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Je reconnais ma déesse!

C'est l'Imagination.

Reine aimable des mensonges,
Viens-tu, mère des erreurs,
De l'ivresse où tu me plonges
Me rappeler les douceurs?
Ton brillant et ta jeunesse
Pour moi sont hors de saison :
Laisse en repos ma vieillesse
Suivre à la fin la raison.

Non, déesse, je m'égare;
Reste toujours avec moi;
Quoi que le sort nous prépare,
Nous le bravons avec toi.
L'amertume du calice

Par toi se change en douceurs;
Et les bords du précipice

Par toi sont semés de fleurs.

Tu peux, quand la destinée
Nous réduit au désespoir,
Prêter à l'âme étonnée
Ta façon de concevoir,
Qui du courage héroïque
Fait le généreux effort,
Et dans une âme stoïque
Fait le mépris de la mort.

1

C'est par toi, divine fée,
Qu'au sein même du repos
L'essor seul de la pensée
Fait éclore les héros ;
C'est toi qui les illumines
Par la beauté des objets,
Et seule les détermines
A tous leurs vastes projets.

Ta divine frénésie

Pouvait seule enfler le cœur
De ce Grec qui de l'Asie
Osa devenir vainqueur.
Eût-il entrepris la guerre
Si ton magique miroir
N'avait pas fait voir la terre
Tremblante sous son pouvoir?

Si tu n'avais montré Rome,
Et son sénat orgueilleux,
Soumis aux lois d'un seul homme,

Les eût-il domptés tous deux?
Sans une si douce amorce,
Cet ennemi de Caton

N'aurait jamais eu la force
De passer le Rubicon.

Tu fais les talens de plaire;
Et par toi Pâris trouva

L'art de rendre moins sévère
La beauté qu'il enleva.
Dans ce temps sec et stérile,
Heureux à qui tes faveurs
Sans travail rendent facile
Le commerce des neuf sœurs!

Jamais loin de ta présence

Ne sont les Ris et les Jeux :
Ferrand tient de ta puissance
L'empire qu'il a sur eux.

Dès que ton beau feu s'allume,
Veut-il écrire d'aimer,

Vénus vient tailler sa plume;
Les Grâces le font rimer. (1)

Feu divin

que Prométhée

Alla prendre dans les cieux;
Vive image de Prothée,

Rare et cher présent des dieux,
Céleste et brillante flamme,
Je renonce à vos clartés :
Il faut occuper mon âme
De plus solides beautés.

Muses que j'ai tant chéries,
Je vous quitte désormais:

(1) Poëte aimable et galant, mort en 1719, âgé de quarante-deux

ans.

Adieu, douces rêveries;
Vous ne reviendrez jamais;

Adieu, Pinde; adieu, fontaine ;
Adieu, lauriers toujours verts,
Lieux sacrés où Melpomene
M'apprit à faire des vers.

Aussi bien de ma carrière
Je touche au bord, et les dieux
Commencent de la lumière

A priver mes tristes yeux.
Disparaissez, songe aimable;
Que l'affreuse vérité

Dans le malheur qui m'accable
M'offre au moins sa dureté.

Mais qu'a donc tant à se plaindre
Qui sait mépriser la mort,

Et qui, bien loin de la craindre,
La regarde comme un port?
C'est comme je l'envisage,
Et l'attends tranquillement :
Tout ce qui fait l'homme sage
N'est que le dernier moment.

Je sens qu'un dieu se retire;
C'est ce dieu qui présenta
A ma jeunesse la lyre
Que Chapelle me prêta.

Je vais, déesse, à ta gloire,
A l'honneur de tes bienfaits,
Pendre au temple de mémoire

Les derniers vers que j'ai faits.

CHAULIEU.

L'ENTHOUSIASME.

ANIMÉ d'une noble audace,
Je cède à mes transports brûlans;
La route que la raison trace
Fut toujours l'écueil des talens.
Souveraine de l'harmonie,
Ivresse, mère du génie,
Epuise sur moi ta fureur.

Quel accès violent m'agite?

Il m'embrase, un démon l'excite;
Tous mes sens ont frémi d'horreur.

Ainsi s'élance la bacchante,

Le thyrse en main, les yeux troublés;
Le Cytheron qu'elle épouvante
S'ébranle à ses cris redoublés :
Ainsi dans ces fêtes célèbres
Où, sous le voile des ténèbres,
Odes.

15

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