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NÉANT DES GRANDEURS HUMAINES.

SUR Ce théâtre où disparaissent
Tous les frêles présens des caprices du sort,
Mes yeux épouvantés à peine reconnaissent
L'homme aux prises avec la mort.

Quelle face! quels yeux ! quel regard immobile !
Quel trouble! quel effroi sous ce dehors tranquille!
Par degrés il se sent périr.

Ce qu'il perd l'attendrit, ce qu'il risque le glace. Ciel, soutiens sa faiblesse, et, pour dernière grace, Qu'il achève enfin de mourir.

Venez, voyez, troupe frivole,

Qu'un culte sacrilége ose diviniser;

L'arrêt n'est point douteux, il a proscrit l'idole,
Et l'idole va se briser.

Connaissez votre sort, présomptueux fantômes!
La foule des humains, à vos yeux vils atômes,
Disparaît devant votre orgueil :

Rapprochez-vous enfin de l'espèce mortelle ;
Venez, pour la venger, vous confondre avec elle
Dans la poussière du cercueil.

Odes.

21

Mon œil tremblant parcourt la terre;

Les mourans et les morts gisent de tous côtés:

Elle entr'ouvre son sein. Quel spectacle elle enserre! Tous mes sens sont épouvantés.

Que de gouffres infects qui sans cesse engloutissent!
Que de lambeaux hideux qui lentement pourrissent!
Tel est donc l'ouvrage des temps !

O terre, de la mort trophée épouvantable!
Qu'est-ce donc que ta masse? un monceau lamentable
Des débris de tes habitans.

Dans ces tas de poussière humaine,
Dans ce chaos de boue et d'ossemens épars,
Je cherche, consterné de cette affreuse scène,
Les Alexandres, les Césars;

Cette foule de rois, fiers rivaux du tonnerre,
Ces nations, la gloire ou l'effroi de la terre,
Ce peuple roi de l'univers,

Ces sages

dont l'esprit brilla d'un feu céleste. De tant d'hommes fameux voilà donc ce qui reste: Des tombeaux, des cendres, des vers!

Ode couronnée aux Jeux Floraux en 1737.

FIN DES ODES PINDARIQUES, MORALES
ET PHILOSOPHIQUES.

ODE

TIRÉE DU PSAUME CXLV.

N

'ESPÉRONS plus, mon âme, aux promesses du monde; Sa lumière est un verre, et sa faveur une onde Que toujours quelque vent empêche de calmer. Quittons ces vanités, lassons-nous de les suivre : C'est Dieu qui nous fait vivre, C'est Dieu qu'il faut aimer.

En vain, pour satisfaire à nos lâches envies,
Nous passons près des rois tout le temps de nos vies
A souffrir des mépris, et ployer les genoux;

Ce qu'ils peuvent n'est rien; ils sont, comme nous sommes
Véritablement hommes,

Et meurent comme nous.

Ont-ils rendu l'esprit ; ce n'est plus que poussière
Que cette majesté si pompeuse et si fière,

Dont l'éclat orgueilleux étonnait l'univers ;
Et dans ces grands tombeaux, où leurs âmes hautaines
Font encore les vaines,

Ils sont mangés des vers.

Là, se perdent ces noms de maîtres de la terre,
D'arbitres de la paix, de foudres de la guerre :
Comme ils n'ont plus de sceptre, ils n'ont plus de flatteurs;
Et tombent avec eux, d'une chute commune,

Tous ceux que leur fortune

Faisait leurs serviteurs.

MALHERBE.

DES CONSIDÉRATIONS

DE LA MISÈRE HUMAINE.

ODE EXTRAITE DU CHAPITRE XXII DE L'IMITATION DE JÉSUS-CHRIST.

FAUT IL que cette vie, en soi si misérable,

Ait toutefois un tel attrait,

Que le plus indigent et le plus méprisable
Ne l'abandonne qu'à regret!

Le pauvre, qui l'arrache à force de prières,
Avec horreur la voit finir;

Et l'artisan s'épuise en sueurs journalières
Pour trouver à la soutenir.

Oui, s'il était au choix de notre âme insensée

De languir toujours en ces lieux,
Nous souffririons nos maux sans aucune pensée
De régner jamais dans les cieux.

Lâches qui sur nos œnrs, aux voluptés du monde,
Souffrons des progrès si puissans,

Que rien n'y peut former d'impression profonde
S'il ne flatte et charme nos sens;

Nous verrons à la fin, aveugles que nous sommes "
Que ce que nous aimons n'est rien,

Et qu'il ne peut toucher que les esprits des hommes, Que ne peut toucher le vrai bien.

Tant qu'à ce corps fragile un souffle nous attache,
Tel est à tous notre malheur,

Que le plus innocent ne se peut voir sans tache,
Ni le plus content sans douleur.

Le plein calme est un bien hors de notre puissance;
Aucun ici bas n'en jouit ;

Il descendit du ciel avec notre innocence;
Avec elle il s'évanouit.

Comme ces deux trésors étaient inséparables,
Un moment perdit tous les deux ;

Et le même péché qui nous fit tous coupables,
Nous fit aussi tous malheureux.

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