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Dans ce séjour plaisant autant qu'il est sauvage,
Assis dessus les fleurs qui bordent le rivage,
Je borne mes désirs au soin de te priser,
Sans que l'ambition me flatte d'espérance,
M'estimant trop heureux, si j'ai la récompense,
En t'immortalisant, de m'immortaliser.

Ces murs de qui l'orgueil détrempa les matières,
Dont la cime aujourd'hui touche les fondements,
Ces colosses changez en fameux cimetières
Où ta gloire a basti de si beaux monuments;
Ces affreux boulevars, ces superbes machines,
Ces forts ensevelis sous leurs propres ruines;
La Rochelle, en un mot, qu'est-elle maintenant?
N'as-tu pas abattu sa pompe injurieuse?
Et mis aux pieds du Roy l'audace impérieuse
Du rebelle démon qui l'alloit soutenant ?

On avait sollicité Maitre Adam d'aller à la cour; il répondit à ces sollicitations par des stances dont quelques-unes méritent d'être citées :

Pourveu qu'en rabotant ma diligence apporte

De quoy faire rouler la course d'un vivant,
Je seray plus content à vivre de la sorte
Que si j'avais gagné tous les biens du Levant.
S'eslève qui voudra sur l'inconstante roue

Dont la Déesse aveugle en nous trompant se joue;
Je ne m'intrigue point dans son funeste accueil.
Elle couvre de miel une pilule amère ;
Et sous l'ombre d'un port nous cachant un escueil,
Elle devient marastre, aussi tost qu'elle est mère.
Je ne recherche point cet illustre advantage
De ceux qui tous les jours sont dans des différents
A disputer l'honneur d'un fameux parentage,
Comme si les humains n'étaient pas tous parents.
Qu'on sçache que je suis d'une tige champestre ;
Que mes prédécesseurs menoient les brebis paistre ;
Que la rusticité fit naistre mes ayeux :

Mais que j'ay ce bonheur en ce siècle où nous sommes

Que, bien que je sois bas au langage des hommes,
Je parle quand je veux le langage des dieux.

Le destin qui préside aux grandeurs les plus fermes,
N'a pas si bien fondé sa conduite et ses faits,
Que le temps n'ait prescrit des bornes et des termes
Aux fastes les plus grands que sa faveur ait faits.
Ce prince dont l'empire eut le ciel pour limite,
Qui trouvait à ses yeux la terre trop petite
Pour s'eslever un trosne et construire une loy,
Son dernier successeur (*) se vit si misérable,
Que pour vaincre le cours d'une faim déplorable,
Il s'aida d'un rabot aussi bien comme moy.

Deux autres artisans de la même époque, Raqueneau, pâtissier, et Réault, serrurier, adressèrent chacun un sonnet à Maître Adam. Celui du pâtissier finissait par cette pointe :

Tu souffriras pourtant que je me flatte un peu;
Avecque plus de bruit tu travailles sans doute,
Mais pour moy je travaille avecque plus de feu.

(*) Le fils de Persée, dernier roi de Macédoine, devint menuisier à Rome. (Plutar

que, Vie de Paul Emile).

CHAPITRE HUITIÈME.

DES LONGS ROMANS AU XVIIE SIÈCLE.

D'Urfé. Calprenède. Gomberville. Mademoiselle de Scudéry.

-

Sous François Ier, les grandes aventures de guerre et de galanterie, étaient la perfection idéale que se proposaient les courtisans. Les guerres civiles qui troublèrent le règne de ses successeurs, donnèrent un autre cours à l'ambition des grands; mais sous le règne paisible de Henri IV, la galanterie et la politesse composèrent, s'il est permis de le dire, une sphère nouvelle d'idées élégantes, jusqu'alors inconnues, et dont tous les esprits étaient charmés. Ces idées se reproduisirent dans toute la littérature, mais surtout dans les romans.

Ce fut le seigneur Honoré d'Urfé, né à Marseille en 1567, qui mit en vogue cette phase nouvelle du roman en France. Il publia en 1612, sous le titre d'Astrée, une immense et fade épopée postorale contenant les aventures imaginaires des bergers du Lignon, dans le Forez. Si dans les Amadis on trouve l'excès du merveilleux chevaleresque, l'Astrée offre l'extravagance de la politesse la plus raffinée, et le point extrême de la délicatesse dans la passion. Ce sont des scrupules de tendresse, de jalousie, de générosité, dont on ne peut se faire une idée sans avoir lu un ou deux des cinq volumes in-8° qui com posent l'ouvrage. L'hôtel de Rambouillet raffola de l'Astrée, et la France partagea cet engouement pendant un demi-siècle. l'endant cinquante à soixante ans, il a fourni des sujets au théâtre, à la peinture, à la gravure et le héros de l'ouvrage, Celadon, est devenu immortel comme le type générique des amants ridiculement langoureux.

Le plan de d'Urfé était de faire de l'As'rée une vaste tragicomédie, dont les cinq tomes subdivisés en chapitres figureraient les cinq actes et les scènes des ouvrages de théâtre. Il mourut à la peine; mais il laissa les matériaux d'un dernier volume, que le Piémontais Baro, l'un de ses plus chers amis, rédigea dans l'esprit et la manière du maître, et qui compléta, en 1627, l'Iliade du genre pastoral.

Le fond de l'intrigue de l'Astrée repose sur des aventures véritables; l'histoire de Diane de Châteaumorant et les galanteries de Henri IV en ont fourni la meilleure partie.

Quoiqu'il en soit du mérite de d'Urfé, on ne saurait nier sans injustice qu'il n'ait fortement contribué à mettre en honneur les beaux sentiments dans les livres et dans le commerce de la vie.

Les autres ouvrages de d'Urfé sont : 1° La Syreine, poème; 20 des Epitres morales; 3o la Sylvanire, ou la Morte vive, fable bocagère, en vers blancs; 4° la Savoysiade, poème inédit.

Calprenéde.

Ce fut surtout Calprenède (Gauthier de Costes, seigneur de la) qui mit les longs romans à la mode. Il n'est guère connu aujourd'hui que par les vers du satirique :

Tout a l'humeur gasconne en un auteur gascon :
Calprenède et Juba parlent du même ton.

Mais alors il était très en vogue. Le mérite de ses romans consistait dans des aventures dont l'intrigue n'était pas sans art, et qui n'étaient pas impossibles, bien qu'elles fussent presque incroyables.

Les romans de La Calprenède sont au nombre de cinq: Cassandre, Cléopâtre, où figure Juba, Faramond ou l'Histoire de France, Silvandre et les Nouvelles ou Divertissements de la princesse Alcidiane.

Le meilleur de ces romans est sans contredit Cléopâtre, malgré son énorme longueur (23 vol. in-8°); ses conversations éternelles, et ses descriptions qu'il faut sauter à pieds-joints; la complica

tion de vingt différentes intrigues qui n'ont entre elles aucun rapport sensible, et qui échappent à la plus forte mémoire; ces grands coups d'épée qui ne font jamais peur, et que Madame de Sévigné ne haïssait pas; ces résurrections qui font rire, et ces princesses qui ne font pas pleurer. Avec tous ces défauts, que l'on retrouve dans Cassandre et dans Faramond, La Calprenède a de l'imagination: ses héros ont le front élevé; il offre des caractères fortement dessinés, et celui d'Artaban a fait une espèce de fortune; car il a passé en proverbe. Il est vrai que ce proverbe même prouve le ridicule de l'exagération; mais enfin les ouvrages de cet auteur respirent l'héroïsme, quoique le plus souvent ce soit un héroïsme outré. On peut ajouter que ses romans ont fourni des situations, des sujets même à plusieurs poètes dramatiques.

A ce jugement emprunté à La Harpe, nous ajouterons celui de Palissot. Les romans de Cléopâtre et de Cassandre, dit-il, sont remplis d'imagination, et seraient de véritables poèmes dans le genre de l'Arioste, s'ils étaient écrits en beaux vers, et qu'une main judicieuse prît la peine d'en retrancher les longueurs. Ces ouvrages ne sont plus de notre goût; mais ils ont fait les délices d'un siècle poli, et qui peut-être, eu cela même, prouvait sa supériorité sur le nôtre. Supposons en effet qu'il ne reste d'autre monument du siècle de Louis XIV que ces romans de La Calprenède, quelle idée ne se formerait-on pas de la nation qui en faisait sa lecture favorite? On se représenterait sans doute un peuple d'une galanterie beaucoup trop exaltée, mais plein de fierté, de noblesse, de grandeur d'âme, susceptible en un mot de sentiments assez élevés pour ne se plaire qu'au récit des actions les plus héroïques. Ce tab'eau pourrait être flatté; mais s'il est vrai pourtant qu'on ne puisse mieux juger du caractère d'une nation que par les ouvrages qui ont chez elle le plus de faveur, il faut admettre que, dans le siècle de Louis XIV, la nôtre avait conservé du moins quelques-uns de ces grands traits, et que c'est ce qui lui faisait trouver tant de charmes à la lecture de ces romans qui ne respiraient que la bravoure et l'honneur.» (Mémoires sur la littérature,)

La Calprenède s'est aussi exercé dans le drame. Ses tragédies

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