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Salomon des districts (1). Les députés patriotes avaient dit vrai la révolution n'était encore que sous la tente, aux lieux mêmes où, cinq ans auparavant, Jean-Baptiste l'avait laissée germe. Là, sans crainte de la garde bourgeoise (2), au carrefour, au théâtre, au café, s'agitent, se pressent, se confondent avocats, peintres, acteurs, ouvriers, médecius, boutiquiers, basochiens, carabins, libellistes accourus d'outre-Rhin, journalistes débarqués d'outre-Manche, hommes de lettres, hommes de science, tous jeunes et tous d'action. Ils affichent, ils colportent, ils brochurent, orateurs de jardin, tribuns de ruisseau, convocateurs des halles. Selon l'heure, selon le jour et toujours prêts, sans lassitude ils vont! Et c'est parce qu'ils vont, confondus, déclassés, qu'ils sont Paris, qu'ils sont le monde, qu'ils sont à tous et qu'ils sont tout. Leur esprit, c'est l'esprit cosmopolite de Voltaire; leur cri, le cri parisien de Diderot:

Et mes mains ourdiraient les entrailles du prêtre
Au défaut d'un cordon pour étrangler les rois (3).

Car, s'ils ont en bouche un nom sacerdotal, ce n'est pas celui d'un prêtre ligueur, mais d'un abbé logicien, deprêtrisé d'esprit autant que Condillac, l'abbé Siéyès (4),le premier qui, enseignant à compter par têtes, par voix, tue le sacerdoce, et qui, départementalisant les hommes, va donner à chacun conscience humaine.

Ah! comme sur cette terre promise de la libertė nais

(1) Expression de Camille Desmoulins.

(2) Révolutions de Paris.

(3) L'Éleutheromanie de Diderot a été composée au café Procope. V. Camille Desmoulins.

(4) Sieyès avait été le candidat du café Procope.

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sante, comme dans cette cour des miracles de l'Idée, JeanBaptiste sentit l'Esprit et qu'il joua vite de la langue, bien autrement encore que là-bas, à Versailles, en face de l'Assemblée! L'Assemblée!... Versailles!... Mais que fait l'Assemblée à Versailles?... » Ce fut la pensée première qui lui surgit de l'esprit aux lèvres dans la cité révolutionnaire des Cordeliers, tant l'Assemblée lui parut soudain comme perdue, hors du monde, au désert (1). « Non, ce n'est pas sous l'oeil de la cour qu'on légifère: autant philosopher comme autrefois sous le canon de la Bastille. L'Assemblée à Paris! Une vaste et populeuse capitale est la terreur des despotes. Le roi à Paris! La liberté française doit être fondée sur l'immensité de Paris. A Paris le roi, l'Assemblée! La gloire du dix-huitième siècle est d'avoir fondé la Ville; achevons l'oeuvre! » Ainsi criait-il déjà à toutes les oreilles, dans tous les groupes; et chacun, ma foi, n'avait garde de le tenir pour fou, car il avait bien la pensée commune. « Bravo, Prussien! » lui disaient-ils tous. Mais tous ajoutaient aussi : « Il faut un second accès de révolution (2). — Qu'est-ce à dire? exclamait Jean-Baptiste à ce souhait; mais il suffit que l'Assemblée veuille venir! — Elle ne veut pas venir. Mais l'Assemblée a peur de la cour?- Elle n'a pas moins peur de Paris. Quoi! suspecter l'Assemblée de tenir Paris pour suspect!» Jean-Baptiste n'eut plus de voix à ce blasphème (3).

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Mais quand il retourna à Versailles et qu'il eut dit aux députés patriotes: « L'Assemblée à Paris! le roi à Paris!"

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(1) Cloots, Motion aux Jacobins.

(2) Révolutions de Paris.

(3) Révolutions de Paris.

il put voir, au silence qui accueillit ses paroles, que le quartier de la jeunesse et de l'idée jugeait bien. Et comme il essaya de démontrer qu'il fallait que Paris et l'Assemblée eussent une volonté une et que constituer Paris c'était constituer la nation: « Paris est en mauvaise réputation dans les provinces, lui répondit-on net. C'est la clef de voûte de la France, répliqua Jean-Baptiste. Jamais la France n'acceptera la loi du Parisien. - Vous l'accepterez tous, leur cria alors le patriote, vous, la France et l'Univers. Paris est le chef-lieu du globe (1). Et Jean-Baptiste leur fit des offres apostoliques pour convertir la France - puisqu'il fallait convertir à l'opinion parisienne. Globe à part, la foi naïve de ce Prussien dans l'unité nationale les séduisit tous. Ils acceptèrent les offres apostoliques.

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Le lendemain, Jean-Baptiste sortait de Paris et prenait à toutes guides la route de Bretagne (2). Il allait en mission. C'étaient le parlement et la noblesse de cette province qui, les premiers, s'étaient levés contre la cour; mais, les premiers aussi, ils refusaient de sacrifier leurs priviléges à la commune patrie. Ces Bretons bretonnants n'étaient pas à convaincre, mais à vaincre. Armé du décret contre la féodalité et les dimes, Jean-Baptiste poussa droit dans les terres, allant aux paysans. Là, plus de journaux ni routes. Et les villages, où done? Ah! JeanBaptiste s'arrêta; son cœur se serra. Il voyait ce que La Bruyère avait vu cent ans auparavant; ce qu'on avait vu là mille ans avant La Bruyère; ce qu'on verrait encore aujourd'hui sans la Révolution : « Certains ani

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(1) Cloots, Motion.

(2) Cloots, Lettre à l'abbé Brizard, en date de Tours.

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maux farouches, des males et des femelles, répandus dans la campagne, noirs, livides et tout brûlés du soleil, attachés à la terre qu'ils fouillent et qu'ils remuent avec une opiniâtreté invincible. Ils ont comme une voix articulée, et quand ils se lèvent sur leurs pieds, ils montrent une face humaine. Et en effet ils sont des hommes (1)......... »

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«Ils sont mes frères!» dit Jean-Baptiste. Et il s'avança. Tous de s'enfuir. Mais il les suivit jusque dans les tanières où ils couchaient avec leurs chevaux, leurs vaches, leurs cochons et leurs poules, et les interrogea, non de bouche, aucun d'eux ne parlait la langue universelle, -mais par interprète. Ces êtres ne semblaient connaître que le bon Dieu et le bon roi. Quand il leur demanda s'ils avaient ouï parler de la Révolution, les plus intelligents vinrent et dirent: Le roi notre maître fait beaucoup de bien; les états généraux lui donnent de bons conseils; les coffres du roi seront toujours pleins, parce que M. le duc payera la taille comme le tiers état. Non-seulement M. le duc payera la taille, leur cria Jean-Baptiste; mais vous ne payerez plus la dime!... Ils écoutèrent. “Non-seulement la Révolution.est faite au profit du tiers, mais elle est faite au profit de tous. Dès ce jour, ô mes frères vous pouvez défricher, labourer, semer dans l'allégresse. Tout congéables que soient vos terres (2), vous avez droit d'acquérir leur propriété. Et Jean-Baptiste leur expliqua les deux décrets sauveurs. Ces hommes nouveau-nés écoutaient encore. Il y avait donc pour eux une Providence au monde!. Et c'était un jeune seigneur qui leur apportait cette bonne

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(1) La Bruyère, Caractères.

(2) Lequinio, Sur les domaines congéables.

nouvelle en les appelant ses frères! Ils n'y pouvaient croire. Mais à sa voix, s'étant levés, ils se sentirent forts; et voilà qu'impatients d'essayer leurs forces, ils courent à la colline, torche d'une main, la faux de l'autre; et, ma foi, le château du maître, leur bastille, brûle bien à toutes flammes. Dans l'église, le prètre était en chaire, tonnant contre la révolte. Ils vont au prêtre, l'enlèvent, le conduisent à la maison commune; et cela sans qu'un miracle s'opère en sa faveur (1). Alors ce fut une fête. Toute la plaine s'ébranla; chaque colline s'éclaira; et partout où Jean-Baptiste avait passé il n'y eut plus qu'un cri, cri français, cri d'union: « Vive l'Assemblée nationale! »

Les hommes d'affaires des seigneurs voulaient le pendre, toute la police parlementaire fut mise après lui; mais le Prussien, qui avait échappé aux mouchards d'Allemagne, aux sbires d'Italie, aux alguazils d'Espagne, fit la navette et dépista les espions des robinocrates (2). Chaque ville, au reste, était pour lui de refuge. Là, il trouvait tout prêt un corps de défense: la jeunesse bourgeoise, instruite, armée, patriote. Pour ceux-là qui savaient lire, il avait des brochures écrites au cœur même de Paris, au PalaisRoyal. Et les leur distribuant, il disait : « Gardez-vous de vos pères; ce sont des vieillards; laissez-les au passé. Les noms de patriotisme et de liberté n'appartiennent pas à leur langue (3). Vos véritables pères sont à l'Assemblée nationale. Unissez-vous à eux. Il les groupait alors et les affiliait au club breton. Puis il disait aux initiés :

(1) Révolutions de Paris, nouvelles des provinces. (2) Cloots.

(3) Expressions de Sieyes.

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