Page images
PDF
EPUB

moi cette turlupinade, comme dit madame de Sévigné, et ne doutez jamais de mon profond respect.

Il y a bien plus à vous dire. Amyot fut un des Pères du concile de Trente; tout ce qu'il écrit est article de foi. Faîtes à présent des façons pour lire son Longus. En vérité, il n'y a point de meilleure lecture: c'est un livre à mettre entre les mains de mesdemoiselles vos filles tout de suite après le catéchisme.

[ Courier quitta Florence le 24 mars, et vint à Rome. Il ne resta en ville que peu de jours, et alla s'établir à Tivoli avec ses livres pour travailler dans la solitude, et mettre la dernière main au texte de Longus, qu'il se proposait de publier. Au mois d'août il revint à Rome pour le faire imprimer : l'édition fut faite à ses frais, et l'ouvrage tiré à cinquante-deux exemplaires seulement, qu'il envoya à ses amis et aux hellénistes de sa connaissance, français, italiens et allemands. ]

A M. LAMBERTI,

A MILAN.

Rome, le 9 mai 1840.

Je ne m'étonne pas qu'on vous ait bien reçu à Paris, avec ce que vous y portiez, et connu comme vous l'êtes en ce pays-là, où l'on aime les gens tels que vous. Cet accueil vous doit engager à y retourner, et ainsi j'espère que nous pourrons nous y revoir quelque jour.

Si les Molini de Florence ne vous ont point envoyé la brochure qu'ils m'ont promis de vous faire tenir, écrivez-leur, ou faites-la réclamer par M. Fusi. Il y a un exemplaire pour vous, un pour Bossi, et un pour le sénateur Testi.

La tache d'encre au manuscrit est peu de chose, et les sottises qu'on a mises à ce sujet dans les journaux ne méritent pas que Renouard s'en inquiète si fort. Un papier qui me servait à marquer dans le volume l'endroit du supplément s'est trouvé, je ne sais comment, barbouillé d'encre en dessous, et, s'étant collé au feuillet, en a effacé une vingtaine de mots dans presque autant de lignes voilà le fait. Mais le bibliothécaire est un certain Furia, qui ne se peut consoler, ni me pardonner d'avoir fait cette petite découverte dans un manuscrit qu'il a eu longtemps La traduction de Daphnis et Chloé, imprimée à Florence.

entre les mains, et dont il a même publié différents extraits: et voilà la rage.

Vos notes sur Homère seront assurément excellentes, et pour ma part je suis fort aise que vous les vouliez achever. Mais, de grâce, après cela ne penserez-vous point tout de bon à ces Argonautes? Songez que quatre beaux vers, tels que vous les savez faire, valent mieux que quatre volumes denotes critiques. Assez de gens feront des notes, et même de bonnes notes; mais qui saura rendre dans nos langues modernes les beautés de l'antique? Il faut pour cela les sentir d'abord, c'est-à-dire avoir du goût, et puis entendre les textes, et puis savoir sa propre langue; trois choses rares séparément, mais qui ne se trouvent presque jamais unies. Et de fait, excepté votre OEdipe, avonsnous, je dis nous Français et Italiens, une bonne traduction d'un poëme grec? Celui d'Apollonius intéresserait davantage le public, et aurait plus de lecteurs que la tragédie. Le sujet en est beau, les détails admirables, et l'étendue telle, que vous en pouvez terminer avec soin toutes les parties, sans vous engager dans un travail infini. En un mot, c'est une très-belle chose à faire, et que vous seul pouvez faire. Ne me venez point dire: Ce ne sera qu'une traduction. La toile et les principaux traits, voilà ce que vous empruntez; mais les couleurs seront de vous. Vous en avez une provision de couleurs, et des plus belles ; faites-en donc quelque chose. Je vous dirai plus: j'aime mieux cela qu'un poëme sur un sujet neuf, entreprise que je ne conseillerais à personne.

Mon dessein est toujours de vous aller voir avant les grandes chaleurs mais n'y comptez pas; car je change souvent d'idée, n'en ayant de fixe que celle de vous aimer, et de vous faire traduire Apollonius. Adieu. Je vous recommande cette toison. Chantez-nous un peu de la toison. Si ce sujet-là ne vous anime, cher Lamberti, qu'êtes-vous devenu?

A M. MILLINGEN,

A ROME.

Tivoli, le dimanche 13 mai 1810.

Mardi, mardi; de grâce, monsieur, accordez-moi jusqu'à

mardi en faveur de la postérité. Madame, obtenez, je vous en prie, de M. Millingen que nous ne partions que mardi, c'est-àdire mercredi ; car je ne puis être à Rome que mardi au soir.

Alexandre, sur le point de prendre je ne sais quelle ville, suspendit l'assaut jusqu'à ce qu'un peintre eût achevé son tableau. Alors apparemment on n'était pas pressé de toucher les contributions. Mais enfin ce grand homme se priva pendant huit jours du plaisir de massacrer. Passez-vous jusqu'à mardi dụ plaisir de courir la poste.

N. B. Il paraît que M. Millingen n'attendit pas, car ce voyage de Courier à Naples n'eut pas lieu.

A MADAME DE HUMBOLDT,

A ROME.

Tivoli, le 16 mai 1840.

Madame, ne sachant si j'aurai le plaisir de vous voir avant votre départ, je vous supplie de vouloir bien emporter à Vienne un petit volume qui vous sera remis avec ma lettre. C'est une vieille traduction d'un vieil auteur en vieux français, que j'ai complétée de quelques pages et réimprimée, non pour le public, mais pour mes amis amateurs de ces éruditions, et sans balancer j'en ai destiné le premier exemplaire à M. de Humboldt. J'ai cacheté le paquet, cet ouvrage n'étant pas de nature à être lu de tout le monde. Il n'y a rien contre l'État, pas le moindre mot que l'Église puisse taxer d'hérésie; mais une mère pourrait n'être pas bien aise que ce livre tombât dans les mains de sa fille, quoique l'auteur grec, dans sa préface, déclare avoir eu le dessein d'instruire les jeunes demoiselles, apparemment pour épargner cette peine aux maris.

Ne remarquez-vous point, madame, comme je vous poursuis sans pouvoir vous atteindre? Je pensais vous trouver à Rome; mais, en y arrivant, j'apprends que vous êtes partie pour Naples, et quand je vais à Naples vous revenez à Rome, d'où vous repartirez sans doute la veille de mon retour.

Ce guignon-là, j'espère, ne me durera pas toujours; et si vous me fuyez ici, je vous joindrai peut-être quelque jour à Berlin;

car dans mes rêves de voyages je veux aller partout, mais là surtout où je puis espérer de vous voir, madame, et de voir une famille comme la vôtre.

A M. RENOUARD,

A ROME.

Tivoli, le 24 nai 1810.

Pour vous mettre l'esprit en repos sur la grande affaire de la tache d'encre, je ferai imprimer à Naples, où je me rends dans peu de jours, le morceau inédit, en forme de lettre à un de mes amis. Je marquerai d'un caractère particulier les mots effacés par ma faute dans le bouquin original, et j'y joindrai une note à peu près en ces termes : Les majuscules indiquent des mots qu'on ne peut plus lire aujourd'hui dans le manuscrit, parce qu'un papier qui servait de marque en cet endroit, s'étant trouvé barbouillé d'encre, y fit, en se collant au feuillet, une tache indélébile, etc. Cela vaudra mieux qu'une apologie dans les journaux. J'en reviens toujours à vous dire qu'il ne faut jamais se prendre de bec avec la canaille; mais si vous voulez à toute -force faire à ces gredins l'honneur de leur répondre, attendez du moins ma demi-feuille de Naples, qui vous donnera beau jeu. Et sur ce, je prie Dieu qu'il vous ait en sa sainte garde.

A M. BOISSONADE,

A PARIS.

Tivoli, le 25 mai 1810.

Ne vous trompez-vous point, monsieur? est-ce bien M. Coray qui a donné un Longus? ou plutôt ne me nommez-vous point Coray pour Visconti, qui en effet a soigné l'édition grecque de Didot? Marquez-moi, je vous prie, ce que j'en dois croire, et ce que c'est que ce Longus de Coray, s'il existe.

Je sais bien que la préface du petit stéréotype donné par Renouard est de M. Clavier; mais je ne puis croire qu'il ait eu aucune part à l'édition, qui, en vérité, ne vaut rien. Ce n'est point là le texte d'Amyot; du moins n'est-ce pas celui que cite souvent Villoison, qui sans doute avait sous les yeux l'édition originale.

Comment voulez-vous que je connaisse celle de M. Falconnet? Hélas! je ne songeai de ma vie à jeter un regard sur Longus, jusqu'à ce que ce manuscrit de Florence, me tombant sous la main, me donnât l'envie et le moyen de compléter la version d'Amyot. Je n'avais donc nulle provision; et, sans M. Renouard, qui me procura Schoeffer et Villoison, j'aurais tout fait sur la seule édition de Dutems que je portais avec moi.

Vous avez bien raison de louer M. Schoffer; c'est un fort habile homme. Aussi l'ai-je suivi en beaucoup d'endroits où j'ai rapetassé Amyot. Au reste, vous voyez, monsieur, ce que ce pouvait être qu'un pareil travail fait absolument sans livres, et combien il doit y avoir à limer et rebattre avant de le livrer tout à fait au public. J'y songerai quelque jour, si Dieu me prête vie; et c'est alors qu'il faudra tout de bon m'aider de vos lumières.

Je crois que vous-même ne pourriez lire les endroits de Chariton effacés dans le manuscrit. Il y a bien aussi quelques mots par-ci par-là qui ont disparu dans le supplément de Longus. Mais partout le sens s'aperçoit, et les savants n'auront nulle peine à deviner ce qui manque. Pour moi, je le donne tel qu'il est, sansle moindre changement; car je tiens que les éditions doivent en tout représenter fidèlement les manuscrits. Cela s'imprimera à Paris, s'il plaît à Dieu et à Didot.

Cette lettre critique de M. Bast à vous est toute pleine d'excellentes choses. Je l'ai trouvée ici par hasard, et lue avec grand plaisir. Quelqu'un le pourra blâmer d'avoir écrit en français sur de telles matières. Moi je goûte fort cette méthode, qui me facilite la lecture; et je voudrais qu'il continuât à vous faire ainsi part de ses observations.

Il me semble après tout que vous êtes content de ma petite drôlerie, ou au moins du supplément, car vous ne dites rien du

reste.

Je ne reconnais point, pour moi, quand on se moque',

et je prends au pied de la lettre tout ce que vous me dites d'obligeant; vous êtes juge en ces matières. Je m'en tiens à votre opinion, sans vouloir examiner s'il n'y entre point un peu de

Molière, École des Femmes.

« PreviousContinue »