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caractères. Ainsi s'est ajouté, à la partie relative et périssable de tout ouvrage, un vice particulier. Du reste, le fond luimême devait périr, et cette peinture du passé chevaleresque et féodal s'efface avec les mœurs, les souvenirs, les passions, qui en faisaient l'intérêt. Ces grands romans ne convenaient qu'aux châteaux, ces portraits aux voûtes des palais féodaux leur charme s'est évanoui avec leur vérité.

Sous l'empire de ces mœurs, il n'est pas étonnant que l'auteur de Clélie ait été mise au rang des Muses, et décorée du noni de Sapho. Les hommes les plus graves, Huet, Mascaron, Fléchier, partagèrent l'engouement général; mais il faut dire que Boileau n'avait pas encore ramené son siècle au vrai, source unique du beau. Il n'avait pas encore dit :

Gardez donc de donner, ainsi que dans Clélie,
L'air ni l'esprit français à l'antique Italie,
Et, sous des noms romains faisant notre portrait,
Peindre Caton galant et Brutus dameret.

CHAPITRE NEUVIÈME.

Corneille. Ses commencements.

Polyeucte.

- Le Cid. Les Horaces. - Cinna. Rodogune.

La mort de Pompée. Le Menteur.

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l'Imitation de Jésus-Christ. Corneille jugé par Racine neille. Style de Corneille.

Corneille se retire du théâtre et traduit

I reparait au théâtre. Sa mort.
- Caractère général des tragédies de Cor-
Des imperfections du théâtre de Corneille
De ce que la tragédie de Corneille laissait à désirer.
Corneille jugé par M. Sainte-Beuve. par M. Géruzez. — Duryer.

et de leurscauses.

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Vinceslas.

Rotrou. Antigone. - Jugement sur ses pièces. Cosroes. Tristan l'Hermite. - Gabriel Gilbert. Cyrano de Bergerac.

Corneille.

Le point essentiel dans une vie de grand écrivain, de grand poète, dit M. Sainte-Beuve, est celui-ci : saisir, embrasser et analyser tout l'homme au moment où, par un concours plus ou moins lent ou facile, son génie, son éducation et les circonstances se sont accordés de telle sorte, qu'il ait enfanté son premier chef-d'œuvre. Si vous comprenez le poète à ce moment critique, si vous dénouez le nœud auquel tout en lui se liera désormais; si vous trouvez, pour ainsi dire, la clef de cet anneau mystérieux, moitié de fer, moitié de diamant, qui rattache sa seconde existence, radieuse, éblouissante, et solennelle à son existence première, obscure, refoulée, solitaire, et dont plus d'une fois il voudrait dévorer la mémoire, alors on peut dire de vous, que vous possédez à fond et que vous savez votre poète ; vous avez franchi avec lui les régions ténébreuses, comme Dante avec Virgile; vous êtes dignes de l'accompagner sans fatigue et comme de plein-pied à travers ses autres merveilles. De René au dernier ouvrage de M. de Châteaubriand, des premières Méditations à tout ce

que pourra créer jamais M. de Lamartine, d'Andromaque à Athalie, du Cid à Nicomède, l'initiation est facile: on tient à la main le fil conducteur, il ne s'agit plus que de le dérouler. C'est un beau moment pour le critique comme pour le poète que celui où l'un et l'autre peuvent, chacun dans un juste sens, s'écrier avec cet ancien : Je l'ai trouvé. Le poète trouve la région où son génie peut vivre et se déployer désormais; le critique trouve l'instinct et la loi de ce génie. Si le statuaire, qui est aussi à sa façon un magnifique biographe, et qui fixe en marbre aux yeux l'idée du poète, pouvait toujours choisir l'instant où le poète se ressemble le plus à lui-même, nul doute qu'il ne le saisît au jour et à l'heure où le premier rayon de gloire vient illuminer ce front puissant et sombre. A cette époque unique dans la vie, le génie, qui, depuis quelque temps adulte et viril, habitait avec inquiétude, avec tristesse, en sa conscience, et qui avait peine à s'empêcher d'éclater, est tout d'un coup tiré de lui-même au bruit des acclamations, et s'épanouit à l'aurore d'un triomphe. Avec les années, il deviendra peut-être plus calme, plus reposé, plus mûr; mais aussi, il perdra en naïveté d'expression, et se fera un voile qu'on devra percer pour arriver à lui la fraîcheur du sentiment intime se sera effacée de son front; l'âme prendra garde de s'y trahir; une contenance plus étudiée ou du moins plus machinale aura remplacé la première attitude si libre et si vive. Or, ce que le statuaire ferait s'il le pouvait, le critique biographe, qui a sous la main toute la vie et tous les instants de son auteur, doit à plus forte raison le faire; il doit réaliser par son analyse sagace et pénétrante ce que l'artiste figurerait divinement sous forme de symbole. La statue une fois debout, le type une fois découvert et exprimé, il n'aura plus qu'à le reproduire avec de légères modifications dans les développements successifs de la vie du poète, comme en une série de bas-reliefs. Je ne sais si toute cette théorie, mi-partie poétique et mi-partie critique, est fort claire; mais je la crois fort vraie, et tant que les biographes des grands poètes ne l'auront pas présente à l'esprit, ils feront des livres utiles, exacts, estimables sans doute, mais non des œuvres de haute critique et d'art; ils rassembleront

des anecdotes, détermineront des dates, exposeront des querelles littéraires : ce sera l'affaire du lecteur d'en faire jaillir le sens et d'y souffler la vie; ils seront des chroniqueurs, non des statuaires; ils tiendront les registres du temple, et ne seront pas les prêtres du Dieu. › (Portraits littéraires).

Cela posé, nous tâcherons d'en faire l'application au grand Corneille, justement appelé le Père de la tragédie française.

COMMENCEMENTS DE CORNEILLE.

Corneille (Pierre), naquit à Rouen, en 1606, quatre ans avant la mort de Henri IV. Son père, nommé Pierre comme lui, était maître des eaux et forêts en la vicomté de Rouen, et Marthe Lepesant, sa mère, était fille d'un maître des comptes. Mais l'origine d'un tel homme importe peu à l'histoire. Formé d'abord sur les saints exemples du foyer domestique, façonné ensuite à la forte discipline des Jésuites, il prit de bonne heure cet esprit élevé et sérieux qu'il devait porter plus tard dans ses écrits. Destiné par ses parents aux graves études du barreau, il y renonça bientôt pour se tourner vers la carrière dramatique. Il débuta par une comédie intitulée Mélite ou les Fausses lettres, qui fut représentée en 1629. Le vieux dramaturge Hardy, à qui il la soumit, jugea que c'était une assez jolie farce. Quant au public, un peu surpris de ne plus trouver là ses valets bouffons, ses parasites et ses docteurs, il demeura quelque temps incertain; mais, à la réflexion, il reconnut la supériorité de cette pièce sur celles qui l'avaient précédée, et alors il applaudit franchement. « Mélite, disait plus tard Corneille, fut mon coup d'essai, et elle n'a garde d'être dans les règles, puisque je ne savais pas alors qu'il y en eût. Je n'avais pour guides qu'un peu de sens commun, avec les exemples de feu Hardy, dont la veine était plus féconde que polie, et de quelques modernes qui commençaient à se produire et qui n'étaient pas plus réguliers que lui.... Ce sens commun, qui était toute ma règle, m'avait fait trouver l'unité d'action, et m'avait donné assez d'aversion pour cet horrible dérèglement qui mettait Paris, Rome et Constantinople sur le même théâtre, pour réduire le mien dans une seule ville.

Mélite fut suivie de cinq autres pièces : Clitandre (1632), la Veuve, la Galerie du palais, la Suivante (1634) la Place Royale (1635), et rien encore n'annonçait le grand Corneille. Faibles essais d'un talent qui suivit le goût de son siècle avant de le réformer, ces pièces, disons mieux, ces ébauches informes, offrent cependant quelquefois des traits d'esprit et de verve comique; on peut même y découvrir des combinaisons ingénieuses; quelques exemples d'un dialogue adroit (Veuve, act. 2, sc. 3); quelques ressorts d'intrigue ménagés avec art (la Suivante); quelques scènes heureuses d'invention, et vraies de situation comme de sentiments; les personnages de soubrettes, substitués pour la première fois (la Galerie du palais) à des rôles de nourrices, que remplissaient, dans nos anciennes comédies, des hommes habillés en femme.

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L'esprit augmente tous les jours chez Corneille, dit M. Guysot, mais il n'a pas encore trouvé le légitime et grand emploi de ses forces croissantes; au lieu de s'attacher à l'observation de la nature, source inépuisable, il se consume en efforts pour faire valoir le fond stérile qu'il a choisi; chaque jour il acquiert plus d'industrie, mais son art demeure à peu près au même point; et Corneille n'est encore parvenu qu'à montrer ce qu'il peut faire dans un genre où personne ne peut rien faire de bon.

› Six ouvrages, fruits de ses premiers travaux, avaient commencé sa fortune et établi sa réputation. Les bienfaits du cardinal de Richelieu n'avaient pas négligé un talent déjà célèbre, et Corneille partageait avec Colletet et Bois-Robert l'honneur de travailler, sous les ordres, sous les yeux et sous la direction de son Eminence, à ces pièces qu'enfantaient laborieusement les volontés d'un ministre et le génie de cinq auteurs. (*) Loué de ses concurrents dans la carrière du théâtre, Corneille n'était encore à leurs yeux qu'un des copartageants de cette gloire littéraire qui leur était commune à tous; tranquilles dans la possession du mauvais goût, ils étaient

(") Ces cinq auteurs étaient l'Etoile, Colletet, Bois-Robert, Rotrou et Corneille, lequel était, selon Voltaire, assez subordonné aux autres, qui l'emportaient sur lui par la fortune ou par la faveur. >

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