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entend sortir un carrosse ou des chevaux de l'écurie; mais qui diantre entendit jamais sortir des paroles? Et que ne dit-il : Je les ai vues sortir, ces paroles, de la bouche de mon bon ami qui a huit cent mille hommes sur pied? Cela serait plus positif, et l'on douterait moins de sa haute faveur à la cour de Russie.

Notez qu'il avait lu cette belle pièce aux dames; et quand on lui parla d'en retrancher quelque chose, avant de la lire à la chambre, il n'en voulut rien faire, se fondant sur l'approbation de madame Récamier. Or, dites maintenant qu'il n'y a rien de nouveau. Avait-on vu cela? Nous citons les Anglais : est-ce que M. Canning, voulant parler aux chambres de la paix, de la guerre, consulte les ladys, les mistriss de la cité?

Les gens de lettres, en général, dans les emplois perdent leur talent, et n'apprennent point les affaires. Bolingbroke se repentit d'avoir appelé près de lui Addison et Steele.

– Socrate, avant Boissy d'Anglas, refusa, au péril de sa vie, de mettre aux voix du peuple assemblé une proposition illégale. Ravez n'a point lu cela; car il eût fait de même dans l'affaire de Manuel. Il est vrai que Socrate, présidant les tribus, n'avait ni traitement de la cour, ni gendarmerie à ses ordres. Manuel a été grand quatre jours; c'est beaucoup. Que faudrait-il qu'il fit à présent? Qu'il mourût, afin de ne point déchoir.

— D'Arlincourt est venu à la cour, et a dit : Voilà mon Solitaire et mes autres romans, qui n'en doivent guère au Christianisme de Chateaubriand. Mon galimatias vaut le sien; faitesmoi conseiller d'État au moins. On ne l'a pas écouté. De rage, il quitte le parti, et se fait libéral. C'est le maréchal d'Hocquincourt, jésuite ou janséniste, selon l'humeur de sa maîtresse et l'accueil qu'il reçoit au Louvre.

- Ravez maudit son sort, se donne à tous les diables. Il a fait ce qu'il a pu, dans l'affaire de Manuel, pour contenter le parti jésuite : il n'a point réussi. Ceux qu'il sert lui reprochent de s'y être mal pris, disent que c'est un sot, qu'il devait éviter l'esclandre, et qu'avec un peu de prévoyance, il eût empêché l'homme d'entrer, ou l'eût fait sortir sans vacarme. Fâcheuse condition que celle d'un valet! Sosie l'a dit : Les maîtres ne sont jamais contents. Ravez veu trop bien faire. Hyde de Neuville va mieux, et l'entend à merveille. Je vois, je vois là-bas les ministres de

mon roi. Il a son roi, comme Pardessus : Mon roi m'a pardonné. Voilà le vrai dévouement. Le dévouement doit être toujours un peu idiot. Cela plaît bien plus à un maître que ces gens qui tranchent du capable.

Serons-nous capucins? ne le serons-nous pas? Voilà aujourd'hui la question. Nous disions hier: Serons-nous les maîtres du monde?

Ce matin, me promenant dans le Palais-Royal, M..ll...rd passe, et me dit: Prends garde, Paul-Louis, prends garde; les cagots te feront assassiner. Quelle garde veux-tu, lui dis-je, que je prenne? Ils ont fait tuer des rois; ils ont manqué frère Paul, l'autre Paul, à Venise, Fra Paolo Sarpi. Mais il l'échappa belle.

- Fabvier me disait un jour : Vos phraseurs gâtent tout: voulant être applaudis, ils mettent leur esprit à la place du bon sens, que le peuple entendrait. Le peuple n'entend point la pompeuse éloquence, les longs raisonnements. Il vous paraît, lui dis-je, aisé de faire un discours pour le peuple; vous croyez le bon sens une chose commune, et facile à bien exprimer.

Le vicomte de Foucault nous parle de sa race. Ses ancêtres, dit-il, commandaient à la guerre. Il cite leurs batailles et leurs actions d'éclat. Mais la postérité d'Alphane et de Bayard, quand ce n'est qu'un gendarme aux ordres d'un préfet, ma foi, c'est peu de chose. Le vicomte de Foucault ne gagne point de batailles; il empoigne les gens. Ces nobles, ne pouvant être valets de cour, se font archers ou geôliers. Tous les gardes du corps veulent être gendarmes.

Les Mémoires de madame Campan méritent peu de confiance. Faits pour la cour de Bonaparte, qui avait besoin de leçons, ils ont été revus depuis par des personnes intéressées à les altérer. L'auteur voit tout dans l'étiquette, et attribue le renversement de la monarchie à l'oubli du cérémonial. Bien des gens sont de cet avis. Henri III fonda l'étiquette, et cependant fut assassiné. On négligea quelque chose apparemment ce jour-là. L'étiquette rend les rois esclaves de la cour.

Dans ces Mémoires, il est dit qu'une fille de garde-robe, sous madame Campan femme de chambre, avait dix-huit mille francs de traitement; c'est trente-six mille aujourd'hui. Aussi tout le

monde voulait être de la garde-robe. Que de gens encore passent la vie à espérer de tels emplois! Montaigne quelque part se moque de ceux qui, de son temps, s'adonnaient à l'agriculture et à ce qu'il appelle ménage domestique. Allez, disait-il, chez les rois, si vous voulez vous enrichir. Et Démosthène : Les rois, dit-il, font l'homme riche en un mot, et d'un seul mot; chez vous, Athéniens, cela ne se peut, il faut travailler ou hériter. Qu'on mette à Genève un roi avec un gros budget, chacun quittera l'horlogerie pour la garde-robe; et comme les valets du prince ont des valets, qui eux-mêmes en ont d'autres, peuple se fait laquais. De là l'oisiveté, la bassesse, tous les vices, et une charmante société.

un

Madame Campan fait de la reine un modèle de toute vertu; mais elle en parlait autrement; et l'on voit dans O'Meara ce qu'elle en disait à Bonaparte; comme, par exemple, que la reine avait un homme dans son lit la nuit du 5 au 6 octobre; et que cet homme, en se sauvant, perdit ses chausses, qui furent trouvées par elle, madame Campan. Cette histoire est un peu suspecte. M. de la Fayette ne la croit point. Bonaparte a menti, ou madame Campan.

Elle écrit mal, et ne vaut pas madame de Motteville, qui était aussi femme de chambre. Madame du Hausset, autre femme de chambre, va paraître. On imprime ses Mémoires très-curieux. Ce sont là les vrais historiens de la monarchie légitime.

-Quelqu'un montre une lettre de M. Arguelles, où sont ces propres mots : Votre roi nous menace; il veut nous envoyer un prince et cent mille hommes, pour régler nos affaires selon le droit divin. Voici notre réponse : Qu'il exécute la Charte, ou nous lui enverrons Mina et dix mille hommes avec le drapeau tricolore; qu'il chasse ses émigrés et ses vils courtisans, parce que nous craignons la contagion morale.

-Horace va faire un tableau de la scène de Manuel. Mais quel moment choisira-t-il? Celui où Foucault dit : Empoignez le député; - ou bien quand le sergent refuse? j'aimerais mieux ceci. Car, outre que le mot empoignez ne se peut peindre (grand dommage sans doute), il y aurait là deux ignobles personnages, Foucault et le président, qui, à dire vrai, n'y était pas, mais auquel on penserait toujours. Dans cette composition, l'odieux

dominerait, et cela ne saurait plaire, quoi qu'en dise Boileau. L'instant du refus, au contraire, offre deux caractères nobles, Manuel et le sergent, qui tous deux intéressent, non pas au même degré, mais de la même manière, et par le plus bel acte dont l'homme soit capable, résister au pouvoir. De pareils traits sont rares; il les faut recueillir et les représenter, les recommander au peuple. D'autre part, on peut dire aussi que Manuel, Foucault, ses gendarmes, donneraient beaucoup à penser: et le président derrière la toile; car il est des objets que l'art judicieux...... La contenance de Manuel et la bassesse des autres formeraient un contraste; ceux-ci servant des maîtres, et calculant d'avance le profit, la récompense toujours proportionnée à l'infamie de l'action; celui-là se proposant l'approbation publique et la gloire à venir.

Les fournisseurs de l'armée sont tous bons gentilshommes et des premières familles. Il faut faire des preuves pour entrer dans la viande ou dans la partie des souliers. Les femmes y ont de gros intérêts; les maîtresses, les amants partagent; comtesses, duchesses, barons, marquis, on leur fait à tous bon marché des subsistances du soldat. La noblesse autrefois se ruinait à la guerre, maintenant s'enrichit et spécule très-bien sur la fidélité.

-Les bateaux venus de Strasbourg à Bayonne par le roulage coûteront de port cent mille francs, et seront trois mois en chemin. Construits en un mois à Bayonne, ils eussent coûté quarante mille francs. Les munitions qu'on expédie de Brest à Bayonne, par terre, iraient par mer sans aucuns frais. Mais il y a une compagnie des transports par terre, dans laquelle des gens de la cour sont intéressés, et l'on préfère ce moyen. Il faut relever d'anciennes familles, qui relèveront la monarchie si elle culbute en Espagne.

– Les parvenus imitent les gens de bonne maison. Victor, sa femme, son fils, prennent argent de toutes mains. On parle de pots-de-vin de cinquante mille écus. Tout s'adjuge à huis clos et sans publication. Ainsi se prépare une campagne à la manière de l'ancien régime. Cependant Marcellus danse avec miss Canning.

-La guerre va se faire enfin, malgré tout le monde. MADAME ne la veut pas. Madame du Cayla y parait fort contraire. MA

DEMOISELLE, ayant consulté sa poupée, se déclare pour la paix, ainsi que la nourrice et toutes les remueuses de monseigneur le duc de Bordeaux. Personne ne veut la guerre. Mais voici le temps de Pâques, et tous les confesseurs refusent l'absolution si on ne fait la guerre elie se fera donc.

Le duc de Guiche, l'autre jour, disait dans un salon, montrant le confesseur de MONSIEUR et d'autres prêtres : Ces cagots nous perdront.

On me propose cent contre un que nos jésuites ne feront pas la conquête de l'Espagne, et je suis tenté de tenir. Sous Bonaparte, je proposai cent contre un qu'il ferait la conquête de l'Espagne personne ne tint; j'aurais perdu : peut-être cette fois gagnerais-je.

-Mille contes plaisants du héros pacificateur, pointes, calembours de toutes parts. Il crève les chevaux sur la route de Bayonne, fait, dit-on, quatre lieues à l'heure, va plus vite que Bonaparte, mais n'arrive pas sitôt, parce que ses dévotions l'arrêtent en chemin. Il visite les églises et baise les reliques. Le peuple, qui voit cela, en aime d'autant moins l'Église et les reliques.

-- Il n'y a pas un paysan dans nos campagnes qui ne dise que Bonaparte vit, et qu'il reviendra. Tous ne le croient pas, mais le disent. C'est entre eux une espèce d'argot, de mot convenu pour narguer le gouvernement. Le peuple hait les Bourbons. parce qu'ils l'ont trompé, qu'ils mangent un milliard et servent l'étranger, parce qu'ils sont toujours émigrés, parce qu'ils ne veulent pas être aimés.

Barnave disait à la reine : « Il faut vous faire aimer du peuple. · Hélas! je le voudrais, dit-elle; mais comment? Madame, il vous est plus aisé qu'il ne l'était à moi. — Comment faire? - Madame, lui répondit Barnave, tout est dans un mot : Bonne foi. »

On va marcher; on avancera en Espagne ; on renouvellera les bulletins de la grande armée avec les exploits de la garde; au lieu de Murat, ce sera la Rochejaquelein. Sans rencontrer personne, on gagnera des batailles, on forcera des villes, enfin on entrera triomphant dans Madrid, et là commence la guerre. Jamais ils ne feront la conquête d'Espagne. M. Ls.

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