Page images
PDF
EPUB

après avoir vu l'Égypte et la Syrie, retourner à Paris par Constantinople et Vienne.

[Pendant que Courier s'occupait à Rome à faire imprimer le texte de Longus, le ministre de l'intérieur, sur le rapport du directeur général de la librairie, faisait saisir à Florence les vingt-sept exemplaires qui res. taient de la traduction imprimée chez Piatti. Averti par ses amis de Paris qu'on se proposait de sévir contre lui-même, il sentit enfin la nécessité de se défendre, et composa pour cela, dans le courant de septembre, un pamphlet en forme de lettre, adressé à M. Renouard, comme à l'oc casion de la notice que celui-ci avait publiée au mois de juillet sur l'accident de la tache d'encre. Il faut lire tous les détails de cette affaire dans l'avertissement que Paul-Louis a mis en tête de l'édition des Pastorales de Longus, qui a paru à Paris en 1821. ]

[blocks in formation]

OFFICIER D'ARTILLERIE.

Tivoli, le 12 septembre 1810.

Ah! mon cher ami, mes affaires sont bien plus mauvaises encore qu'on ne vous l'a dit. J'ai deux ministres à mes trousses, dont l'un veut me faire fusiller comme déserteur; l'autre veut que je sois pendu pour avoir volé du grec. Je réponds au premier : Monseigneur, je ne suis point soldat, ni par conséquent déserteur. Au second: Monseigneur, je me f... du grec, et je n'en vole point. Mais ils me répliquent, l'un : Vous êtes soldat, car il y a un an vous vous enivrâtes dans l'île de Lobau, avec L... et tels garnements qui vous appelaient camarade; vous suiviez l'empereur à cheval; ainsi vous serez fusillé. L'autre : Vous serez pendu; car vous avez sali une page de grec, pour faire pièce à quelques pédants qui ne savent ni le grec ni aucune langue. Là-dessus je me lamente, et je dis : Serais-je donc fusillé pour avoir bu un coup à la santé de l'empereur? Faudra-t-il que je sois pendu pour un pâté d'encre?

Ce qu'on vous a conté de mes querelles avec cette pédantaille n'est pas loin de la vérité. Le ministre a pris parti pour eux; c'est, je crois, celui de l'intérieur; et, dans les bureaux de Son Excellence, on me fait mon procès sans m'entendre : on m'expédiera sans me dire pourquoi, et le tout officiellement. L'autre cellence de la guerre, c'est-à-dire Gassendi, a écrit ici à Sor

bier, voulant savoir, dit-il, si c'est moi qui fais ce grec dont parle la gazette; que je suis à lui, et qu'il se propose de me faire arrêter par la gendarmerie. J'ai su cela de Vauxmoret, car je n'ai point vu Sorbier, et j'ignore ce qu'il a répondu. Au vrai, je ne m'en soucie guère; je me crois en toute manière hors de la portée de ces messieurs, quitte de leur protection et de leur persécution.

Je ne me repens point d'avoir été à Vienne, quoique ce fût une folie; mais cette folie m'a bien tourné. J'ai vu de près l'oripeau et les mamamouchis; cela en valait la peine, et je ne les ai vus que le temps qu'il fallait pour m'en divertir et savoir ce que c'est.

Vous avez raison de me croire heureux; mais vous avez tort de vous croire à plaindre. Vous êtes esclave; eh! qui ne l'est pas? Votre ami Voltaire a dit qu'heureux sont les esclaves in-` connus à leur maître. Ce bonheur-là vous est hoc, et c'est là peut-être de quoi vous enragez. Allez, vous êtes fou de porter envie à qui que ce soit, à l'âge où vous êtes, fort et bien portant; vous ne méritez pas les bontés que la nature a eues pour

vous.

Adieu; vous m'avez fait grand plaisir de m'écrire, et j'en aurai toujours beaucoup à recevoir de vos nouvelles.

A M. BOISSONADE,

A PARIS.

Tivoli, le 15 septembre 1816.

Il faut que vous croyiez mon affaire bien mauvaise, pour me chercher des protecteurs. Quant à moi, je ne sais ce qui en arrivera; mais je ne ferai assurément aucune réclamation; j'ai peur, si je redemandais mon livre saisi, qu'on ne me saisît moimême.

Pour votre ami, qui est si bon de s'intéresser à moi, je suis bien fâché de ne pouvoir vous envoyer un exemplaire. On m'en a pris vingt-sept, j'en avais distribué trente, il m'en reste donc trois; car, comme vous savez, il n'y en avait que soixante; et ces trois-là sont condamnés à toutes les ratures et biffures que j'y pourrai faire, si l'on réimprime quelque jour cette bagatelle corrigée. Au reste, je ne veux point en donner du tout à Son

Excellence, que je n'ai pas l'honneur de connaître. Remerciez, je vous prie, ce bon monsieur de sa bonne volonté ; mais qu'il se garde de me nommer, ni de dire jamais en tels lieux un mot qui ait trait à moi. Je n'aime point que ces gens-là sachent que je suis au monde, parce qu'ils peuvent me faire du mal, et ne me sauraient faire du bien.

Quoi qu'il en soit, je vous admire d'avoir été songer à cela. et surtout d'avoir pu trouver quelqu'un’qui voulût dire un mot en ma faveur, comme s'il n'était pas tout visible que jamais je ne serai bon à rien pour personne.

Adieu; souvenez-vous de moi, et gardez-moi toujours cette précieuse amitié.

A M. DE TOURNON,

PRÉFET A RONE.

Rome, le 18 septembre 1810.

Monsieur, voici ma réponse aux demandes de monsieur le directeur de la librairie.

J'ai trouvé dans un manuscrit à Florence un morceau inédit de Longus, et en le copiant j'ai fait à l'original une tache d'encre qui couvre environ une vingtaine de mots. J'ai donné au public d'abord ce fragment en trois langues, ensuite tout le texte de Longus revu sur les manuscrits de Florence. On ne peut arrêter la vente de ce livre, parce qu'il ne se vend point. J'en ai fait tirer cinquante exemplaires, c'est-à-dire quatre fois plus qu'il n'y a de gens en état de le lire. Je le donne aux savants et aux bibliothèques publiques. Je n'en ai point envoyé à la Laurenziana de Florence, parce que cette bibliothèque ne contient que des manuscrits.

Au reste, je ne prétends, sur ce fragment trouvé par moi, ni sur aucun livre, aucun droit de propriété; chacun peut le réimprimer. Il me reste vingt exemplaires de mon édition grecque, qu'on peut saisir comme on a fait de ma traduction à Florence; je n'y aurai nul regret, et n'en ferai aucune réclamation.

M. le directeur peut apprendre des libraires et des savants de Paris que je m'occupe de ces études uniquement pour mon

plaisir; que je n'y attache aucune importance, et n'en tire ja-mais le moindre profit. Ma coutume est de donner mes griffonnages aux libraires, qui les impriment à leurs périls et fortune; et tout ce que j'exige d'eux, c'est de n'y pas mettre mon nom. Mais cette fois j'ai cru devoir faire moi-même les frais de l'impression, ayant appris que quelques gens, assez méprisables d'ailleurs, m'accusaient de spéculation dans l'affaire de la tache d'encre ; et je pensais qu'on pourrait bien se moquer de moi d'employer ainsi mon loisir et mon argent, mais non pas en faire un sujet de persécution.

A M. BOISSONADE,

A NAPLES.

Rome, le 7 octobre 1810.

Monsieur, je viens de lire votre article dans le Journal de l'Empire, où vous parlez beaucoup trop honorablement de moi et de ma trouvaille. Vous me traitez en ami, et je pense qu'ayant eu quelques nouvelles de la petite persécution qu'on m'a suscitée à cette occasion, vous avez voulu prévenir le public en ma faveur, action d'autant plus méritoire que probablement je ne serai jamais en état de vous en témoigner ma reconnaissance, si ce n'est par des paroles. J'avais souhaité, comme vous savez, qu'il ne fût point question de moi dans les journaux. Mais aujourd'hui qu'on me fait des chicanes qui, sans m'affliger beaucoup, ne laissent pas de m'importuner, je suis fort aise de me voir loué par un homme comme vous, à qui le public doit s'en rapporter sur ces sortes de choses. Cela pourra engager les satrapes de la littérature à me laisser en paix, et c'est tout ce que je désire.

A M. CLAVIER,

A PARIS.

Rome, le 13 octobre 1810.

Monsieur, j'envoyai à Paris longtemps y a, comme dit Amyot, dix-huit exemplaires d'un beau Longus grec, dix-huit des cinquante-deux en tout que j'en ai fait tirer. C'est trop, me direzvous. Où trouver autant de gens à qui faire ce cadeau? Vous avez

raison, mais enfin il y en a, de ces dix-huit, un pour vous, et celui-là du moins sera bien placé; un pour M. Bosquillon, un pour le docteur Coray; ceux-là encore sont en bonnes mains. J'ai adressé le tout à madame Marchand, ma cousine, dont vous savez la demeure, et qui doit en être la distributrice. Voilà qui va bien jusque-là; mais le mal est que je n'ai de nouvelles ni de ma cousine ni de Longus. J'ai adressé directement à vous et à quelques personnes le morceau inédit imprimé à part. Mais je vois par votre lettre du 28 septembre, et par l'article de Boissonade dans le Journal de l'Empire, que rien n'est parvenu à Paris, ou n'a été remis à sa destination. Il faut assurément que les Italiens zélés pour la littérature aient tout fait saisir à la poste, comme ils ont fait saisir ma pauvre traduction par un ordre d'en haut. Pareil ordre est venu ici de confisquer tout de même le grec, c'est-à-dire vingt exemplaires environ qui m'en étaient demeurés. Il y en a heureusement huit ou dix dans différentes mains, et voilà madame de Humboldt qui en emporte un en Allemagne, où il sera réimprimé. Ainsi la rage italienne, secondée de toute l'iniquité des satrapes de l'intérieur, de la police et autre engeance malfaisante, n'y saurait mordre à présent. Un de ces derniers, se disant directeur de la librairie, a écrit ici au préfet une lettre fort mystérieuse, qui ne m'a été communiquée qu'en partie. J'ai répondu succinctement à ce qu'il demande; et pour conclusion je le prie de se contenter de mon livre, que je lui abandonne volontiers, trop heureux si je sauve ma personne de ses mains redoutables. Je l'assure que je ne ferai jamais aucune réclamation de mes griffonnages saisis par lui, convaincu qu'il aurait pu me saisir moi-même, et me faire pendre avec autant de justice. Je loue autant sa clémence, et suis avec grand respect son trèshumble serviteur.

J'attends impatiemment votre Archéologie. Cela me viendra fort à propos. Bonne provision pour cet hiver, que je compte passer encore ici.

Gail me paraît trop sot pour être ridicule; en le montrant au doigt vous lui ferez trop d'honneur, et à vous peu; et puis la belle matière à remuer pour vous que son dégobillage! Fi! laissez-le là. Jam fœtet.

Si j'avais su que quelqu'un songeât à répondre aux Italiens sur

« PreviousContinue »