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si, vous lui feriez faire ce que vous voudriez. Je ne vous demande point de ces efforts qui coûtent trop à la vertu : cela est bon lorsqu'il s'agit de la tête d'un mari, comme dans le conte de Voltaire. Mon placet réussira, si vous l'appuyez seulement d'un regard et d'un sourire. Que vous êtes heureuses, vous autres belles, de faire des heureux à si peu de frais!

Ce que vous me marquez de mon affaire avec Arnou ne me rassure pas autant que vous l'imaginez. Je ne puis le voir, lui, parce qu'il est à Naples, c'est-à-dire à cent lieues de moi; et ces cent lieues sont plus difficiles à faire que mille en tout autre pays, à cause des voleurs qui se sont établis sur toutes les routes, en sorte que nul ne passe s'il n'est plus fort qu'eux. On n'y arrête pourtant jamais ni diligences ni chaises de poste; je vous laisse à deviner pourquoi.

Si mademoiselle Eugénie a déjà pris un autre nom par-devant notaire, je lui en fais mon compliment, et bien plus encore à celui qui a cueilli cette jolie rose. Mes respects, s'il vous plaît, à madame Audebert. Vous savez que je fus toujours son admirateur; mais elle ne le sait peut-être pas; il est temps de le lui apprendre.

Excusez le chiffon sur lequel je vous écris. Rien n'est plus rare que le papier en ce pays-ci, où tout se trouve, hors le nécessaire.

A M. LE GÉNÉRAL REYNIER.

Foggia, le 17 février ( 807.

Mon général, avec le tableau de mes misères, que vous pouvez voir ci-joint, je vais depuis trois mois de porte en porte, implorant le secours d'un chacun; mais la charité est éteinte, on me dit : Dieu vous assiste, et on me tourne le dos.

Quelqu'un pourtant me fait espérer ( car il y a encore de bonnes âmes), si vous voulez bien certifier que par votre ordre j'ai pris la poste pour aller et revenir de Reggio à Tarente, voyage que je fis deux fois, comme vous savez; sur ce certificat, on dit qu'on me payera quelque chose. Il est très-vrai, mon général, que vous m'avez donné cet ordre; mais quand cela serait faux, comme il s'agit d'une aumône et de soulager un malheureux, ce

seul motif sanctifie tout, et vous ne devriez faire aucun scrupule de mentir par charité. Pour donner aux pauvres, saint François volait sur les grands chemins.

Notez, je vous prie, mon général, que ce certificat sera d'accord avec un autre certificat de vous, qui atteste fort inutilement que j'ai perdu trois chevaux laissés à Reggio, parce que j'étais parti en poste pour Tarente. Bon Dieu! que de certificats! et quel style! Je devrais bien recommencer tout ceci pour vous écrire plus décemment et plus intelligiblement; mais je compte à la fois sur votre indulgence et sur votre pénétration: deux choses dont je vous puis donner de bons certificats.

[A cette lettre se trouvait joint un état de pertes, imprimé à Naples en janvier 1807, montant à plus de 12,000 fr., non compris les frais de poste dont il est ici question.]

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Monseigneur, si Votre Excellence daigne jeter les yeux sur l'état ci-joint, elle y verra que mes pertes réelles dans la dernière campagne montent à 12,247 francs, valeur d'environ trois années de mes appointements. Mes états de perte, réduits à la somme que la loi m'accorde, ont été remis en bonne forme à M. l'ordonnateur en chef de l'armée, il y a plus de six mois. J'ignore ce qu'il en a fait, et ce que j'en puis espérer. Peu d'officiers de mon grade ont perdu autant que moi; nul n'a servi avec plus de zèle. Plusieurs ont été remboursés intégralement. Sans prétendre à la même faveur, j'ose supplier Votre Excellence de vouloir bien considérer :

1o Que mes appointements me sont dus depuis le mois de mars 1806:

2° Que depuis le mois de septembre dernier je ne touche aucune ration ni en argent, quoique officier attaché à l'étatmajor d'artillerie, ni en nature, quoique faisant partie d'un corps;

3° Que je n'ai encore jamais rien reçu de mon traitement de la Légion d'honneur;

Qu'enfin mes ressources s'épuisent, et que, loin de pouvoir me remonter de manière à servir utilement, j'ai de la peine à subsister.

Votre Excellence trouvera ci-joint les pièces qui prouvent ces assertions.

A M. COLBERT,

COMMISSAIRE ORDONNATEUR.

Foggia, le 22 février 1807.

Mon cher ordonnateur, je suppose que vous êtes maintenant à Naples, où l'on vous attendait lorsque j'en suis parti; vous vous divertissez, et ne songez guère à moi, qui m'ennuie fort, et pense souvent à vous, bien fâché de ne plus vous voir. Voilà une douceur à laquelle vous ne sauriez vous dispenser de répondre.

C'est donc pour vous dire que vous m'écriviez. Joignez à votre lettre une petite note de la petite somme que vous avez à moi; chose utile, nécessaire même, en cas de mort ou de départ de votre part ou de la mienne; vous savez ce que c'est que de nous. Si on meurt de plaisir et d'ennui, nous sommes tous deux en grand péril.

Il y avait dans ce pays-ci beaucoup de brigands, même avant que nous y vinssions; le nombre en augmente tous les jours. On détrousse les passants, on fait le contraire aux filles; on vole, on viole, on massacre ; cet art fleurit dans la Pouille autant pour le moins qu'en Calabre, et devient une ressource honnête pour les moines supprimés, les abbés sans bénéfices, les avocats sans cause, les douaniers sans fraude, et les jeunes gens sans argent. Tout voyageur qui en a, ou paraît en avoir, passe mal son temps sur les routes. Pour moi, dont l'équipage fait plus de pitié que d'envie, je prends peu d'escorte, et voyage en ami de tout le monde.

C'est pour vous dire enfin que je vous embrasse, et me recom. mande à votre bon souvenir. J'embrasse aussi le sous-intendant. et lui souhaite de devenir quelque jour surintendant, pour ne point trouver de cruelles.

Jamais surintendant trouva-t-il de cruelles?

C'est Boileau qui a dit cela; et il parlait, je crois, d'un de

vos aïeux qui était surintendant; dont bien vous prend. De vos nouvelles bientôt, je vous prie; ou si paresse vous lie les doigts, faites-moi écrire par l'ami commun; supposé que les amis comme lui puissent jamais être communs... Au diable le calembour! Dieu vous garde.

AL SIGNOR FRANCESCO DANIELE,

PRIVATO BIBLIOTECARIO DEL RE DI NAPOLI, etc.

Foggia, 24 marzo 1807,

Si vales bene est, ego valeo. Valeo si; ma ho avuto febbri e raffredori, ed altri incommodi che m'hanno insino a questo momento tolto il piacere di potervi scrivere. Minacciato tuttavia prima che assalito da si fatti malanni, ho presto dato di piglio all'usata medicina, mangiare poco e faticare assai; con questa panacea, e l'ajuto di Dio, mi son guarito di modo che sto come una lasca; e, se sapessi che di voi fosse lo stesso, sarei contento quanto può essere un galant'uomo. Qui à Foggia, cio è, in terra latronum, pullulano i ladri, ed è un' arte il rubar così onorata e profittevole, e senza pericoli, che tutti la voglion fare; chi collo schioppo, chi colla penna, e meglio anche al tavolino che alla macchia. Gran fatica si prepara ai futuri Tesei. Ma parliamo d'altro. Questa brutta commissione impostami per commando regum timendorum in proprios greges non va avanti, così non posso più sperar di rivedervi cum hirundine prima; anzi dubito e temo di dover più e più mesi stare lontano da voi, il che non era niente necessario a farmi gustar la vostra veramente aurea conversazione. Affè di Dio, don Ciccio mio, dacchè vi lasciai non ho trovato con chi barattar due parole. Qui vengo a cercar mulli, ma sor tutti asini che in vederli mi fanno esclamar: dov'è il caro don Ciccio qui turpi se cernit honestum? Dov'è il padre abate che dovea venir con me? Ma quanto fù più accorto a non partirsi mai da voi; e don Giuseppe nostro coll'amabile consorte sua; e donna Giulia, tutti vi piango; mi pare mille anni di rivedervi tutti. Ma quando sarà, Dio lo sa.

Ora, che vi pare del mio scriver toscano? per me, credo scrivervi crusche volissime volmente; ma se a caso, questo mio ciçalare non fosse proprio di nessuna lingua per voi intelligibile.

basta, v'è noto l'affetto mio, e se non troppo m'intenderete, indovinerete almen quanto vorrei, ma non so significarvi meglio. Vale, fac ut me ames, et valetudinem tuam diligentissime

cures.

A MADAME PAULINE ARNOU,

A PARIS.

Lecce, le 25 mai 1807.

Comment vous portez-vous, madame? voilà ce que je vous supplie de m'apprendre d'abord. Ensuite marquez-moi, s'il vous plaît, ce que vous faites, où vous êtes, en quel pays et de quelle manière vous vivez, et avec quelles gens. Vous pourrez trouver ces questions un peu indiscrètes; moi je les trouve toutes simples, et compte bien que vous y répondrez avec cette même bonté dont vous m'honoriez autrefois. Monsieur Arnou, que j'ai vu à Naples, m'a donné de votre situation des nouvelles qui, à tout prendre, m'ont paru satisfaisantes. Avec de la santé, de la raison et des amis éprouvés, ce que vous avez sauvé des griffes de la chicane vous doit suffire pour être heureuse. Je ne sais si vous avez besoin qu'on vous prêche cette philosophie; mais moi, qui n'ai pas trop à me louer de la fortune, je ne voudrais qu'être entre vous et madame Colins; je crois que nous trouverions pour rire d'aussi bonnes raisons que jamais.

Dès à présent, si j'étais sûr que vous voulussiez vous divertir, je vous ferais mille contes extravagants, mais véritables, de ma vie et de mes aventures. J'en ai eu de toutes les espèces, et il ne me manque que de savoir en quelle disposition ma lettre vous trouvera, pour vous envoyer un récit, triste ou gai, tragique ou comique, dont je serais le héros. En un mot, madame, mon histoire (entendez ceci comme il faut) fait rire et pleurer à volonté. Vous m'en direz votre avis quelque jour; car je me flatte toujours de vous revoir, quoiqu'il ne faille pour cela rien moins qu'un accord général de toutes les puissances de l'Europe. Vous revoir, madame, vous, madame Audebert, madame Colins, madame Saulty, et ce que j'ai pu connaître de votre aimable famille ; cette idée, ou plutôt ce rêve, me console dans mon exil, et c'est le dernier espoir auquel je renoncerai.

Depuis quelques mois nous ne nous battons plus, et s'il faut

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