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siers. J'ai la réputation d'un homme qu'on ne paye que quand on veut. Cela me fait donner au diable.

Je n'ai point vu les la Beraudière : la mère est malade. Ils se sont fort bien conduits dans une infâme affaire qui a eu lieu dernièrement à Luynes. Dans ce village d'environ 1200 habitants, douze personnes ont été arrêtées pour propos séditieux ou conduite suspecte. C'étaient les ennemis du curé et du maire. Les uns sont restés en prison six mois, les autres y sont encore. Une jeune fille se meurt des suites de la peur qu'elle a eue en voyant arrêter son père. Or, dans cette affaire, il paraît que M. de la Beraudière s'est employé tant qu'il a puen faveur de ces pauvres diables. Cela fait qu'on en dit beaucoup de bien dans le pays. Dans le fait, ce sont des gens fort estimables.

Un curé me disait à Luynes qu'il ne voulait pas me fleustrer du plaisir..... Mets cela avec le dénaturer du médecin 1.

A MADAME COURIER.

Le 9 février 1818.

Tu vois comme je t'écris. Je te parle de moi. C'est comme il faut que tu fasses. Tout ce que tu fais, ce que tu penses, tout ce qui te vient à l'esprit sans examen, il me le faut coucher par écrit. Visconti est mort; je viens de recevoir son billet d'enterrement. Voilà trois places à l'Institut. En aurai-je une? Je ne sais. S'ils me reçoivent, j'en serai bien aise; s'ils me refusent, j'en rirai je ne vaudrai ni plus ni moins, et le public sera pour moi. Je crois que je serai reçu. Mon Ane va paraître, je crois, la semaine prochaine. Il semble que Bobée ait envie d'en finir.

Adieu. Je m'arrange avec Rosine on ne peut mieux. Elle jouit du bonheur de voir son fils ne rien faire du tout. J'ai voulu hier l'envoyer porter quelques livres chez ta mère. Rosine s'en est emparée, et les a portés elle-même. Il ne faut pas qu'un gentil. homme sache rien faire, dit Molière. Adieu.

A M. RAOUL ROCHETTE.

Paris, le 15 avril 1818.

Monsieur, je n'aurai point l'honneur de dîner demain avec vous,

Un médecin consulté par Courier lui répondit un jour gravement : Mon. sieur, ce symptôme me dénature votre maladie; voulant dire dénote.

parce que je pars pour la campagne, à mon grand regret, je

vous assure.

Ne croyez pas que je me plaigne de votre académie ; je reconnais au contraire qu'elle a eu toute sorte de raison de me refuser; que je n'étais point fait pour être académicien, et que c'était à moi une insigne folie de me mettre sur les rangs. Seulement, je ne veux pas qu'on me croie plus sot encore que je ne suis; et comme bien des gens s'imaginent que je me présente à chaque élection pour essuyer un refus, je ne dois pas négliger, ce me semble, de les désabuser. C'est là l'objet du petit mémoire que je vais publier, et dans lequel je ne prétends point justifier, mais atténuer ma sottise: je n'en ai guère fait en ma vie que par le conseil de mes amis. Ah! Visconti! Visconti !

A M. ÉTIENNE,

DE LA MINERVE.

Paris, le 14 juin 1818.

Monsieur, j'ai prié M. Bobée, mon imprimeur, de vous faire tenir une feuille qu'il vient d'imprimer sous ce titre : Procès de Pierre Clavier Blondeau, etc. Lisez cela, monsieur, si vous en avez le temps, et vous verrez ce que c'est pour nous, pauvres paysans, d'avoir affaire à un maire. Vous serez d'avis, comme moi, que ces faits sont bons à publier. Dites-en donc un mot, je vous prie, dans un de vos excellents articles, afin que Paris du moins sache comme on traite ceux qui le nourrissent: car vous ne vous doutez de rien, gens de Paris, dans vos salons; et comme vous sifflez les ministres s'il leur échappe à la tribune un mot impropre ou malsonnant, vous croyez que nous pouvons ici nous moquer d'un maire. Défaites-vous de cette idée. L'opposition réussit mal dans les départements, et je puis vous en dire des nouvelles. Mon exemple est une leçon pour tous ceux qui seraient tentés de prendre, comme j'ai fait, le parti des vilains, non-seulement contre les nobles, mais contre les vilains qui pensent noblement. Il m'en coûte mon repos et mon bien : les juges veulent me ruiner, et ils y réussiront avec l'aide de Dieu et de M. le procureur du roi. Enfin, depuis quelque temps, ma vie est un combat, comme disait Beaumarchais. Il était ferrail

ieur, et souvent cherchait noise. Moi, je ne me défendrais même pas, tant je suis bonne créature, si on me battait modérément. Votre Minerve s'est déjà déclarée pour moi d'une manière qui m'a fait beaucoup de plaisir et d'honneur. Souffrez, monsieur, que je lui recommande à présent mon pauvre Blondeau, ainsi qu'à votre Renommée, qui, je l'espère, ne jugera pas de l'importance des faits par les noms des personnages. Une présentation à la cour ne lui fera pas oublier les doléances de Blondeau et de vingt millions de paysans opprimés, je veux dire administrés, comme lui.

A MADAME COURIER.

Saint-Germain, du 15 au 18 juillet 1818.

Je suis allé, comme je t'ai dit, aux Français avec ces jeunes gens; je croyais qu'ils allaient au parterre; point du tout, c'était aux galeries à quatre francs : j'y ai eu grand regret. On donnait Andromaque. Je n'ai rien vu au monde de si pitoyable. Tout était révoltant: Andromaque avait dix-huit ans, et Oreste soixante. Tantôt il hurle, il beugle; tantôt il parle tout bas, et semble dire: Nicole, apporte-moi mes pantoufles. Tout cela est entremêlé de coups de poing et de gestes de laquais dans les endroits de la plus noble poésie. Je t'assure que celui de la Gaieté qu'on nomme le Talma des boulevards, vaut beaucoup mieux que son modèle. Talma était fagotté on ne peut pas plus mal; des draperies si lourdes et si embarrassantes qu'il ne pouvait faire un pas un gros ventre, un dos rond, une vieille figure; c'était un amoureux à faire compassion. Tu sais que je n'ai point de prévention; je ne demandais pas mieux que de m'amuser. Je crois d'ailleurs que le parterre, tout enthousiasmé qu'il était, ne s'amusait pas plus que moi. Le Crispin (c'était Monrose) ne m'a pas paru merveilleux. Le fait est, comme je l'ai toujours dit, que le Théâtre-Français, et tous les vieux théâtres de Paris, à commencer par l'Opéra, sont excessivement ennuyeux.

A MADAME COURIER.

Paris, dimanche.

Je trouve ici tes deux premières lettres. Je vois que tu vas

garder mon mémoire jusqu'à ce que la chose soit jugée, ou, ce qui est la même chose, jusqu'à la veille du jugement. Comment ne comprends-tu pas que cela est plutôt fait pour le public que pour les juges? Tu ne me marques point quand on doit juger. Aussitôt ma lettre reçue, distribue tout ce que tu as, mais avec discernement. N'en donne qu'à ceux qui peuvent trompeter cela, et qui n'ont point d'intérêt à ce que la chose n'éclate pas.

A MADAME COURIER.

Le 9 janvier 1819.

Je suis bien content de Félix et d'Émilie. Cela m'a fait grand plaisir. Voilà qui sera un joli ménage, bien assorti. C'est un petit roman que cette course en Amérique, et la souffrance de la belle; je souhaite qu'elle soit heureuse. Je l'espère bien, et elle le mérite.

Ne te tourmente point, tout s'arrange avec le temps; l'essentiel, c'est la santé.

Ce qu'Hyacinthe t'a dit de ma réputation doit te rassurer pour l'avenir. La réputation à Paris vaut mieux que l'argent, et procure l'argent. Nous ne devons pas craindre d'être jamais embarrassés.

A MADAME COURIER.

(Fin de mars 1819.)

Ce qui nous aidera puissamment dans toutes nos affaires, c'est la lettre à l'Académie, dont le succès paraît certain. Il n'y a encore que trois ou quatre exemplaires de distribués, et déjà les têtes s'échauffent. Faye était prévenu peu favorablement sur ce que je lui en avais débité de mémoire; mais, après l'avoir lue et fait lire à d'autres, il en est enchanté. Haxo en est presque

content.

J'allai voir Hyacinthe avant-hier; je le trouvai au lit. On l'avait saigné, on lui avait mis les sangsues; il avait eu un coup de sang. C'est tout le tempérament. Je lui recommande la fatigue et les exercices violents, pendant qu'il en est temps encore; il ne suivra pas mon conseil; il paraît un peu indolent; du reste, le meilleur garçon, et bien aimable. Il veut absolument être

sous-préfet, et il le sera. Son père et sa mère iront vivre avec lui; sottise, selon moi. Il doit m'aboucher avec Villemain d'ici à quelques jours. Je crois que tout ira bien, et que nous aurons ici pleine satisfaction.

J'achèterai ici du sainfoin, qui est beaucoup meilleur marché que là-bas ; j'en ai vu des tas à la halle, et je sais maintenant distinguer le bon du mauvais.

Fais toujours couper du mauvais bois. Si je n'arrivais pas le 2 ou 3 avril, fais vendre les bourrées par Blondeau. Tu en fixeras le prix avec lui; ce doit être de seize à vingt-deux ou vingttrois.

Je suis bien aise que tu plantes des châtaignes; il faut les mettre loin du bois.

A MADAME COURIER.

Mars 1819.

J'ai vu hier M. Guizot. Il m'a promis solennellement la destitution, que je ne lui demandais pas. Je dois le revoir mercredi au soir; ainsi je ne puis partir que jeudi. Je dois voir d'ici à ce temps le ministre de la justice, dont j'espère beaucoup; ainsi j'espère que nous aurons raison de nos persécuteurs.

La lettre à l'Académie commence à faire sensation. B. m'a écrit une lettre d'une bêtise rare; tout le monde est content du style, excepté... M. Daunou, dont le suffrage n'est pas peu de chose, m'en a fait mille compliments; Villemain, Violet-le-Duc, il n'y a qu'une voix. Mais l'Académie est un peu sotte. Tout cela, je crois, me fera honneur. Villemain est enthousiasmé de mon Plutarque, et veut l'imprimer à tout prix.

Dis à Blondeau que ses affaires vont bien; que cependant je ne puis encore lui rien promettre.

A MADAME COURIER.

1819.

J'ai dîné hier avec Hyacinthe et Jules Bonnet chez Hardi. Jules est un peu pincé, mais du reste il m'a paru aimable. Après le dîner ils se sont mis à jouer au billard, et je suis rentré chez moi. Le matin j'allai voir Lemontey; je croyais qu'il pourrait

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