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Transports de Pindare et d'Horace,
Faut-il donc que l'art vous remplace!
D'un torrent force-t-on les eaux ?
Ces chênes voisins du tonnerre
Aux soins qui cultivent la terre
Doivent-ils leurs pompeux rameaux?

La nature dans ses miracles
Renverse l'ordre de ses lois :
Lorsqu'Apollon rend ses oracles,
Règle-t-il les sons de sa voix ?
Esprit divin, fureur sacrée,
Ah! si dans mon âme inspirée
J'éprouvais votre accès fougueux,
Je peindrais Louis, ses merveilles :
Si les rois méritent nos veilles,
C'est quand les peuples sont heureux.

Parmi les plaisirs l'abondance
Sur nous ouvrirait ses canaux;
Soumis aux destins de la France,
Le Temps lui céderait sa faux;
Le louvre reprendrait sa gloire;
Sur des bords chéris la Victoire
Eleverait un temple à Mars;
Les ligues seraient étouffées;
Assise au milieu des trophées,
La Paix couronnerait les Arts.

D'où naît l'ardeur qui me transporte?
Vais-je donc braver les éclairs?
Un tourbillon de feu m'emporte
Dans les vastes plaines des airs;
Sous mes pieds les mers disparaissent;
Les fronts des montagnes s'abaissent;
La terre se cache à mes yeux :
Entouré des vents, des orages,
Sur un char je fends les nuages,
Et déjà je suis dans les cieux.

Je vois un dieu dont la couronne
Brille des plus vives couleurs;
Le choeur des Muses l'environne,
Les Grâces le parent de fleurs.
Toute la nature en silence
Prête l'oreille à la cadence
De ses accens mélodieux.
A ces accords, à leur empire,
Rousseau, je reconnais ta lyre;
C'est à toi de chanter les dieux.

SABATIER.

L'ENTHOUSIASME.

Fervet, immensusque ruit profundo
Pindarus ore.

HOR.

AIGLE qui ravis les Pindares
Jusqu'au trône enflammé des dieux,
Enthousiasme! tu m'égares

A travers l'abîme des cieux.
Ce vil globe à mes yeux s'abaisse;
Mes yeux s'épurent, et je laisse
Cette fange, empire des rois :
Déjà sous mon regard immense
Les astres roulent en silence;
L'Olympe tressaille à ma voix.

O muse! (1) dans l'ombre infernale
Ton fils plongea ses pas vivans:
Moi, sur les ailes de Dédale
Je franchis la route des vents.
« Il est beau, mais il est funeste
» De tenter la voûte céleste. >>

(1) Calliope.

Arrête, importune raison!
Je vole, je devance Icare,
Dussé-je à quelque mer barbare
Laisser mes ailes et mon nom!

Que la colombe d'Amathonte
S'épouvante au feu des éclairs;
Le noble oiseau qui les affronte
Prouve seul qu'il est roi des airs.
Je brûle du feu qui l'anime;
Jamais un front pusillanime
N'a ceint des lauriers immortels;
L'audace enfante les trophées.
Qu'importe la mort aux Orphées,
Si leurs tombeaux sont des autels?

Silence, altières pyramides!
Silence, vains efforts de l'art!
Les œuvres de ses mains timides
N'ont rien d'un généreux hasard.
O nature! ta main sublime
Dans les airs a jeté la cime
De ces Etnas majestueux :
L'art pâlit d'en tracer l'image;
L'œil étonné te rend hommage
Par un effroi respectueux.

C'est de là qu'exhalant son âme
Non loin des gouffres de l'enfer,

Encelade vomit la flamme

Contre les feux de Jupiter.

De ses lèvres étincelantes
L'incendie aux ailes brûlantes
Fond dans les cieux épouvantés:
Ses étincelles vagabondes

Couvrent l'air, la terre et les ondes
De leurs foudroyantes clartés.

Vaste Homère! de ton génie
Ainsi les foudres allumés,
Avec des torrens d'harmonie,
Roulent dans tes vers enflammés;
Des feux de ta bouillante audace
Jaillissent la force et la grâce
De tes divins enfantemens,
Comme des mers le dieu suprême
Vit éclore la beauté même

Du choc de ses flots écumans.

A mes accords l'aigle charmée
Ralentit son vol orageux;
Et de sa foudre désarmée
S'assoupissent les triples feux.
Tes chants, divine Poésie!
Parfument encor l'ambroisie

Que verse aux dieux la jeune Hébé :

Ton charme atteint le sombre empire;

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