencontré avec lui d'une manière très-remarquable. (M. Patin, Réper toire de littérature).

La scène où Cornélie vient avertir César des complots formés contre sa vie par Ptolémée et Photin est encore une de ces hautes conceptions qui caractérisent le grand Corneille, et rappellent l'auteur des Horaces et de Cinna. (La Harpe.)

LE MENTEUR.

Quelques années avaient suffi à Corneille pour produire tous ces chefs d'œuvre. Il régnait sur le théâtre tragique; on ne Songeait plus à lui comparer ni Mairet, malgré la régularité et l'intérêt réel de sa Sophonisbe, ni Du Ryer qui avait trouvé dans Scévole quelques mâles accents dignes de Rome, ni Tristan qui avait su être pathétique dans Marianne, ni même Rotrou, digne ami de notre poète trop modeste, et trop dévoué pour lutter de gloire avec lui, et qui alors n'avait donné ni son Vinceslas, ni son Saint-Genest, les seules de ses œuvres dramatiques qui aient laissé un souvenir durable; mais Corneille ménageait à ses admirateurs une surprise nouvelle et à la France un autre genre de gloire; entre Pompée qui venait de réussir et Rodogune qu'il méditait déjà, il composa, comme pour détendre son génie et reprendre haleine, un chef-d'oeuvre comique, le Menteur. Cette fois encore il prend son sujet à l'Espagne, mais il se comporte avec Alarcon comme il avait fait avec Guillem de Castro; en effet, il l'imita d'une manière si libre et si neuve, qu'il eut et qu'il mérite tous les honneurs d'une création originale; ainsi Corneille inaugure la comédie comme il a trouvé la tragédie, et il est bien à double titre le père de notre théâtre.

Le caractère du Menteur, de Dorante, est tracé de main de maître; il y a dans ses båbleries une verve, une bonne grâce de jeunesse qui entraîne, et les incidents qu'amène cette manie de son esprit s'enchaînent avec tant de vivacité et de naturel, que cette image d'un travers qui côtoie le vice devient un véritable enchantement. Personne avant Corneille n'avait donné à la versification française cette allure dégagée, cette prestesse de nouvement qui répond à tous les caprices d'une conversation spirituelle et enjouée. Ce n'est pas à l'hôtel de Rambouillet qu'il avait trouvé le modèle de ces entretiens sans

apprêts, de ces plaisanteries sans affectation, de ces saillies si promptes et si nettes. Comment ce même esprit qui aimait tant à se guinder, cette âme si haute qui se haussait encore si volontiers, ont-ils pu se jouer avec tant d'abandon et de grâce? Le naturel que Corneille trouve ici comme sans effort et que Mathurin Régnier avait déjà rencontré, Molière luimême l'a cherché longtemps avant de l'atteindre. N'avonsnous pas trente ans à l'avance le style des Femmes savantes dans ce tableau de Paris qui n'a pas cessé d'être vrai :

Connaissez mieux Paris, puisque vous en parlez.
Paris est un grand lieu plein de marchands mêlés;
L'effet n'y répond pas toujours à l'apparence:
On s'y laisse duper autant qu'en lieu de France;
Et parmi tant d'esprits et polis et meilleurs,
Il y croit des badauds autant et plus qu'ailleurs.
Dans la confusion que ce grand monde apporte,
Il y vient de tous lieux des gens de toute sorte,
Et dans toute la France il est bien peu d'endroits
Dont il n'ait le rebut aussi bien que le choix.

Comme on s'y connaît mal, chacun s'y met de mise
Et vaut communément autant comme il se prise.

La facilité et l'agrément des mensonges de Dorante, et la scène entre son père et lui, où le poète a su être éloquent sans sortir du ton de la comédie, font encore voir cette pièce avec plaisir au bout de cent cinquante ans. La Suite du Menteur n'a pas été aussi heureusc; mais Voltaire pense que, si les derniers actes répondaient aux premiers, cette Suite serait au-dessus du Menteur. Plusieurs vers de cette dernière pièce sont restés proverbes, mérite unique avant Molière.

RODOGUNE.

On sait que Corueille préférait Rodogune aux Horaces et à Cinna. Il n'a pas dissimulé sa prédilection pour cet ouvrage; et si les quatre premiers actes répondaient au dernier, il n'y aurait pas à balancer; tout le monde serait de son avis. Il n'y a point de situation plus forte; il n'y en a point où l'on ait porté plus loin la terreur, et cette incertitude effrayante qui serre l'âme

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