Page images
PDF
EPUB

venaient troubler l'harmonie du chœur universel, qui saluait les nouveaux commandements.

Ah! pauvre ami! combien n'aurais-tu pas rabattu de cet enthousiasme si quelque Gygès t'eût brutalement conté qu'à Paris même il n'avait été joué qu'une farce de tréteaux; que Louis XVI n'avait juré comme roi qu'après s'être secrètement suspendu lui-même de ses fonctions de roi, et qu'afin de mentir plus à l'aise, il se considérait prisonnier dans Paris, non moins que saint Louis chez le Turc; que Brissot, toujours fidèle à ses camarades, n'avait accepté le travestissement parisien que pour reprendre avec plus d'avantages sa campagne contre la grande ville, et mener la troupe des frais élus des départements...

Mais quoi! lui eût-on murmuré ces choses qu'Anacharsis leur eût fermé l'oreille!... Sous le ciel parisien, sur le lit constitutionnel, il est étendu, et déjà rêve-t-il. Il rêve, et ses songes, tout de rose, lui font oublier l'insuffisance même de sa couche. Car c'est la Nation unique, la République universelle des hommes-unis qu'il voit sortir d'elle-même, sans cri ni pleurs, de cette Constitution perfectible à l'infini. Or, comme il rêve, il entend: « Je viens de vous lire sans vous lire (1)! » Un livre, en effet, s'est produit comme le testament de la grande assemblée qui va disparaître. Et miracle! cette œuvre qui prédit la chute de tous les trônes, le renversement de tous les autels, semble avoir emprunté sa méthode à la Certitude des preuves du Mahométisme, et ses conclusions à la Dépêche du Prussien Cloots au Prussien Hertzberg. Assis

(1) Cloots, République universelle.

sur les ruines du vieux monde, le constituant philosophe Volney a vu comme le cosmopolite philosophe Anacharsis (1)!

Et c'est pourquoi l'Orateur du genre humain attendit, dans son Idéal, les ouvriers de la deuxième heure.

(1) Les Ruines.

[merged small][merged small][merged small][ocr errors][merged small]

Ils arrivent!... Les voilà! - Tous jeunes! Élèves de Voltaire, disciples de Jean-Jacques; la plupart affiliés dès longtemps aux Jacobins, ou correspondants du Cercle social! Et c'est Brissot, le quaker, qui, laissant là ses rêveries américaines, fait les honneurs de Paris, que dis-je? des Jacobins, à cette jeune France! Paris va

renaître.

Quel mouvement de joie n'eut pas Anacharsis en voyant les tables de la loi, l'Acte divin-humain, passer des mains du janséniste Camus sous la garde de ces libres penseurs! Ils ne purent s'empêcher de rire à la face du Moïse de la Constituante: Assurément, dit l'Orateur, ils ne s'en tiendront pas à la lettre.

Quand, à peine assis, ils cherchèrent vite querelle à la Majesté du pouvoir exécutif, Anacharsis murmura bien: « Les étourdis!» mais il n'admira pas moins leur ardeur.

Enfin, à leurs cris contre les émigrants, contre les prêtres, contre les ministres, cris d'éloquence s'il en fut, il eut comme un feu d'enthousiasme, semblable à celui qui l'avait saisi dans les nuits du 4 août et du 19 juin; un joyeux « Ça ira» lui partit du cœur, et il se promit d'être un fidèle des tribunes, afin d'entendre, car tous parlaient si bien. Les dames furent de son avis, et les salons s'ouvrirent devant ces révolutionnaires ardents et tout aimables.

66

Mais la rue? Mais les clubs? - A quoi bon d'y songer? « Il s'agit d'appliquer avec finesse la philosophie à la politique, disait Brissot. Ayons un bon ministère, et nous opérerons sans violence, et nous aurons raison constitutionnellement du veto et de la liste civile. » En vérité, le populaire n'avait que faire en cette besogne, non plus que le quartier de l'idée. Les procédés salutaires de l'insurrection n'étaient plus de mise. Camille et les autres ne pouvaient que brouiller. Or il ne fallait qu'intriguer. C'était aux dames à tenir le jeu.

On se groupa donc autour de la belle madame de Condorcet, qui avait tant aidé de ses blanches épaules aux élections parisiennes; autour de Belle et Bonne, née tout exprès pour le ministère des beaux-arts; autour de madame de Staël, élève de Rousseau, fille de Necker, et jupon diplomatique; quelques-uns avisèrent mademoiselle Keralio, femme du cordelier Robert; certains attendirent deux mois, mais en dînant entre eux, la femme de M. Roland, de Lyon, alors à Lyon. Si bien que, du matin au soir, tous personnalisèrent. Et l'on put croire que Paris avait repris langue (1).

(1) Chronique.

Anacharsis suivit l'exemple. Tout le jour il aboya le plus constitutionnellement du monde après les factieux et les aristocrates. Les grands organes des philosophes, le Patriote, de Mister Brissot, et la Chronique de Paris, à laquelle l'académicien Condorcet daignait maintenant collaborer, se firent volontiers les échos de ses cris (1). Mais, chaque soir, Anacharsis se sentait en appétit de principes. Comme nombre de patriotes qui ne disputaient plus, il se dit : « L'heure est à l'instruction! » Et il enseigna.

Mais comment? S'enferma-t-il dans son cabinet pour fabriquer un almanach explicatif de l'Acte divin-humain, comme faisait à cette heure un apprenti cordonnier, ou mieux encore que l'apprenti, l'auteur dramatique Collotd'Herbois (2)? Non. Esquissa-t-il un plan d'éducation, qu'il devait envoyer ensuite aux Jacobins, à l'exemple de Talleyrand? Point. Imagina-t-il d'exposer en pleine assemblée jacobine, toutes portes grandes ouvertes, ses vues sur l'éducation? Du tout. C'est à faire à l'instituteur Léonard Bourdon (3). Composa-t-il un catéchisme des Droits de l'homme à l'usage des écoles primaires? Hé! l'avocat Osselin le rédige. Traduisit-il en allemand le nouvel Évangile, afin d'en propager la lettre? Non plus. Il laisse cette besogne au journaliste Hébert (4). Concourut-il alors, avec Lavicomterie et mademoiselle Kéralio, à réunir les crimes des rois, reines et papes, pour compte de Prudhomme et l'édification des hommes libres? Encore moins. Mais encore? Rédigea-t-il une apologie

(1) Chronique et le Patriote.

(2 Préface de l'Aimanach du Père Gérard.

(3) Journal des Jacobins.

(4) Gorsas, Courrier, etc.

T, I.

DOMIMINA

NUS TIG
ILLME

VN

le

20

« PreviousContinue »