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eux. Les cabinets se fâcheront, si nous voulons toujours vivre et nous gouverner à notre fantaisie. Martin bâton commande les troupes de la Sainte-Alliance. Ma foi, mon lieutenant, je n'ai pas grande envie de servir sous ce général; et puis, je vous l'avoue, j'aime l'avancement. Je voudrais devenir, s'il y avait moyen, maréchal. — Oui, j'entends, maréchal des logis dans la cavalerie. — Non, ce n'est pas cela. Quoi! maréchal ferrant ? — Non. — Propos séditieux. Tu te gâtes, Francisque. Qui diable te met donc ces idées dans la tête? tu ne sais ce que tu dis. Tu rêves, mon ami, ou bien tu n'entends pas la distinction des classes. Moi, noble, ton lieutenant, je suis de la haute classe. Toi, fils de mon fermier, tu es de la basse classe. Comprends-tu maintenant? Or, il faut que chacun demeure dans sa classe ; autrement ce serait un désordre, une cohue; ce serait la révolution. - Pardon, mon lieutenant; répondez-moi, je vous prie. Vous voulez, j'imagine, devenir capitaine ? — Oui. — Colonel ensuite ? Assurément.Et puis général? A mon tour. — Puis maréchal de France?-Pourquoi non? Je peux bien l'espérer comme un autre. Et moi, je reste sergent? - Quoi! ce n'est pas assez pour un homme de ta sorte, né rustre, fils d'un rustre? Souviens. toi donc, mon cher, que ton père est paysan. Tu voudrais me commander peut-être ? — Mon lieutenant, le maréchal duc de... qui nous passe en revue, est fils d'un paysan? On le dit. Il vous commande. - Eh! vraiment c'est le mal. Voilà le désordre qu'a produit la révolution. Mais on y remédiera, et bientôt, j'en suis sûr, mon oncle me l'a dit; on arrangera cela en dépit de Benjamin, qui sera pendu le premier, si nous ne l'assommons tout à l'heure. Viens, Francisque, mon ami, mon frère de lait, mon camarade; viens, sabrons tous ces vilains avec leur Benjamin. Il n'y a point de danger; tu sais bien qu'à Paris ils se sont laissé faire. — Allez, mon lieutenant, mon camarade; allez devant et in'attendez. Francisque, écoute-moi. Si tu te conduis bien, que tu sabres ces vilains quand je te le commanderai, si je suis content de toi! j'écrirai à mon père qu'il te fasse laquais, garde-chasse ou portier. - Allez, mon lieutenant. - Oh! le mauvais sujet! Va, tu en mangeras, de la prison; je te le promets.

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D'autres content autrement. L'arrivée de Benjamin, annoncée

à Saumur, fit plaisir aux jeunes gens, qui voulurent le fêter : non que Benjamin soit jeune ; mais ils disent que ses idées sont de ce siècle-ci, et leur conviennent fort. La jeunesse ne vaut rien nulle part, comme vous savez ; à Saumur, elle est pire qu'ailleurs. Ils sortent au-devant du député de gauche, et vont à sa rencontre avec musique, violons, flûtes, fifres, haut-bois. Les gentilshommes de la garnison`, qui ne veulent entendre parler ni du siècle ni de ses idées, trouvèrent celle-là très-mauvaise; et, résolus de toubler la fête, attaquent les donneurs d'aubade, croyant ne courir aucun risque. Mais, en ce pays-là, la garde nationale ne laisse point sabrer les jeunes gens dans les rues; aussi n'estelle pas commandée par un duc. La garde nationale armée fit tourner la tête aux nobles assaillants, qui bientôt, mal menés, quittent le champ de bataille en y laissant des leurs. Tel est le second récit.

A Nogent-le-Rotrou, il ne faut point danser, ni regarder danser, de peur d'aller en prison. Là, les droits réunis s'en viennent au milieu d'une fête de village exercer ( c'est le mot, nous appelons cela vexer); on chasse mes coquins. Gendarmes aussitôt arrivent; en prison le bal et les violons, danseurs et spectateurs, en prison tout le monde. Un maire verbalise; un procureur du roi ( c'est comme qui dirait un loup quelque peu clerc ) voit là dedans des complots, des machinations, des ramifications. Que ne voit pas le zèle d'un procureur du roi ! Il traduit devant la cour d'assises vingt pauvres gens qui ne savaient pas que le roi eût un procureur. Les uns sont artisans, les autres laboureurs, quelques-uns parents du maire, tous perdus sans ressource. Qui sèmera leur champ? Qui fera leurs travaux, pendant six mois de prison ou plus ? Qui prendra soin de leurs familles ? Et sortis, s'ils en sortent, que deviendront-il après ? mendiants ou voleurs par force; nouvelle matière pour le zèle de M. le procureur du roi.

Ici, scène moins grave; il s'agit de préséance. A l'église, c'était grande cérémonie: office pontifical, cierges allumés, fauxbourdon, procession, cloches en branle; le concours des fidèles, et cet ordre pompeux, faisaient plaisir à voir. Au beau milieu du chœur, deux champions couverts d'or se gourment, s'apostrophent. Ote-toi. Non, c'est ma piace.

C'est la

mienne.

-

Tu mens. Coups de pied, coups de poing. Tu n'es pas royaliste. Je le suis plus que toi. --- Non, mais moi plus que toi; je te le prouverai, je te le ferai voir. Votre mère sainte Église, affligée du scandaie, y voulut mettre fin ; le ministre du Très-Haut arrive crossé, mitré. Ah! monsieur le général! ah ! monsieur le commandant de la garde nationale! Mon cher comte! mon cher chevalier! Laissez-là cette chaise, monsieur le général; rengaînez votre épée, monsieur le commandant.

Par malheur, le payeur ne se trouvait pas là, car il eût apaisé la noise tout d'abord, en faisant savoir à ces messieurs ce que chacun d'eux touche par mois du gouvernement; on eût pu calculer, en francs, de combien l'un était plus royaliste que l'autre, et régler les rangs sans dispute. La charge de payeur devrait toujours s'unir à celle de maître des cérémonies. Je l'ai dit à Perceval, un de nos députés; il en fera la proposition dès qu'il sera conseiller d'État.

Mais dites-moi, je vous prie, vous qui avez couru, sauriezvous un pays où il n'y eût ni gendarmes, ni rats de cave, ni maire, ni procureur du roi, ni zèle, ni appointements ( je voulais dire dévouement; n'importe, c'est tout un), ni généraux, ni commandants, ni nobles, ni vilains qui pensent noblement ? Si vous savez un tel pays sur la mappemonde, montrez-le-moi, et me procurez un passe-port.

Voilà Perceval en bon chemin. Secrétaire de la guerre! cela s'appelle tirer son épingle du jeu. C'est un habile garçon ; il n'en demeurera pas là: tant vaut l'homme, tant vaut la députation Les sots n'attrapent rien; quelques-uns y mettent du leur. Il n'ose, dit-on, revenir ici, de peur de la sérénade. Quelle faiblesse! je me moquerais et de la sérénade et de mes commettants. Bellart n'en est pas mort à Brest. Un autre de nos députés, M. Gouin Moisan, est ici un peu fâché, à ce qu'on dit, de n'avoir pu encore rien tirer des ministres, ni pour lui, ni pour sa famille. Ce M. Gouin Moisan est un honnête marchand que la noblesse méprise, et qui vote avec elle sans qu'elle le méprise moins, comme vous pensez bien. Pour les services par lui rendus au parti gentilhomme, il voudrait qu'on le fit noble ; il se contenterait du titre de baron. La noblesse française n'a point de baron Gouin, et s'en passe volontiers; mais Gouin ne se passe

pas de noblesse. Depuis trois ans entiers, il se lève, il s'assied avec le côté droit, dans l'espérance d'un parchemin. Quand on peut à ce prix rendre les gens heureux, il faut avoir le cœur bien ministériel pour les laisser languir. Le service des nobles est dur et profite peu; on leur sacrifie tout; on renie ses amis, ses œuvres, ses paroles; on abjure le vrai; toujours dire et se dédire, parler contre son sens; combattre l'évidence, et mentir sans tromper; je ne m'étonne pas que de Serre en soit malade. Renoncer à toute espèce de bonne foi, d'approbation de soi-même et d'autrui ; affronter le haro, l'indignation publique ! pour qui? pour des ingrats qui vous payent d'un cordon et disent : Le sieur Lainé, le nommé de Villèle, un certain Donnadieu. Eh! bonjour, mon ami; votre père fait-il toujours de bons souliers ? Çà, vous dinerez chez moi, quand je n'aurai personne. Voilà la récompense. Va, pour telles gens, va trahir ton mandat, et livre à l'étranger ta patrie et tes dieux. Ainsi parle un vilain dégoûté de bien penser; mais la moindre faveur d'un coup d'œil caressant le rengage comme Sosie, et fait taire la conscience, la patrie et le mandat.

Nous en allons faire de nouveaux, je dis des députés; Dieu sait quels, blancs ou noirs, mais bonnes gens, à coup sûr. En attendant ce jour, on rit de la querelle de Paul et du préfet : c'est affaire d'élections. Paul veut être électeur; le préfet ne veut pas qu'il le soit, et lui fait la plus plaisante chicane... Paul n'a pas de domicile, dit le préfet, attendu qu'il a été soldat; il a femme et enfant dans ce département, cultive son héritage, habite la maison de son père et de son grand-père, paye treize cents francs d'impôts: tout cela n'y fait rien. Il a été soldat pendant seize ans, rebelle aux puissances étrangères, aux cabinets de l'Europe; il a quitté le pays. Que ne restait-il chez lui? ou, s'il eût émigré... C'est un mauvais sujet, un vagabond, indigne d'être même électeur. Cette bouffonnerie réjouit toute la ville, et le département, et le bonhomme Paul qui, labourant son champ, se moque des cabinets. Adieu, portez-vous bien; que tout ceci soit entre nous.

1 Voir la requête au conseil de préfecture, qui précède.

II LETTRE PARTICULIÈRE.

Tours, 28 novembre 1820.

Vous êtes babillard, et vous montrez mes lettres, ou bien vous les perdez; elles vont de main en main, et tombent dans les journaux. Le mal serait petit, si je ne vous mandais que les nouvelles du Font-Neuf; mais de cette façon tout le monde sait nos affaires. Et croyez-vous, je vous prie, moi qui ai toujours fui la mauvaise compagnie, que je prenne plaisir à me voir dans la Gazette?

Notre vigne n'est point si chétive qu'on le voudrait bien faire croire. Les vieilles souches, à vrai dire, sont pourries jusqu'au cœur, et le fruit n'en vaut guère; mais un jeune plant s'élève, qui va prendre le dessus et couvrir tout bientôt. Laissez-le croître avec cette vigueur, cette séve, seulement cinq ou six ans encore, et vous m'en direz des nouvelles.

Si vous me promettiez de tenir votre langue, je vous conterais... mais non; car vous iriez tout dire, et je suis averti; je vous conterais nos élections, comment tout cela s'est passé, la messe du Saint-Esprit, le noble pair et son urne, le club des gentilshommes, l'embarras du préfet, et d'autres choses non moins utiles à savoir qu'agréables; mais quoi! vous ne pouvez rien taire; un peu de discrétion est bien rare aujourd'hui. Les gens crèveraient plutôt que de ne point jaser, et vous tout le premier. Vous ne saurez rien cette fois; pas un mot, nulle nouvelle; pour vous punir, je veux ne vous rien dire, si je puis.

Oui, par ma foi, c'était une chose curieuse à voir. Figurezvous, sur une estrade, un homme tout brillant de crachats; devant lui une table, et sur la table une urne. Si vous me demandez ce que c'est que cette urne, cela m'avait tout l'air d'une boîte de sapin. L'homme, c'était le président comte Villemanzy, noble pair, dont le père n'était ni pair ni noble, mais procureur fiscal, ou quelque chose d'approchant. Je note ceci pour vous qui aimez la nouvelle noblesse. Jadis la Rochefoucauld était de votre avis, il la voulait toute neuve ; neuve elle se vendait alors; elle valait mieux. La vieille ne se vendait pas. Pour moi ce m'est tout un, l'ancienne, la nouvelle, la Tremouille ou Godin, Rohan ou Ravigot, j'en donne le choix pour une épingle.

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