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citer: j'ai pour moi des exemples, à défaut de raisons. Montaigne et Bodin furent tous deux députés aux états de Blois sans l'avoir demandé. Pareille chose est arrivée de nos jours, en Angleterre, à Samuel Romilly, et, je pense aussi, à Sheridan. Voilà de graves autorités ; vous me citerez Caton, qui demanda le consulat: ce n'est pas ce qu'il fait de mieux; on lui préféra Vatinius, le plus grand maraud de ce temps-là. Mon désappointement, si j'eusse brigué comme Caton, serait moins fàcheux que le sien. M. le marquis d'Effiat est un honnête homme, et même je crois ses scrutateurs de fort honnêtes gens aussi.

D'ailleurs je suis élu, dans le sens de Benjamin ; je suis vraiment élu, comme vous allez voir; car aux cent soixante voix que m'accorde le bureau de M. le marquis d'Effiat, si vous ajoutez celles des électeurs absents par différentes causes, qui tous étaient miens sans nul doute, et puis les voix de ceux des électeurs présents qui n'osèrent, sous les yeux de M. le marquis, écrire un autre nom que le sien, de ceux qui, ne sachant pas lire... de ceux encore...... Mais que sert? Voilà déjà bien plus que la majorité. Je puis donc dire que je suis l'élu du département, et que M. le marquis est l'élu des ministres. Cela vaut mieux pour lui, je crois; l'autre me convient davantage. Que si, sortant un peu de la salle électorale, nous prenions les votes de ceux qui payent moins de cent écus, ou n'ont pas trente ans d'âge, parmi ceux-là, monsieur, j'aurais beaucoup de voix. En effet, les amis de M. le marquis se trouvaient là tous dans cette salle, où pas un d'eux ne manqua de se rendre; gens dont la grande affaire, l'unique affaire, était l'élection du marquis. Au lieu que mes amis à moi, dispersés, occupés ailleurs, dans les champs, dans les ateliers, partout où se faisait quelque chose d'utile, n'étaient qu'en petite partie: la millième partie ne se trouvait pas là présente. J'ai pour amis tous ceux qui ne mangent pas du budget, et qui, comme moi, vivent de travail. Le nombre en est grand dans ce pays, et augmente tous les jours. En un mot, s'il faut vous le dire, mes amis ici sont dans le peuple; le peuple m'aime et savez-vous, monsieur, ce que vaut cette amitié ? Il n'y en a point de plus glorieuse; c'est de cela qu'on flatte les rois. Je n'ai garde, avec cela, d'envier au marquis la faveur des ministres, et ses deux cent vingt voix, pour lesquelles je ne donne

rais pas, je vous assure, mes cent soixante, non quêtées, non sollicitées.

J'ai l'honneur d'être, etc.

Véretz, le 18 mai.

COURRIER FRANÇAIS. —1er février 1823.

(Le public entendit mal cette lettre : on y chercha des allusions qui n'y étaient pas. Ce fut la faute de l'auteur; le public ne peut avoir tort. Il s'agit d'un fait véritable, le procès de Paul-Louis Courier contre certains chasseurs anglais. Cette affaire fut arrangée par l'entremise de quelques amis.)

Au rédacteur du Courrier Français.

MONSIEUR,

Apparemment vous savez, comme tout le monde, mon procès avec cet Anglais qui est venu chasser dans mes bois. Vous serez bien aise d'apprendre que nous nous sommes accommodés. La chose fait grand bruit; on ne parle que de cela depuis le Chêne Fendu jusqu'à Saint-Avertin; et, comme il arrive toujours dans les affaires d'importance, on parle diversement. Les uns disent que j'ai bien fait d'entendre à un arrangement; que la paix vaut mieux que la guerre; que l'Angleterre est à ménager dans les circonstances présentes; qu'on ne sait ce qui peut arriver. Mais d'autres soutiennent que j'ai eu tort d'épargner ces coureurs de renards; qu'il en fallait faire un exemple; qu'il y va du repos de toute notre commune. Pour moi, c'était mon sentiment; aussi l'avais-je fait assigner, et j'allais parler de la sorte devant les juges:

<< Messieurs, d'après le procès-verbal qu'on vient de mettre sous vos yeux, vous voyez de quoi il s'agit. Monsieur Fisher, Anglais, cité devant vous plusieurs fois pour avoir chassé sur les terres de différents particuliers, autant de fois condamné, paye l'amende, et se croit quitte envers ceux dont il a violé la propriété. C'est une grande erreur que cela, et vous le sentirez, j'espère. Outre que ceux même qui reçoivent de lui quelque argent ne sont point par là satisfaits, plusieurs ne reçoivent rien, et souffrent par son fait; car nos terres, comme vous savez, étant, grâce à Dieu, divisées en une infinité de petites

portions, et les héritages mêlés, avec ses chiens et ses piqueurs il ravage les champs de cent cultivateurs, ou de mille peut-être, et n'en dédommage qu'un seul qui a le temps et les moyens de lui faire un procès, c'est-à-dire le riche. Celui qui ne possède qu'un arpent, un quartier, raccommode sa haie comme il peut, refait son fossé; le blé foulé cependant ne se relève pas, ni la vigne froissée ne reprend son bourgeon. Le bonhomme disait, du temps de la Fontaine: Ce sont là jeux de princes, et on le laissait dire; mais aujourd'hui les princes même ne se permettent plus de pareils jeux; et l'on m'assure qu'en Angleterre, dans son pays, M. Fisher ne ferait pas ce qu'il fait ici. Je ne sais et ne veux point trop examiner ce qui en est; mais vous y pourrez réfléchir, et m'entendez à demi-mot. Votre pensée, sans doute, n'est pas qu'on doive tout endurer de messieurs les Anglais, et qu'ils puissent ici, chez nous, ce qu'ils n'osent chez eux ni ailleurs.

« Vous jugerez celui-ci d'après nos lois françaises; vous ne sauriez guère faire autrement; et la chose même semble juste au premier coup d'œil. Cependant il y a beaucoup à dire. Si j'allais, moi Français, en Angleterre chasser sur les terres de M. Fisher, ne croyez pas, messieurs, que je fusse jugé d'après la loi commune, ainsi qu'un Anglais natif. Les étrangers, en ce pays-là, sont tolérés, non protégés; une loi est établie pour eux contre eux serait plutôt le mot. En vertu de cette loi, qu'on appelle alien-bill, si on faisait là quelque sottise, comme de courir avec une meute à travers vignes et guérets (il n'y a point de vignes, je le sais bien, faute de soleil, en Angleterre ; mais je parle par supposition), si je commettais là de semblables dégâts, d'abord on me punirait d'une peine arbitraire, selon le bon plaisir du juge; puis je serais banni du royaume, ou, pour mieux dire, déporté : cela s'exécute militairement. L'étranger qui se conduit mal ou déplaît, on le prend, on le mène au port le plus proche, on l'embarque sur le premier bâtiment prêt à faire voile, qui le jette sur la première côte où il aborde. Voilà comme on me traiterait si j'allais chasser sur les terres de M. Fisher, ou même, sans que j'eusse chassé, si M. Fisher témoignait n'être pas content de moi dans son pays. Pour un même délit, on distingue les étrangers des nationaux; on ne punit

point l'un comme l'autre. Et quoi de plus juste en effet? Puisje, avec mon hôte, en user comme je ferais avec mes enfants? Si mon hôte casse mes vitres, je les lui fais payer, je le bats, je le chasse; mon fils, je le gronde seulement. Vous comprenez la différence, grande sans doute, et cette loi admirable de l'alien-bill que je voudrais voir appliquer à M. Fisher, non pas les nôtres, faites pour nous. De notre part, ce serait justice, réciprocité, représailles; non pas le faire jouir avec nous des bénéfices d'une société dont il ne supporte aucune charge. Soyons, si vous voulez, plus polis que les Anglais, afin de conserver le caractère national; ne chassons pas M. Fisher. Sans l'embarquer ni le conduire où peut-être il n'aurait que faire, prions-le de s'en aller et ne point revenir; enfin, délivrons-nous de lui, qui trouble l'ordre de céans. Si vos pouvoirs, messieurs, ne s'étendent pas jusque-là, c'est un grand mal, et c'est le cas de demander une loi exprès. J'en veux bien faire la pétition au nom de toutes nos communes, et m'offre pour cela volontiers, quelque danger qu'il puisse y avoir, comme je le sais par expérience, à user de ce droit aujourd'hui. »>

J'avais ce discours dans ma poche, et l'aurais lu au tribunal, sans y changer une syllabe; car lorsqu'il faut improviser, j'appelle mon ami Berville, Mais comme je montais l'escalier, plus animé, plus échauffé que je ne le fus jamais, l'Anglais vint à moi, me parla, me fit parler par des personnes auxquelles on ne peut rien refuser. Que voulez-vous? Ma foi, monsieur, l'affaire en est demeurée là. J'en suis fâché, lorsque j'y pense; car enfin l'intérêt de toute la commune a cédé, en cette rencontre, aux recommandations, sollicitations de femmes, d'amis, que sais-je ? C'est, je crois, la première fois que cela soit arrivé en France, et sans doute ce sera la dernière. Je suis, monsieur, etc.

COURRIER FRANÇAIS.

4 octobre 1823.

A monsieur le Rédacteur du Courrier Français.
MONSIEUR,

Dans une brochure publiée sous mon nom en pays étranger

on attaque des gens que je ne connais point, et d'autres que j'honore. L'imposture est visible; peu de personnes, je crois, y ont été trompées. Cependant je vous prie, à telle fin que de raison, de vouloir bien déclarer que cet écrit n'est pas de moi. On y parle de grands, ce que je ne fais point sans quelque nécessité; on y blânie le gouvernement d'actes, selon moi, pernicieux. En ce sens je pourrais être auteur de la brochure; mais on blâme en ennemi, ce n'est pas ma manière; je suis aussi loin de haïr que d'approuver le gouvernement dans la marche qu'il suit; je n'en espère pas de sitôt un meilleur, et le crois moins mauvais que ceux qui l'ont précédé.

Annoncez , je vous prie, ma traduction de Longus, qui s'imprime à présent, corrigée, terminée : c'est un joli ouvrage, un petit poëme en prose, où il s'agit de moutons, de bergers, de gazons. La première édition fut saisie à Florence par ordre de l'empereur Napoléon le Grand : j'imprimai le grec à Rome; il fut saisi de même. Revenu à Paris quand il n'y eut plus d'empereur, et toujours occupé de Chloé, de ses 'brebis, je retouchais ma version, lorsqu'on me mit en prison à Sainte-Pélagie : ce fut là que je fis ma seconde édition. La troisième va bientôt paraître chez Merlin, quai des Augustins, beau papier, impression de Didot.

J'ai l'honneur, etc.

CONSTITUTIONNEL.

8 octobre 1823.

A monsieur le Rédacteur du Constitutionnel.

MONSIEUR,

Parlez un peu, je vous prie, dans vos feuilles, de ma belle traduction d'Hérodote, fort belle suivant mon opinion. Des personnes habiles, sur un premier essai qui parut l'an passé, en ont dit leur avis, qui n'est pas tout à fait d'accord avec le mien. Je leur réponds aujourd'hui par un autre fragment traduit du même auteur, avec une préface où je défends ma méthode, expose mes principes, montrant d'une façon claire et incontestable que j'ai raison contre la critique, dont pourtant je tâche de profiter Croire conseil est ma devise.

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