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tion dans laquelle on aurait admis un Anglais, un Prussien, un Allemand, ait à prendre une mesure pour repousser ces puissances. -Eh bien? Eh bien! croyez-vous que ces trois philosophes pussent concourir à cette mesure? Je demande donc que les philosophes étrangers aient le titre de citoyens français, mais qu'ils ne soient pas éligibles à la Convention nationale. Ah! de

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quelles huées fut salué ce discours d'écloppé. Personne ne s'avisa d'appuyer la proposition restrictive. Vite! protestons contre ces paroles réfrigérantes. Et à l'unanimité on vote le principe, comme l'avait demandé Vergniaud, et l'on renvoie à une commission extraordinaire le soin de dresser la liste des grands philosophes à proclamer comme l'avait proposé Basire. Ah! mon pauvre Gallophile, n'applaudis pas si fort à ces préparatifs de ton apothéose, philosophique; car, avant dix-huit mois, presque tous ces mêmes hommes, si pleins à cette heure de l'esprit cosmopolite, fêteront ce même Thuriot, qui proclamera les mêmes principes, et le décret qu'ils voteront, corollaire de celui qu'ils portent aujourd'hui, te préparera une apothéose plus certaine, hélas! -celle d'outre-tombe!

"

En attendant, Anacharsis, qui n'est pas prévoyant comme la Providence, rit, et c'est de Thuriot. Oser concevoir des Français non éligibles, au lendemain même de la victoire sans-culottine, mais n'est-ce pas là une réminiscence antédiluvienne? A peine fut-il rentré chez lui pourtant que cette monstruosité lui apparut dans la personne de ses deux domestiques. Encore quelques heures, les Assemblées primaires allaient s'ouvrir, et le bruit courait dans la ville que les domestiques n'y auraient pas entrée. Pourquoi? Parce que les domestiques ne sont pas libres; parce qu'assurément ils choisiront pour électeurs leurs

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maîtres, qui presque tous sont aristocrates; jugez alors de la Convention future! Ainsi criaient les Jacobins, et surtout dans la section d'Anacharsis, où le faubourg SaintGermain faisait pointe. En retour, les beaux esprits et les aristocrates, avisant les Sans-Culottes des faubourgs SaintAntoine, Saint-Marceau et des quartiers de petite bourgeoisie, acceptaient le thème jacobin et faisaient chœur en disant: Soit! proscrivons les domestiques, puisqu'ils sont salariés, mais soyons logiques, et, pour le même motif, écartons les ouvriers et les gens de bureaux. » En face de tant de sottise et de coquinisme, Anacharsis, laissant là l'esprit de parti, et s'armant des droits de l'homme, répliqua : « Oui, soyons logiques! » Et, le 25, pendant qu'on enterrait les victimes du massacre de la Saint-Laurent, il rédigea une pétition en faveur des domestiques. Mieux qu'en suivant leurs cercueils, il honora les morts de la grande journée, puisqu'il revendiquait les fruits de leur martyre (1).

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« Les bornes qui séparaient les prolétaires des citoyens actifs, écrivit-il, disparaissent avec les barrières du Louvre. L'honorable sans-culotterie a montré autant de sagesse que de bravoure. Le patriotisme du pauvre a triomphé des séductions du riche et de tous les dégoûts d'une loi maràtre... Des législateurs scolastiques, des escobars courtisans soutenaient qu'il fallait avoir des propriétés locales pour aimer la patrie. Plus on est pauvre et mieux on sait apprécier les droits de l'homme. Tout individu qui a des bras est un riche propriétaire sur le sol de la loi universelle.

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Et il présenta les domestiques comme les gardiens de la vie et des propriétés dans l'intérieur des maisons.

(1) Chronique de Paris.

Et par sa bouche, ou plutôt par sa plume, les domestiques crièrent: « Nous sommes des Sans-Culottes enragés. Nous sommes dans la garde nationale, nous étions à la Bastille et aux Tuileries. Il n'y a pas de sot métier, dit le proverbe, mais il y a de sottes lois. Les Français régénérés seraient-ils moins raisonnables que les Français d'autrefois, qui se vantaient d'avoir des barons allemands. dans leurs écuries, pendant qu'en Allemagne on se vantait d'avoir des marquis français dans les cuisines? La nature, notre mère, nous rend serviteurs les uns des autres. Un homme vaut un homme tous les patriotes sont citoyens actifs, tous les Sans-Culottes sont frères. "

Et après avoir noté que la proscription des domestiques entraînait la proscription des gens d'atelier et des gens de bureau:

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Un domestique, formula-t-il, est un artisan domicilié avec l'ordonnateur de ses travaux. C'est un locataire qui paye son loyer avec sa main-d'oeuvre et qui paye les impôts par la main d'autrui... Législateurs, vous voyez parmi nous des hommes qui ont joui de quinze à vingt mille livres de rente. Ils servent maintenant ceux qui les servirent jadis. Jean-Jacques Rousseau n'a jamais rougi d'avoir été domestique! » Et il terminait en assimilant bravement le décret qu'il fallait rendre en leur faveur à celui qu'on avait proposé en faveur des Priestley, des Payne et de lui-même.

Ah! comment refuser le titre de citoyen français à l'afficheur de pareilles doctrines? Aussi Guadet, président de la commission extraordinaire, inscrivait sans conteste le nom d'Anacharsis Cloots sur la liste des philosophes d'élection, et l'Orateur s'y trouva en belle

compagnie (1). Les amis de Brissot avaient bien essayé de mettre en avant les noms des Polonais Poniatowski, Pillawtoski, Malakowski, défenseurs héroïques mais constitutionnels de la république monarchique du traître Stanislas. En les acclamant, Brissot voulait protester contre les aventures de la révolution du 10 août; mais il y eut des murmures au sein même de la commission, et les noms polonais furent jetés au panier. Un seul fut repêché aux applaudissements de tous: Kosciusko! Après avoir épluché et scruté, quarante-huit heures durant, toutes les têtes philosophiques de l'Europe et du monde, on compta: dix-huit noms composèrent la liste. Six Anglais, trois Américains, un Anglo-Américain, un Italien, un Polonais et six Allemands. L'Allemagne faisait équilibre à l'Angleterre, grâce à l'influence de frère Bonneville, qui était venu réclamer pour Schiller, et à celle de Claude Fauchet, qui avait parlé pour Klopstock. Les poëtes sont les plus grands d'entre les philosophes, ne cessaient de dire Claude et Nicolas. Cependant les Brissotins firent donner le pas à Messieurs les Anglais, qu'ils tenaient pour les pères de la liberté. A cela près, tout fut au mieux.

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Ah! dites plutôt que tout est au pire! Queile nouvelle donc ? Longwy est pris! Encore quelques étapes, et les hommes de sang seront ici. Ici? Nous verrons bien. Quoi qu'il arrive, jurons de ne pas déserter notre poste, de ne pas abandonner Paris... On jura. -... et que Guadet.monte à la tribune pour apprendre au monde que la France est désormais la patrie des hommes de l'idée. Guadet monta et dit :

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L'Assemblée, considérant que les hommes qui par leurs écrits et par leur courage ont servi la cause de la liberté et préparé l'affranchissement des peuples ne peuvent être regardés comme étrangers par une nation que ses lumières et son courage ont rendue libre;

« Considérant que, si cinq ans de domicile en France suffisent à un étranger pour obtenir le titre de citoyen français, ce titre est bien plus justement dû à ceux qui,' quel que soit le sol qu'ils habitent, ont consacré leurs bras et leurs veilles à défendre la cause des peuples contre le despotisme des rois, à bannir les préjugés de la terre et à reculer les bornes des connaissances humaines;

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« Considérant que, s'il n'est pas permis d'espérer que les hommes ne forment un jour devant la loi comme devant la nature qu'une seule famille, une seule association, les amis de la liberté, de la fraternité universelle n'en doivent pas être moins chers à une nation qui a proclamé sa renonciation à toute conquête, et son désir de fraterniser avec tous les peuples;

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Considérant enfin qu'au moment où une Convention nationale va fixer les destinées de la France et préparer peut-être celles du genre humain, il appartient à un peuple généreux et libre d'appeler toutes les lumières et de déférer le droit de concourir à ce grand acte de raison à des hommes qui, par leurs sentiments, leurs écrits et leur courage, s'en sont montrés si éminemment dignes,

« Déclare déférer le titre de citoyens français à Joseph Priestley, Thomas Payne, Bentham - le jurisconsulte,— Vilberforce l'ami des noirs, Clarkson, Makintosh Gorani

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l'apologiste de la révolution française,

le philosophe milanais, Cloots et l'oncle de Pauw

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