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chaque moment la nouvelle de son arrestation. La chose n'est pas de peu d'importance; une pareille invention, dans le siècle où nous sommes, venant à se répandre, c'en serait fait de toutes les bases de l'ordre social; il n'y aurait plus rien de caché pour le public. Adieu les ressorts de la politique: intrigues, complots, notes secrètes; plus d'hypocrisie qui ne fût bientôt démasquée, d'imposture qui ne fût démentie. Comment gouverner après cela?

LETTRE XI.

Véretz, 10 avril 1820.

Je trouve comme vous, Monsieur, que nos orateurs ont fait merveille pour la liberté de la presse. Rien ne se peut imaginer de plus fort ni de mieux pensé que ce qu'ils ont dit à ce sujet, et leur éloquence me ravit, en même temps que sur bien des choses j'admire leur peu de finesse. L'un, aux ministres qui se plaignent de la licence des écrits, répond que la famille royale ne fut jamais si respectée; qu'on n'imprime rien contre le roi. En bonne foi, il faut être un peu de son département pour croire qu'il s'agit du roi, lorsqu'on crie vengez le roi. Ainsi ce bonhomme, au théâtre, voyant représenter le Tartufe, disait : Pourquoi donc les dévots haïssent-ils tant cette pièce? il n'y a rien contre la religion. L'autre, non moins naïf, s'étonne, trouve que partout tout est tranquille, et demande de quoi on s'inquiète. Celui-là, certes, n'a point de place, et ne va pas chez les ministres; car il y verrait que le monde ( le monde, comme vous savez, ce sont les gens à places), bien loin d'être tranquille, est au contraire fort troublé par l'appréhension du plus grand de tous les désastres, la diminution du budget, dont le monde en effet est menacé, si le gouvernement n'y apporte remède. C'est à éloigner ce fléau que tendent ses soins paternels, bénis de Dieu jusqu'à ce jour. Car, depuis cinq ou six cents ans, le budget, si ce n'est à quelques époques de Louis XII et de Henri IV, a continuellement augmenté, en raison composée, disent les géomètres, de l'avidité des gens de cour et de la patience des peuples.

Mais de tous ceux qui ont parlé dans cette occasion, le plus

amusant, c'est M. Benjamin Constant, qui va dire aux ministres : Quoi! point de journaux libres! point de papiers publics í ceux que vous censurez sont à vous)! Comment saurez-vous ce qui se passe? Vos agents vous tromperont, se moqueront de vous, vous feront faire mille sottises, comme ils faisaient avant que la presse fût libre. Témoin l'affaire de Lyon. Car, qu'était-ce, en deux mots? On vous mande qu'il y a là une conspiration. Eh bien! qu'on coupe les têtes, répondîtes-vous d'abord bonnement. L'ordre part; et puis, par réflexion, vous envoyez quelqu'un savoir un peu ce que c'est. Le moindre journal libre vous l'eût appris à temps, bien mieux qu'un maréchal et à bien moins de frais. Que sûtes-vous par le rapport de votre envoyé? peu de chose. A la fin, on imprime, tout devient public, et il se trouve qu'il n'y a point eu de conspiration. Cependant les têtes étaient coupées. Voilà un furieux pas de clerc, une bévue qui coûte cher, et que la liberté des journaux vous eût certainement épargnée. De pareilles âneries font grand tort, et voilà ce que c'est que d'enchaîner la presse.

Là-dessus, dit on, le ministère eut peine à se tenir de rire; et M. Pasquier, le lendemain, s'égaya aux dépens de l'honorable membre, non sans cause. Car on pouvait dire à M. Benjamain Constant: Oui, les têtes sont à bas, mais monseigneur est duc; il n'en faut plus qu'autant, le voilà prince de plein. droit. Les bévues des ministres coûtent cher, il est vrai, mais non pas aux ministres. Mieux vaut tuer un marquis, disent les médecins, que guérir cent vilains: cela vaut mieux pour le médecin; pour les ministres non; mieux vaut tuer les vilains, et, selon leurs conséquences, les fautes changent de nom. Con. tenter le public, s'en faire estimer, est fort bien; il n'y a nul mal assurément, et Laffitte a raison de se conduire comme il fait, parce qu'il a besoin, lui, de l'estime, de la confiance publique, étant homme de négoce, roturier, non pas duc. Mais le point pour un ministre, c'est de rester ministre ; et pour cela, il faut savoir, non ce qui s'est fait à Lyon, mais ce qui s'est dit au lever, dont ne parlent pas les journaux. La presse étant libre, il n'y a point de conspiration, dites-vous, messieurs de gauche. Vraiment, on le sait bien. Mais, sans conspiration, comment sauver l'État, le trône, la monarchie? et que deviendraient los

agents de sûreté, de surveillance? Comme le scandale est nécessaire pour la plus grande gloire de Dieu, aussi sont les conspirations pour le maintien de la haute police. Les faire naître, les étouffer, charger la mine, l'éventer, c'est le grand art du ministère ; c'est le fort et le fin de la science des hommes d'État; c'est la politique transcendante chez nous, perfectionnée depuis peu par d'excellents hommes en ce genre, que l'Anglais jaloux veut imiter et contrefait, mais grossièrement. N'y ayant ni complots, ni machinations, ni ramifications, que voulez-vous qu'un ministre fasse de son génie et de son zèle pour la dynastie ? Quelle intrigue peut-on entamer avec espoir de la mener à bien, si tout est affiché le même jour? Quelle trame saurait-on mettre sur le métier? Les journaux apprennent aux ministres ce que le public dit, chose fort indifférente; ils apprennent au public ce que les ministres font, chose fort intéressante, ou ce qu'ils veulent faire, encore meilleur à savoir. Il n'y a nulle parité ; le profit est tout d'une part. Outre que les ministres, dès qu'on sait ce qu'ils veulent faire, aussitôt ne le veulent ou ne le peuvent plus faire. Politique connue, politique perdue; affaires d'État, secrets d'État, secrétaires d'État!...... Le secret, en un mot, est l'âme de la politique, et la publicité n'est bonne que pour le public.

Voilà une partie de ce qu'on eût pu répondre aux orateurs de gauche, admirables d'ailleurs dans tout ce qu'ils ont dit pour la défense de nos droits, et forts sur la logique autant qu'imperturbables sur la dialectique. Leurs discours seront des monuments de l'art de discuter, d'éclaircir la question; réfuter les sophismes, analyser, approfondir. Courage, mes amis, courage, les ministres se moquent de nous; mais nous raisonnons bien mieux qu'eux. Ils nous mettent en prison, et nous y consentons; mais nous les mettons dans leur tort, et ils y consentent aussi. Que cette poignée de protégés du général Foy nous lie, nous dépouille, nous égorge; il sera toujours vrai que nous les avons menés de la belle manière; nous leur avons bien dit leur fait, sagement toutefois, prudemment, décemment. La décence est de rigueur dans un gouvernement constitutionnel.

Mais ce qui m'étonne de ces harangues si belles dans le Moniteur, si bien déduites, si frappantes par le raisonnement, qu'il ne semble pas qu'on puisse répliquer un mot; ce qui me

surprend, c'est de voir le peu d'effet qu'elles produisent sur les auditeurs. Nos Cicérons, avec toute leur éloquence, n'ont guère persuadé que ceux qui, avant de les entendre, étaient de leur avis. Je sais la raison qu'on en donne : ventre n'a point d'oreil les, et il n'est pire sourd... Vous dirai-je ma pensée ? Ce sont d'habiles gens, sages et bien disants, orateurs, en un mot; mais ils ne savent pas faire usage de l'apostrophe, une des plus puissantes machines de la rhétorique, ou n'ont pas voulu s'er servir dans le cours de ces discussions, par civilité, je m’imagine, par ce même principe de décence, preuve de la bonne éducation qu'ils ont reçue de leurs parents; car l'apostrophe n'est pas polie; j'en demeure d'accord avec M. de Corday. Mais aussi trouvez-moi une tournure plus vive, plus animée, plus forte, plus propre à remuer une assemblée, à frapper le ministère, à étonner la droite, à émouvoir le ventre? L'apostrophe, Monsieur, l'apostrophe, c'est la mitraille de l'éloquence. Vous l'avez vu, quand Foy, artilleur de son métier...... Sans l'apostrophe, je vous défie d'ébranler une majorité, lorsque son parti est bien pris. Essayez un peu d'employer, avec des gens qui ont dîné chez M. Pasquier, le syllogisme et l'enthymême. Je vous donne toutes les figures de Quintilien, tous les tropes de Dumarsais et tout le sublime de Longin. Allez attaquer avec cela un M. Poyféré de Cerre; poussez à Marcassus, poussez à Marcellus la métaphore, l'antithèse, l'hypotypose, la catachrèse; polissez votre style et choisissez vos termes; à la force du sens unissez l'harmonie infuse dans vos périodes, pour charmer l'oreille d'un préfet, ou porter le cœur d'un ministre à prendre pitié de son pays,

Vous serez étonné, quand vous serez au bout,

De ne leur avoir rien persuadé du tout.

Pas un seul ne vous écoutera; vous verrez la droite bâiller, le ministère se moucher, le ventre aller à ses affaires. Mais que Foy, dans ce moment de verve, applaudi de toute la France, prélude une espèce d'apostrophe, sans autrement, peut-être, y penser, on dresse l'oreille aussitôt, l'alarme est au camp, les muets parlent, tout s'émeut; et s'il eût continué sur ce ton ( mais il aima mieux rendre hommage aux classes élevées), s'il eût pu soutenir ce style, la scène changeait : M. Pasquier, sur

pris comme un fondeur de cloches, eût remis ses lois dans sa poche, et moi, petit propriétaire, ici je taillerais ma vigne, sans crainte des honnêtes gens. O puissance de l'apostrophe!

C'est, comme vous savez, une figure au moyen de laquelle on a trouvé le secret de parler aux gens qui ne sont pas là, de lier conversation avec toute la nature, interroger au loin les morts et les vivants. Ou ma tous en Marathóni! s'écrie Démosthène en fureur. Cet ou ma tous est d'une grande force, et Foy l'eût pu traduire ainsi : Non, par les morts de Waterloo, qui tombèrent avec la patrie; non, par nos blessures d'Austerlitz et de Marengo; non jamais de tels misérables......... Vous concevez l'effet d'une pareille figure poussée jusqu'où elle peut aller, et dans la bouche d'un homme comme Foy; mais il aima mieux embrasser les auteurs des Notes secrètes.

Moi, si j'eusse été là (c'est mon fort que l'apostrophe, et je ne parle guère autrement; je ne dis jamais : Nicole, apportemoi mes pantoufles; mais je dis, ó mes pantoufles! et toi, Nicole, et toi!..............), si j'eusse été là, député des classes inférieures de mon département, quand on proposa cette question de la liberté de la presse, j'aurais pris la parole ainsi :

Milord Castlereagh, mêlez-vous de vos affaires; pour Dieu, Herr Metternich, laissez-nous en repos; et vous, mein lieber Hardemberg, songez à bien cuire vos saur kraut...

Ou je me trompe, ou cette tournure eût fait effet sur l'assemsemblée, eût éveillé son attention, premier point pour persuader, premier précepte d'Aristote. Il faut se faire écouter, dit-il; et c'est à quoi n'ont pas pensé nos députés de gauche; à employer quelque moyen, tel qu'en fournit l'art oratoire pour avoir audience de l'assistance. Autre chose ne leur a manqué; car du langage, ils en avaient, et des raisons, ils l'ont fait voir; de l'invention et du débit, et avec tout cela n'ont su se faire écouter, faute de quoi? d'apostrophes, de ces vives apostrophes aux hommes et aux dieux, dans le goût des anciens. Sans laisser au ventre le temps de se rendormir, j'aurais continué de la

sorte:

Excellents ministres des hautes puissances étrangères, ne vous fiez pas trop à vos amis de deçà. Ils vous en font accroire avec leurs Notes secrètes; non que je les soupçonne de vouloir vous

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