Page images
PDF
EPUB

auteurs de ces violences ont assurément des motifs autres que l'intérêt public. Je n'entre point dans cet examen ; j'ai voulu seulement vous faire connaître nos maux, et par vous, s'il se peut, en obtenir la fin. Mais je ne vous ai pas encore tout dit, Messieurs.

Nos dix détenus, soupçonnés d'avoir mal parlé, le tribunał de Tours déclarant qu'il n'était pas juge des paroles, furent transférés à Orléans. Pendant qu'on les traînait de prison en prison, d'autres scènes se passaient à Luynes. Une nuit, on met le feu à la maison du maire. Il s'en fallut peu que cette famille, respectable à beaucoup d'égards, ne pérît dans les flammes. Toutefois les secours arrivèrent à temps. Là-dessus gendarmes de marcher on arrête, on emmène, on emprisonne tous ceux qui pouvaient paraître coupables. La justice cette fois semblait du côté du maire; il soupçonnait tout le monde, peut-être avec raison. Je ne vous fatiguerai point, Messieurs, des détails de ce procès, que je ne connais pas bien, et qui dure encore. J'ajouterai seulement que, des dix premiers arrêtés, on en condamna deux à la déportation (car il ne fallait pas que l'autorité eût tort); deux sont en prison; six renvoyés sans jugement, revinrent au pays, ruinés pour la plupart, infirmes, hors d'état de reprendre leurs travaux. Ceux-là, il est permis de croire qu'ils n'avaient pas même mal parlé. Dieu veuille qu'ils ne trouvent jamais l'occasion d'agir?

Mais vous allez croire Luynes un repaire de brigands, de malfaiteurs incorrigibles, un foyer de révolte, de complots contre l'État. Il vous semblera que ce bourg, bloqué en pleine paix, surpris par les gendarmes à la faveur de la nuit, dont on emmène dix prisonniers, et où de pareilles expéditions se renouvellent souvent, ne saurait être peuplé que d'une engeance ennemie de toute société. Pour en pouvoir juger, Messieurs, il vous faut remarquer d'abord que la Touraine est, de toutes les provinces du royaume, non-seulement la plus paisible, mais la seule peutêtre paisible depuis vingt-cinq ans. En effet, où trouverez-vous, je ne dis pas en France, mais dans l'Europe entière, un coin de terre habitée, où il n'y ait eu, durant cette période, ni guerre, ni proscriptions, ni troubles d'aucune espèce? C'est ce qu'on peut dire de la Touraine, qui, exempte à la fois des discordes

civiles et des invasions étrangères, sembla réservée par le ciel pour être, dans ces temps d'orage, l'unique asile de la paix. Nous avons connu par ouï-dire les désastres de Lyon, les horreurs de la Vendée, et les hécatombes humaines du grand prêtre de la raison, et les massacres calculés de ce génie qui inventa la grande guerre et la haute police; mais alors, de tant de fléaux, nous ne ressentions que le bruit, calmes au milieu des tourmentes, comme ces oasis entourées des sables mouvants du désert. Que si vous remontez à des temps plus anciens, après les funestes revers de Poitiers et d'Azincourt, quand le royaume était en proie aux armées ennemies, la Touraine, intacte, vierge, préservée de toute violence, fut le refuge de nos rois. Ces troubles, qui, s'étendant partout comme un incendie, couvrirent la France de ruines, durant la prison du roi Jean, s'arrêtèrent aux campagnes qu'arrosent le Cher et la Loire. Car tel est l'avantage de notre position; éloignés des frontières et de la capitale, nous sentons les derniers les mouvements populaires et les secousses de la guerre. Jamais les femmes de Tours n'ont vu la fumée d'un camp.

Or, dans cette province, de tout temps si heureuse, si pacifique, si calme, il n'y a point de canton plus paisible que Luynes. Là, on ne sait ce que c'est que vols, meurtres, violences; et les plus anciens de ce pays, où l'on vit longtemps, n'y avaient vu ni prévôts ni archers, avant ceux qui vinrent, l'an passé, pour apprendre à vivre à Fouquet. Là, on ignore jusqu'aux noms de factions et de partis; on cultive ses champs; on ne se mêle d'autre chose. Les haines qu'a semées partout la révolution n'ont point germé chez nous, où la révolution n'avait fait ni victimes ni fortunes nouvelles. Nous pratiquons surtout le précepte divin d'obéir aux puissances; mais, avertis tard des changements, de peur de ne pas crier à propos : Vive le roi! vive la Ligue! nous ne crions rien du tout; et cette politique nous avait réussi, jusqu'au jour où Fouquet passa devant le mort sans ôter son chapeau. A présent même, je m'étonne qu'on ait pris ce prétexte de cris séditieux pour nous persécuter tout autre eût été plus plausible; et je trouve qu'on eût aussi bien fait de nous brûler comme entachés de l'hérésie de nos ancêtres, que de nous déporter ou nous emprisonner comme séditieux.

Toutefois vous voyez que Luynes n'est point, Messieurs, comme vous l'auriez pu croire, un centre de rébellion, un de ces repaires qu'on livre à la vengeance publique, mais le lieu le plus tranquille de la plus soumise province qui soit dans tout le royaume. Il était tel, du moins, avant qu'on y eût allumé, par de criantes iniquités, des ressentiments et des haines qui ne s'éteindront de longtemps. Car je dois vous le dire, Messieurs, ce pays n'est plus ce qu'il était; s'il fut calme pendant des siècles, il ne l'est plus maintenant. La terreur à présent y règne, et ne cessera que pour faire place à la vengeance. Le feu mis à la maison du maire, il y a quelques mois, vous prouve à quel degré la rage était alors montée; elle est augmentée depuis, et cela chez des gens qui, jusqu'à ce moment, n'avaient montré que douceur, patience, soumission à tout régime supportable. L'injustice les a révoltés. Réduits au désespoir par ces magis. trats mêmes, leurs naturels appuis, opprimés au nom des lois qui doivent les protéger, ils ne connaissent plus de frein, parce que ceux qui les gouvernent n'ont point connu de mesure. Si le devoir des législateurs est de prévenir les crimes, hâtez-vous, Messieurs, de mettre un terme à ces dissensions. Il faut que votre sagesse et la bonté du roi rendent à ce malheureux pays le calme qu'il a perdu.

Paris, le 10 décembre 1816.

LETTRES

AU RÉDACTEUR DU CENSEUR.

(1819-1820.)

LETTRE PREMIÈRE.

Véretz, le 10 juillet 1819.

Vous vous trompez, Monsieur, vous avez tort de croire que mon placet imprimé, dont vous faites mention dans une de vos Le placet aux ministres.

feuilles, n'a produit nul effet. Ma plainte est écoutée. Sans doute, comme vous le dites, il est fâcheux pour moi que l'innocence de ma vie ne puisse assurer mon repos; mais c'est la faute des lois, non celle des ministres. Ils ont écrit à leurs agents comme je le pouvais désirer, et plût à Dieu qu'ils eussent écrit de même aux juges, quand j'avais des procès, et à l'Académie, quand j'étais candidat. Cela m'eût mieux valu que tous les droits du monde, pour avoir le fauteuil et pour garder mon bien. Il faut en convenir, de trois sortes de gens auxquels j'ai eu affaire depuis un certain temps, savants, juges, ministres, je n'ai pu vraiment faire entendre raison qu'à ceux-ci. J'ai trouvé les ministres incomparablement plus amis des belles-lettres que l'Académie de ce nom, et plus justes que la justice. Ceci soit dit sans déroger à mes principes d'opposition.

Vous nous plaignez beaucoup, nous autres paysans, et vous avez raison, en ce sens que notre sort pourrait être meilleur. Nous dépendons d'un maire et d'un garde-champêtre qui se fâchent aisément. L'amende et la prison ne sont pas des bagatelles. Mais songez donc, Monsieur, qu'autrefois on nous tuait pour cinq sous parisis. C'était la loi. Tout noble ayant tué un vilain devait jeter cinq sous sur la fosse du mort. Mais les lois libérales ne s'exécutent guère, et la plupart du temps on nous tuait pour rien. Maintenant il en coûte à un maire sept sous et demi de papier marqué pour seulement mettre en prison l'homme qui travaille, et les juges s'en mêlent. On prend des conclusions, puis on rend un arrêté conforme au bon plaisir du maire et du préfet. Vous paraît-il, Monsieur, que nous ayons peu gagné en cinq ou six cents ans? Nous étions la gent corvéable, taillable et tuable à volonté ; nous ne sommes plus qu'incarcérables. Est-ce assez direz-vous? Patience; laissez faire; encore cinq ou six siècles, et nous parlerons au maire tout comme je vous parle; nous pourrons lui demander de l'argent, s'il nous en doit, et nous plaindre, s'il nous en prend, sans encourir peine de prison.

[ocr errors]

Toutes choses ont leurs progrès. Du temps de Montaigne, un vilain, son seigneur le voulant tuer, s'avisa de se défendre. Chacun en fut surpris, et le seigneur surtout, qui ne s'y attendait pas, et Montaigne qui le raconte. Ce manant devinait les droits de l'homme. Il fut pendu, cela devait être. Il ne faut pas devancer son siècle.

COURIER.

Sous Louis XIV, on découvrit qu'un paysan était un homme, ou plutôt cette découverte, faite depuis longtemps dans les cloîtres par de jeunes religieuses, alors seulement se répandit, et d'abord parut une rêvèrie de ces bonnes sœurs, comme nous l'apprend la Bruyère. Pour des filles cloîtrées, dit-il, un paysan · est un homme. Il témoigne là-dessus combien cette opinion lui semble étrange. Elle est commune maintenant, et bien des gens pensent sur ce point tout comme les religieuses, sans en avoir les mêmes raisons. On tient assez généralement que les paysans sont des hommes. De là à les traiter comme tels, il y a loin encore. H se passera longtemps avant qu'on s'accoutume, dans la plupart de nos provinces, à voir un paysan vêtu, semer et recueillir pour lui; à voir un homme de bien posséder quelque chose. Ces nouveautés choquent furieusement les propriétaires; j'entends ceux qui pour le devenir n'ont eu que la peine de naître.

LETTRE II.

PROJET D'AMÉLIORATION DE L'AGRICULTURE,

PAR J. BUJAULT,

Avocat, à Melle, département des Deux-Sèvres.

Brochure de cinquante pages où l'on trouve des calculs, des remarques, des idées dignes de l'attention de tous ceux qui ont étudié cette matière. L'auteur aime son sujet, le traite en homme instruit, et dont les connaissances s'étendent au delà. Il ne tiendrait qu'à lui d'approfondir les choses qu'il effleure en passant; plein de zèle d'ailleurs pour le bonheur public et la gloire de l'État, il conseille au gouvernement d'encour ager l'agriculture. Il veut qu'on dirige la nation vers l'économie rurale, qu'on instruise les cultivateurs, et il en indique les moyens. Rien n'est mieux pensé ni plus louable. Mais, avec tout cela, il ne contentera pas les gens, en très-grand nombre, qui sont persuadés que toute influence du pouvoir nuit à l'industrie, et qui croient gouvernement synonyme d'empêchement, en ce qui concerne les arts. Ils diront à M. Bujault: Laissez le gouvernement perce

« PreviousContinue »