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Son style impétueux souvent marche au hasard;
Chez elle un beau désordre est un effet de l'art.

L'ode nous est donc inspirée, ou dans l'enthousiasme de l'admiration, ou dans le délire de la joie, ou dans l'ivresse de l'amour, ou dans la douce rêverie d'une âme qui s'abandonne aux sentimens qu'excite en elle l'émotion légère des sens.

Ainsi, quels que soient le sujet et le ton de ce poëme, le principe en est invariable; toutes les règles en sont prises dans la situation de celui qui chante.

Orphée se consolait, dit-on, en exprimant ses regrets sur sa lyre; Thirtée apprivoisait les peuples féroces, et rendait le courage aux peuples abattus; Pindare excitait les guerriers à la victoire, en célébrant leurs exploits; et le joyeux Anacréon, le précurseur d'Epicure, en chantant Bacchus et l'Amour, fit la gloire de Théos, sa patrie, et les délices de l'univers.

L'ode, regardée comme le plus ancien poëme, remonte par conséquent à l'origine du monde ; car dès que les hommes eurent un langage,

dès qu'il s'éleva parmi eux des hommes passionnés, on y compta des poëtes. La poésie emprunta bientôt les secours de la lyre; elles soumirent l'une et l'autre leurs accens aux règles du nombre et de la cadence, et se servirent de l'artifice du chant, soit pour graver plus avant dans nos âmes les principes de sagesse, de morale et d'héroïsme, soit pour en tempérer la rigueur par le charme des accords, soit pour exercer sur les hommes le double empire de l'éloquence et de l'harmonie, de la raison et du sentiment,

Il est donc évident que l'ode, comme toutes les autres poésies lyriques, naquit de l'enthousiasme, et qu'Ossian, dans les climats glacés de l'Ourse, n'eut pas plus de maître qu'Orphée dans les champs de la Thrace, ou Pilpai sur les rives de l'Indus.

Alcée, Stésichore et quelques autres lyriques grecs, précédèrent Pindare, qui les fit bientôt oublier. Ses odes célébraient principalement les jeux olympiques, et c'est là qu'il reçut le suffrage de toute la Grèce.

Il existe peu de bonnes traductions de ce grand lyrique. Voici le début d'une de ses odes • qui donnera l'idée de ce qu'il devait être en chantant les héros et les dieux, lorsqu'un sujet sublime et fécond lui donnait lieu d'exercer son génie. Cette ode est la première de Pindare; elle fut adressée à Hiéron, tyran de Syracuse, vainqueur dans la course des chars :

«Lyre d'Apollon, dit le poëte, c'est toi qui donnes le signal de la joie, toi qui préludes aux concerts des Muses! Dès que tes sons se font entendre, la foudre s'éteint, l'aigle s'endort sous le sceptre de Jupiter; ses ailes rapides s'abaissent des deux côtés, relâchées par le sommeil; une sombre vapeur se répand sur le bec recourbé du roi des oiseaux, et appesautit ses paupières; son dos s'élève et son plumage s'enfle au doux frémissement qu'excitent en lui tes accords. Mars, l'implacable Mars, laisse tomber sa lance, et livre son cœur à la volupté! Les Dieux même sont sensibles au charme des vers inspirés par le sage Apollon, et émanés du sein profond des Muses. Mais tout ce que Jupiter n'aime pas, ne peut souffrir ces chants divins. Tel est ce géant à cent têtes, ce Typhée accablé sous le poids de l'Etna, cette colonne du ciel qui nourrit des neiges éternelles, et des flancs duquel jaillissent à pleines sources des fleuves d'un

feu rapide et brillant. Il vomit le plus souvent des tourbillons d'une fumée ardente; mais la nuit, des vagues enflammées coulent de son sein, et roulent des rochers avec un bruit horrible, jusque dans l'abîme des mers. C'est ce monstre rampant qui exhale ces torrens de feu: prodige incroyable pour tous ceux qui entendent raconter aux voyageurs comment, enchaîné dans les gouffres profonds de l'Etna, le dos courbé de ce géant ébranle et soulève la prison dont le poids l'écrase sans cesse. »

De là Pindare passe à l'éloge de la Sicile et d'Hiéron, fait des voeux pour l'un et pour l'autre, et finit par exhorter son héros à fonder son règne sur la justice et sur la vertu. Il n'est guère possible de rassembler de plus belles images; et la faible esquisse que nous venons de donner, suffit pour le persuader; mais comment sont-elles amenées? Typhée et l'Etna à propos des vers et du chant; l'éloge d'Hiéron à propos de l'Etna et de Typhée! voilà la marche de Pindare. Ses liaisons, le plus souvent, ne sont que dans les mots et dans la rencontre accidentelle et fortuite des idées. Ses ailes, pour nous servir de l'image d'Ho

race, sont attachées avec de la cire; et quiconque voudra l'imiter, éprouvera le destin d'Icare. Aussi voyez dans l'ode à la louange de Drusus, qualem ministrum, etc., avec quelle précaution, quelle sagesse le poëte latin suit les traces du poëte grec!

Il faut avouer qu'Horace doit à Pindare cet art d'agrandir ses sujets; mais les éloges qu'il donne à son maître ne l'ont pas aveuglé sur le manque de liaison et d'ensemble, défaut dont il avait à se garantir en l'imitant. Il eut moins d'élan, moins d'enthousiasme que son modèle; mais la flexibilité de son talent, les ressorts d'une imagination brillante, et l'étude constante des grands lyriques de la Grèce, l'élevèrent au plus haut degré de perfection.

Anacréon fut le poëte du plaisir; ses chants respirent la douceur et la volupté. Il n'invoqua jamais les dieux, plus ou moins sourds aux prières des mortels, pour chanter son bonheur et ses amours; il lui suffisait de le sentir, et c'est en cela qu'il l'emporte encore sur la plupart des poëtes qui lui ont succédé.

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