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Sa faute offense ses neveux,
Et dérobe beaucoup de vœux
Aux autels qu'on doit à sa gloire,
Et même le ciel aujourd'hui
Fait des plaintes à la Mémoire
De ce qu'elle a parlé de lui....

Maintenant écoutons la plainte de Théophile dans sa prison; il s'adresse au roi :

Après cinq ou six mois d'erreurs,
Incertain en quel lieu du monde
Je pourrois rasseoir les terreurs
De ma misère vagabonde,
Une incroyable trahison
Me fit rencontrer la prison
Où j'avais cherché mon azile,
Mon protecteur fut mon sergent.
Mon Dieu, comme il est difficile
De courir avec de l'argent.

Icy donc comme en un tombeau,
Troublé du péril où je resve,
Sans compagnie et sans flambeau,
Toujours dans les discours de Grève;
A l'ombre d'un petit faux jour
Qui perce un peu l'obscure tour,
Où les bourreaux vont à la guette;
Grand roi, l'honneur de l'univers,
Je vous présente la requeste
De ce pauvre faiseur de vers.

De ces lieux voués au malheur,
Le soleil, contre sa nature,
A moins de jour et de chaleur
Que l'on en fait à sa peinture :
On n'y voit le ciel que bien peu,
On n'y voit ni terre ni feu ;
On meurt de l'air qu'on y respire;
Tous les objets y sont glacez ;
Si bien que c'est ici l'empire
Où les vivants sont trépassez.

Comme Alcide força la Mort
Lorsqu'il lui fit lascher Thésée,
Vous ferez avec moins d'effort
Chose plus grande et plus aisée :
Signez mon élargissement;
Ainsi de trois doigts seulement
Vous abattrez vingt et deux portes
Et romprez les barres de fer

De trois grilles qui sont plus fortes,
Que toutes celles de l'enfer.

Malgré sa dernière comparaison de Louis XIII avec Hercule, Théophile estimait peu l'innombrable armée des dieux et demidieux de la fable; aussi trouve-t-on dans ses vers peu d'allusions à la mythologie païenne; il en proscrivait l'emploi et trouvait bon qu'on laissât ces divinités décrépites reposer dans leur vieil Olympe. Un jour, il s'écrie en prenant la plume:

Je fausse ma promesse aux vierges du Parnasse ;
Je ne veux invoquer ni Muse, ni Phébus,
Et je suis, grâce à Dieu, guéri de cet abus.

Il ne traite pas mieux Cupidon, Vénus, les oracles:

Ces contes sont fascheux à des esprits hardis

Qui sentent autrement qu'on ne faisoit jadis.

Il n'est pas jusqu'aux noms affectés, dont les poètes décoraient les objets de leurs passions imaginaires, qu'il n'atteigne de son dédain moqueur :

Amarante, Philis, Caliste, Pasithée,

Je hais cette moliesse à vos noms affectée;
Ces titres qu'on vous fait avecque tant d'appas
Témoignent qu'en effet vos yeux n'en avaient pas.
Au sentiment divin de ma douce furie,

Le plus beau nom du monde est le nom de Marie.
Quelque soucy qui m'ait enveloppé l'esprit

En l'oyant proférer, ce beau nom me guérit.

Mon sang en est ému, mon âme en est touchée! etc.

C'est un véritable phénomène, en un siècle où les littératures de la Grèce et de Rome régnaient en souveraines, qu'un homme d'un goût assez sûr, pour proscrire, comme l'a fait de nos

jours M. de Châteaubriand, toute cette friperie mythologique, pour préférer le doux nom de Marie, le plus beau nom du monde, à toutes ces appellations forgées par le pédantisme. Et qu'on se garde d'en conclure que Théophile manquait de sensibilité : loin de là, il aimait à exprimer des sentiments doux, à décrire la nature champê re; mais il voulait, pour modèles, l'homme et la nature elle-même, et non pas les imitations déjà faites ou les imitations d'autrui. Voici un exemple de sa manière :

Je cueillerai ces abricots,

Ces fraises à couleur de flammes
Où nos bergers font des écots
Qui seraient ici bons aux dames;
Et ces figues et ces melons
Dont la bouche des aquilons
N'a jamais su baiser l'écorce,
Et ces jaunes muscats si chers,
Que jamais la gręsle ne force
Dans l'asyle de nos rochers.
Je verrai sur nos grenadiers
Leurs rouges pommes entr'ouvertes,
Où le ciel, comme à ses lauriers,
Garde des feuilles toujours vertes.
Je verrai ce touffu jasmin

Qui fait ombre à tout le chemin
Et le parfum d'une fleur
Qui conserve dans la gelée

Son odorat et sa couleur.

Théophile avait une grande facilité de versification. On en peut citer pour preuve ces vers qu'il improvisa devant une petite statue équestre de Henri IV:

Petit cheval, gentil cheval,

Doux au monter, doux au descendre,
Bien plus petit que Bucéphal,

Tu portes bien plus qu'Alexandre.

Théophile injustement oublié, eut de son temps des admirateurs qui le mettaient au-dessus de Malherbe. Il fit même école et Mairet, Scudéry, Pradon se faisaient gloire de l'imiter. Ses œuvres ont été imprimées en trois parties:

La première contient : 1o Le Traité de l'immortalité de l'âme, ou la Mort de Socrate, traduction libre du Phédon, mélée de prose et de vers; 2o Des Poésies diverses, dont nous avons parlé; 3o Larissia, pièce latine dans le genre de Pétrone, élégamment écrite, mais licencieuse.

La seconde partie renferme 1° une Préface apologétique; 2o des Fragments d'une histoire comique, scènes de cabaret, traitées avec vérité, et qui donnent une idée des plaisirs peu délicats auxquels s'adonnaient alors les gens de lettres; le caractère d'un pédant, nommé Sydias, y est tracé d'une manière extrêmement comique; 3o des Poésies diverses; 4° Pyrame et Thisbé, tragédie qui n'est plus aujourd'hui connue que par la critique de Boileau. Le satirique, voulant rapporter un exemple frappant du ridicule d'une pensée froide et puérile, cite ces deux vers prononcés par Thisbé sur le poignard encore sanglant dont Pyrame s'était tué :

Ah! voici le poignard qui du sang de son maître
S'est souillé lâchement. Il en rougit le traître !

Bien que la tragédie de Pyrame, dépourvue de plan et d'intrigue, offre beaucoup de vers de cette force, on y trouve aussi des tirades remarquables par le pathétique et même par la grâce du style. Au reste, il ne faudrait souvent aux vers de Théophile que la plus légère correction pour les rendre parfaits. Aussi a-t-il été imité par une foule de poètes plus célèbres que lui. Le fameux vers de Delille :

Il ne voit que la nuit, n'entend que le silence,

est une imitation évidente de celui-ci, que Théophile met dans la bouche de Pyrame :

On n'oit que le silence, on ne voit rien que l'ombre.

La troisième partie comprend toutes les pièces qu'il composa pendant et depuis son procès; telles que la Requête de Théophile au roi (1624); la Maison de Sylvie, recueil des dix odes composées à la louange de la duchesse de Montmorency; enfin trois Apologies dont deux sont en prose française et la troisième en latin.

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Patrix (Pierre), né à Caen en 1583, d'un père conseiller au bailliage de cette ville, ennuyé du barreau, se livra à son goût pour la poésie. L'agrément de sa conversation, remplie de gaieté, le lia intimement avec Voiture et les autres beaux esprits de son temps.

Scarron l'ayant rencontré aux eaux de Bourbonne, ne manqua pas d'en parler dans la description de ceux qui y étaient :

Et Patrix,

Quoique Normand, homme de prix.

La plupart de ses poésies sont très-faibles, à quelques endroits près, qui se font remarquer par un tour facile et par leur naïveté. Peu de jours avant sa mort, il fit ces vers si connus qui se trouvent dans ses Poésies diverses, sous le titre de Madrigal; ce sont ses meilleurs ;

Je songeais cette nuit que, de mal consumé,
Côte à côte d'un pauvre on m'avait inhumé,
Et que, n'en pouvant pas souffrir le voisinage,
En mort de qualité je lui tins ce langage:
Retire-toi, coquin! va pourrir loin d'ici;
Il ne t'appartient pas de m'approcher ainsi.
Coquin! (ce me dit-il d'une arrogance extrême),
Va chercher tes coquins ailleurs, coquin toi-même !
Ici tous sont égaux; je ne te dois plus rien,

Je suis sur mon fumier comme toi sur le tien.

Citons encore le Temple de la Mort de Philippe Habert, l'un des premiers académiciens. Ce poème qui comprend trois cents vers, se distingue par l'harmonie et la verve. On en peut jager par le début vraiment remarquable pour le temps:

Sous ces climats glacés où le flambeau du monde
Epand avec regret sa lumière féconde,
Dans une île déserte est un vallon affreux
Qui n'eut jamais du ciel un regard amoureux.
Là, sur de vieux cyprès dépouillez de verdure,
Nichent tous les oyseaux de malheureux augure :

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